Témoignages de réfugiés dans le camp de Choucha, en Tunisie

Mouhaydin 27ans Somalien
Mouhaydin, 27ans, Somalien © Eric Bouvet

Mouhaydin et Abdoul ont fui la Libye pour se réfugier dans le camp de Choucha, en Tunisie. Ils racontent leur situation en Libye avant la fuite et témoignent des conditions de vie depuis leur arrivée dans le camp.

« La vie dans le camp de Choucha est de plus en plus difficile »
Originaire de Somalie, Mouhaydin, 27 ans, travaillait comme ouvrier en Libye. Il est arrivé dans le camp de Choucha, en Tunisie, début mars. Son épouse a disparu après s'être embarquée pour l'Europe en bateau.

« J'ai quitté la Somalie en 1994 à cause de la guerre. Quand mon père a été tué, ma famille a fui en Éthiopie. Ils vivent encore là-bas. Je suis l'aîné et je dois aider ma famille. J'ai donc décidé d'aller en Libye ou plus loin, afin de trouver du travail et de construire un futur. Je suis arrivé en Libye il y a huit ans. Je travaillais comme ouvrier et nettoyeur. La vie n'était pas facile. Nous étions traités comme des esclaves. Lorsque la guerre a éclaté, la situation est devenue dangereuse pour les étrangers. J'ai dû fuir ce pays.

Je suis venu avec ma femme au camp de Choucha le 6 mars. Nous nous étions mariés en Libye et elle était enceinte de trois mois. Du jour au lendemain, elle a décidé de retourner en Libye avec un groupe de personnes qui l'ont convaincue de prendre un bateau pour l'Europe. Je l'ai vue un matin et c'était la dernière fois. Son bateau a fait naufrage le 5 avril. Je regrette vraiment qu'elle ne m'ait pas parlé de ses projets. Ma tristesse est profonde. J'essaie de m'occuper l'esprit pour ne pas y penser, mais la nuit j'ai du mal à dormir.

Je m'occupe en travaillant comme bénévole pour MSF. Je suis responsable de l'enregistrement des patients qui se présentent pour obtenir des soins médicaux. En Somalie, j'ai travaillé pendant huit ans avec MSF avant la guerre. Je suis également traducteur du somali vers le français, parce que de nombreux Somaliens cherchent de l'aide dans le camp.

La vie au camp devient de plus en plus difficile, tout particulièrement depuis les incidents de mai. Des tentes ont été brûlées et de nombreux réfugiés ont été tués ou blessés dans des bagarres violentes. Et pour les enfants, ces conditions de vie sont encore plus insupportables.

Un de mes oncles habite au Canada. J'espère qu'il pourra m'aider. Il faut que je trouve une solution, un endroit dans un pays où je puisse vivre en paix et avoir un futur. »

Abdoul (23 ans) a quitté la Côte d’Ivoire en 2008. Avant le début de la guerre, il a passé plusieurs mois dans les prisons libyennes.« Je préfère mourir en Libye plutôt qu'ici »
Abdoul, 23 ans, a quitté la Côte d'Ivoire en 2008. Avant le début de la guerre, il a passé plusieurs mois dans les prisons libyennes.

« J'ai vu trop de morts dans mon pays. Quand j'avais 15 ans, je n'avais pas d'autre choix que de vivre dans la rue. Je suis incapable de parler de ma vie en Côte d'Ivoire. Même mes amis ne connaissent pas mon histoire. J'ai quitté la Côte d'Ivoire en 2008. J'ai traversé de nombreux pays pour fuir le mien.

Quand je suis enfin arrivé en Libye, des militaires m'ont arrêté et mis en prison au beau milieu du désert. Nous étions des centaines là-bas. Chaque jour des gens mouraient. J'ai passé quatre mois en prison. On me battait tous les jours. Pendant trois semaines, je n'ai pas pu me mettre debout et je souffre encore de mes blessures. J'ai dû enterrer sept personnes, dont trois filles enceintes. Si vous n'obéissiez pas, vous étiez jeté vivant dans la fosse avec les cadavres.

Parfois, on ne nous donnait que cinq litres d'eau salée pour des centaines de prisonniers. Nous devions la boire goutte par goutte. Nous n'avions pas assez à manger, mais nous ne pouvions pas nous plaindre. Nous devions cacher que nous étions malades, sinon nous risquions d'être encore battus. Il n'y avait même pas assez de place pour dormir, nous étions entassés dans une toute petite pièce. Il n'y avait pas de toilettes.

C'est un miracle que je sois encore en vie. Je pensais ne plus jamais revoir la lumière du jour. Je voyais des gens mourir, je voyais de la brutalité et de la violence. J'attendais mon tour. Une nuit, il y a eu une tempête de sable. Le toit de la prison menaçait de s'écrouler et nous avons réussi à nous échapper. Des policiers nous ont poursuivis en 4X4 avec des chiens, mais j'ai pu fuir. J'ai marché pendant trois jours dans le Sahara. Je ne pourrai jamais oublier l'un des prisonniers, un Gambien, qui  s'était cassé le pied et ne pouvait plus marcher. Il appelait à l'aide, mais nous ne pouvions pas nous arrêter, c'était une question de vie ou de mort. Chacun devait essayer de sauver sa peau.

La vie en Libye était dure et nous étions constamment cambriolés. On enfonçait notre porte, on volait nos papiers. Nous n'avions aucun droit. C'est un pays sans loi. Quand je suis arrivé dans la ville de Sabah, j'ai rencontré un compatriote ivoirien. Il m'a aidé. Je n'ai rien pu faire pendant plusieurs mois, j'étais malade et je n'arrêtais pas de faire des cauchemars. C'était très difficile.

Je vis dans le camp de Choucha depuis quatre mois maintenant. Pendant les incidents de mai dans le camp, plus de 15 personnes ont été blessées sous mes yeux et plusieurs sont mortes. J'ai reçu une bombe lacrymogène sur le pied. Je ne suis pas en sécurité ici non plus.

Dans le camp, nous menons une vie de vagabonds. Certains d'entre nous sont retournés en Côte d'Ivoire, d'autres en Libye. Je ne peux pas retourner chez moi. Si je le pouvais, je quitterais ce camp. Je préfère mourir en Libye plutôt qu'ici. Je suis prêt à y retourner même si je dois mourir. »

 

Diaporama photos Diaporama - Portraits de migrants dans le camp de réfugiés de Choucha, Tunisie

Le photographe Eric Bouvet, de l'agence VII Network, a photographié vingt migrants dans le camp de Choucha. Décrouvrez ces portraits dans notre espace presse.

 

À lire aussi