Soigner l'hépatite C : succès d'un projet pilote MSF au Cambodge

Des membres des équipes MSF accueillent les patients à l’hôpital Preah Kossamak de Phnom Penh. 2017.
Des membres des équipes MSF accueillent les patients à l’hôpital Preah Kossamak de Phnom Penh. 2017. © Todd Brown

Entre 2016 et 2021, MSF est parvenue à soigner quelque 19 000 personnes touchées par le virus de l'hépatite C (VHC) au Cambodge, en mettant à disposition de nouveaux médicaments plus efficaces et en simplifiant la prise en charge médicale. Retour sur ce projet pilote que l'association cherche à présent à exporter dans d'autres contextes nationaux, en l'adaptant aux spécificités de chaque système de soins.

Rendre accessibles les nouveaux médicaments

Médecins Sans Frontières réalise des premiers dépistages de l’hépatite C en mai 2016 à l’hôpital Preah Kossamak de Phnom Penh. Bien que la séroprévalence de la maladie soit inconnue, on estime que 2,6 % de la population adulte du Cambodge est touchée par le VHC. Les premiers patients testés font partie d’une cohorte de personnes atteintes par le VIH/Sida, une population qu’on pensait à tort largement touchée par la maladie, avant que les dépistages ne soient ouverts à la population générale en octobre 2016. 

« Les premiers résultats ont montré que les personnes co-infectées par le VIH et le VHC représentaient une part minime des personnes touchées par l’hépatite C », indique Mickael Le Paih, ancien chef de mission MSF au Cambodge. Autre résultat inattendu, l’âge des patients positifs au VHC est relativement élevé : plus de 90 % ont plus de 40 ans. En janvier 2017, après quelques mois d’activité, plus de 3 200 personnes attendent de pouvoir être diagnostiquées et près de 300 sont déjà sous traitement. Médecins Sans Frontières offre la seule prise en charge gratuite disponible dans le pays.

L’hépatite C est responsable chaque année du décès de près de 300 000 personnes, notamment dans les pays à revenus faibles ou intermédiaires, où vivent 75 % des personnes touchées par le virus. À partir de 2014, de nouveaux médicaments appelés antiviraux à action directe (AAD) permettent de traiter la maladie en un temps plus court (12 semaines), par voie orale, avec peu d’effets secondaires et des taux de guérison avoisinant les 95 %. 

En mars 2017, des organisations de 17 pays européens ont déposé une opposition au brevet de Gilead sur le Sofosbuvir, un médicament hautement efficace contre l'hépatite C. Les 13 et 14 septembre 2018, l'audience s'est déroulée devant l'Office européen des brevets à Munich. Des militants ont manifesté devant pour obtenir des médicaments abordables au début de la procédure, le 13 septembre.
 © Peter Bauza
En mars 2017, des organisations de 17 pays européens ont déposé une opposition au brevet de Gilead sur le Sofosbuvir, un médicament hautement efficace contre l'hépatite C. Les 13 et 14 septembre 2018, l'audience s'est déroulée devant l'Office européen des brevets à Munich. Des militants ont manifesté devant pour obtenir des médicaments abordables au début de la procédure, le 13 septembre. © Peter Bauza

Toutefois, les premiers tarifs imposés par les industries pharmaceutiques sur le sofosbuvir ou le daclatasvir sont prohibitifs, aussi bien pour les patients des pays développés, où les traitements pouvaient coûter jusqu’à 147 000 dollars, que pour ceux des pays en développement. C’est dans ce contexte que les équipes de Médecins Sans Frontières lancent ce projet pilote de dépistage et de prise en charge de la maladie au Cambodge, tout en travaillant avec d’autres organisations pour contester le brevet, faire baisser le prix du Sofosbuvir et améliorer l'accès aux outils de diagnostic.

Le prix élevé des médicaments ne permet alors pas d’offrir de traitement au plus grand nombre. « Il y a près de deux décennies, MSF et d'autres organisations ont travaillé dur pour avoir accès aux génériques et faire baisser les prix des médicaments contre le VIH, déclarait en 2017 Mickael Le Paih. L'histoire se répète avec l'hépatite C : les médicaments dont nous avons besoin sont encore trop chers, mais nous trouverons des moyens de rendre les traitements abordables afin que nos patients puissent être guéris. » Avec l’appui de la Campagne d’accès aux médicaments essentiels (CAME), Médecins Sans Frontières parvient à obtenir un traitement à base de génériques à un prix de 120 dollars par patient, contre environ 1 600 dollars précédemment. 

Simplifier la prise en charge

Devant la très forte demande d’accès à ces nouveaux traitements, les équipes MSF prescrivent les médicaments aux patients les plus avancés dans la maladie, faute d’en avoir suffisamment en 2017. Puis, en 2018, elles élargissent la prise en charge à toutes les personnes atteintes par l’hépatite C. Des centaines de Cambodgiens se présentent chaque jour à l’hôpital Preah Kossamak de Phnom Penh, venant parfois de régions éloignées.

« J’ai d’abord essayé la médecine traditionnelle, indiquait Vanna Chou, un patient qui était en début de traitement. Quand j’ai vu sur Facebook que MSF offrait un traitement à Phnom Penh, j’ai décidé de faire le trajet depuis Siem Reap où j’habite, qui prend 8 heures en bus. »

Les premiers retours sur l’efficacité des antiviraux à action directe démontrent que tous les génotypes d’hépatite C présents au Cambodge peuvent être traités, ce qui permet de supprimer les analyses préalables, puis de réduire le nombre de consultations de suivi et d’analyses complémentaires, en raison d’une très bonne adhésion au traitement. « De nombreuses personnes vivent dans la pauvreté au Cambodge, précise le Dr Somalene Pa, qui a commencé à travailler sur ce projet en 2016. La réduction du nombre de consultations est une amélioration notable pour les patients, pour qui les transports sont parfois très onéreux. »

L’accès progressif à des tests de dépistage plus simples et plus rapides a également contribué à l’accélération du projet, et donc à élargir l’accès aux soins. Jusque-là, les outils nécessaires au diagnostic, un test sérologique puis un test PCR de confirmation, n’étaient disponibles que dans des laboratoires spécialisés privés. « Lorsqu’on a commencé, du fait de la complexité de l’accès au diagnostic complet de l’infection chronique, il fallait compter près de 140 jours entre le premier test positif de sérologie et la mise sous traitement. Ce délai a été réduit à cinq jours grâce à la disponibilité du test rapide de diagnostic de confirmation PCR », explique Mickael Le Paih. Les équipes MSF dépistent ainsi quelque 42 000 personnes et en traitent plus de 8 000 en 2018.

Cette simplification du dépistage, du diagnostic et du traitement a permis d’amener la prise en charge au plus près des patients, aussi bien à Phnom Penh que dans des villes beaucoup plus petites. Au Cambodge, 76 % de la population vit dans des zones rurales avec un accès limité aux soins.

S’appuyer sur les soins infirmiers

Les équipes MSF décident en 2018 d’intervenir dans la province de Battambang, située dans le nord-ouest du pays. La prévalence du VHC en dehors de Phnom Penh était jusque-là assez peu connue. Une première étude menée en 2018 par Épicentre, le partenaire de recherche épidémiologique de MSF, met notamment en évidence une présence élevée du VHC parmi la population de la région : on retrouve des anticorps du virus chez 5,1 % des personnes testées âgées de plus de 45 ans. « Cette enquête nous a également aidé à mieux déterminer, à partir de fin 2018, quelles pouvaient être les stratégies de dépistage les plus efficaces en zone rurale, indique Mickael Le Paih. Il n’y a pas de stigmatisation autour de cette maladie au Cambodge, mais près de 65 % des personnes testées n’en connaissaient pas l’existence. En collaboration avec le ministère de la Santé cambodgien, les centres de santé primaire nous ont paru la meilleure structure pour y faire reposer l’accès principal aux soins dédiés à la prise en charge du VHC. » 

Quelques mois après la mise en place du programme dans la province, il est apparu que le modèle de soins pouvait encore être simplifié et la prise en charge effectuée par les infirmiers. « Jusque-là, la prise en charge des patients à Phnom Penh et à Battambang avait été faite essentiellement par des médecins généralistes, explique Mickaël Le Paih. Les résultats publiés dans le Lancet Gastroenterology & Hepatology étaient excellents, avec une très bonne adhésion au traitement dans la durée et les effets secondaires étaient marginaux. Ces éléments médicaux conduisaient les équipes MSF et du ministère de la Santé cambodgien à poursuivre la démonstration de la simplification vers un suivi uniquement clinique, sans examens complémentaires après le diagnostic PCR, pour les patients qui ne présentaient pas de complications hépatiques apparentes. Dans cette configuration, le personnel infirmier, après une courte formation, était en capacité d’effectuer la prise en charge d’une très grande partie des patients. »

Une étude, réalisée par les équipes conjointes entre juin 2020 et janvier 2021, a validé l’efficacité de ce modèle. Sur les 329 patients ne présentant pas de complications qui ont initié le traitement avec les infirmiers, tous l'ont terminé. Parmi eux, 94 % (310) ont éradiqué le virus, 2% (5) étaient en échec thérapeutique et 4 % (14) ne sont pas revenus pour faire le test final. En prenant les patients qui ont fait le test final (315), on arrive à 98% de succès thérapeutique. En 5 ans, en collaboration avec le ministère de la Santé du Cambodge, les équipes MSF sont parvenues à élaborer un modèle de soins simplifié et à apporter les preuves d’un très bon rapport entre le coût et l'efficacité du traitement administré.

Poursuivre le développement

Désormais, le déploiement de ce programme à l’échelle nationale se heurte notamment à la question de l’accès à des financements abordables et durables. Afin de lever ces barrières et de promouvoir le dépistage et la prise en charge de l’hépatite C au Cambodge, mais aussi dans des pays à revenu faible ou intermédiaire comme le Bangladesh, le Pakistan ou encore le Mozambique, Médecins Sans Frontières s’est associée avec le DNDi (Drugs for Neglected Diseases initiative), FIND (Alliance globale pour le diagnostic), et TAG (Treatment Action Group) pour former le HEPATITIS C PACT.

« La prise en charge de l’hépatite C est encore très largement sous-dotée aux niveaux mondial et national, explique Graciela Diap, qui travaille sur ces questions chez DNDi (l’initiative Médicaments contre les maladies négligées). Notre partenariat vise à inciter à l'investissement et au développement de la volonté politique, afin de mobiliser avec succès des ressources mondiales et nationales supplémentaires pour les programmes de lutte contre le VHC ». Le HEPATITIS C PACT s’attaquera aux nombreuses barrières d’accès (financements durables, brevet, amélioration des prises en charge, etc.) qui empêchent encore des millions de personnes d’accéder à un traitement efficace. 

À lire aussi