Reprise des massacres dans l’Est de la République centrafricaine : « S'ils nous trouvent dans la brousse ils vont nous égorger »
Après l’explosion de violence qu’a connue le pays en 2013 et 2014, puis la relative accalmie qui l’a suivi, des combats et de nouvelles exactions contre les populations ont repris dans l’est du pays. Depuis novembre 2016, les affrontements (notamment dans les préfectures d’Ouaka, de Haute-Kotto et de Mbomou) entre groupes armés s’accompagnent d’attaques ciblées contre les civils, souvent sur la base de critères ethniques ou religieux.
Les deux principaux acteurs armés qui s’affrontent dans la région sont tous deux issus de l’ancienne coalition Séléka. Il s’agit du Front Populaire pour la paix en Centrafrique (FPRC), un groupe rebelle issu des combattants essentiellement musulmans de la Séléka d’une part, et de l’Union pour la Paix en Centrafrique (UPC) comprenant essentiellement des combattants Peuls d’autre part. Des alliances de circonstances se créent, notamment entre le FPRC et d’autres acteurs armés comme les anti-balaka.
Les tensions pour le contrôle du territoire, de ses usages et de ses ressources, se sont muées en violents combats dans la ville de Bria en novembre 2016, se sont déplacées sur l’axe Ippy et étendues dans la région.
Abdou
« Je vis avec un handicap depuis plusieurs années maintenant. Quand le conflit a repris le 21 novembre, tout le monde a fui en courant, mais moi je ne pouvais pas. J'étais assis en face de la maison. Ma mère a couru vers moi malgré les balles et elle m'a ramené à l'intérieur de la maison. J'ai été touché par quatre balles dans le dos. Ma mère a risqué sa vie ce jour-là. Mes blessures ont empiré ma situation de handicap : je ne peux plus tenir debout, même avec l'aide d'un bâton. Tout est devenu très compliqué pour moi au cours de ces quatre derniers mois. »
Catherine
Catherine, 16 ans a fui avec ses parents et ses quatorze frères et soeurs après que son village, proche de Ippy, ait été incendié. Ils ont trouvé refuge dans une école, à 18 kilomètres de Bria.
« Nous n'avons pas de nourriture, nous dormons sur les bancs de l'école » raconte son père. Ils sont une cinquantaine de personnes dans l'école, sans abri depuis que leurs maisons ont été détruites.
Savien Robert Zoulemati
« Nous étions un groupe de cinq partis à la chasse. Après la chasse, on est revenus à notre campement, pour préparer le dîner et se reposer.
J'étais allongé sur le dos quand les Peuls lourdement armés nous ont attaqué. Ils sont arrivés par la rivière pour ne pas faire de bruit et on commencé à nous tirer dessus. Mes quatre compagnons se sont enfuis et j'ai été touché par les balles : une a brisé mon bras, la seconde a traversé ma hanche, et la troisième m'a touché à la jambe droite. Mes amis m'avaient abandonné et je me suis retrouvé seul sans assistance. J'ai dû faire beaucoup d'efforts pour retourner au village; je vomissais et saignais en route, j'étais vraiment épuisé. Mes compagnons de chasse avaient alerté le village et dans la soirée, mes parents sont venus me chercher. »
Adama
« Mon mari a été tué le 21 novembre 2016 quand le quartier a été attaqué. Je reste ici avec mes six enfants, sans aucune assistance. Sans mon mari, je ne sais pas comment je vais pouvoir nourrir ma famille. Nous avons peur de quitter le quartier, mais nous n'avons plus de liberté ici. Nous avons beaucoup souffert depuis ces quatre derniers mois. La nuit, nous ne dormons pas, nous avons peur de nouvelles attaques. »
Moussa
Moussa est père de trois enfants, originaire d'Ippy. Il vit aujourd'hui à Maloum. « Les combats entre l'Upc et les FRPC qui sont aussi aidés par les milices d'auto-défense sont intenses. Les miliciens ne veulent pas de Fulanis (Peulhs) dans les villages entre Ippy et Bria. Nous avons passés plus de dix jours en brousse avant d'arriver à Maloum. »
En mars 2017, un père de famille de 45 ans en fuite depuis que son village a été incendié en janvier 2017 déclare aux équipes MSF : « S’ils nous trouvent dans la brousse, ils vont nous égorger ». Son récit résonne avec de nombreux témoignages qui font état d’autres incendies de villages, d’exactions et de massacres commis par les diverses parties au conflit qui oppose UPC et FPRC et leurs alliés.
Katie, médecin MSF travaillait à l’hôpital de Bria, du 24 au 26 mars, lorsque d’intenses combats ont éclaté. L’organisation a alors reçu 24 blessés en trois jours : « Notre structure à Bria est un hôpital rural pour enfants, où nous soignons habituellement surtout des nourrissons atteints de paludisme. Mais pendant ce week-end tragique, toute l’équipe s’est mise à agir comme dans un centre de traumatologie pour adultes au beau milieu d’une zone de guerre. Je suis heureuse de pouvoir dire que nous avons sauvé de nombreuses vies qui n’auraient pu l’être si MSF n’avait pas été présente. »
C’est l’atmosphère étrangement calme qui a prévalu lorsque l’hôpital pédiatrique de Bria a soudainement dû fonctionner comme un centre de traumatologie pour adultes pour prendre en charge un afflux de blessés lors du week-end du 24 au 26 mars 2017 qui a frappé Katie Treble, médecin britannique volontaire MSF en mission à Bria. « Un grand nombre de personnes présentes avaient déjà vu ce type d’événement tant de fois auparavant que la panique ne semblait plus faire partie de leurs réactions, pas même chez les enfants ». Elle ajoute que l’un des patients qui l’a le plus marquée ce week-end-là était une petite fille de trois ans : « elle avait été atteinte d’une balle à la hanche et fut amenée par une quinzaine de membres de sa famille. Elle était incroyablement calme et restait allongée, sans pleurer, coopérant avec nous bien qu’elle ne comprenne pas pourquoi nous voulions la piquer avec des aiguilles, gardant sa main sur sa blessure. »
René Colgo, chef de mission adjoint de MSF, explique que les équipes qui apportent des services médicaux dans les zones de Bakouma et de Nzako depuis le 26 mars ont trouvé « des corps mutilés laissés à la vue de tous pour terroriser la population. »
Ces violences extrêmes se déroulent en partie dans des zones qui étaient considérées, au cours des deux dernières années, comme relativement stables.
« Nous avons trouvé des corps mutilés laissés à la vue de tous pour terroriser la population. »
René Colgo, chef de mission adjoint de MSF
3 questions sur les violences en RCA
Dans les villages de la région, les équipes de MSF rencontrent des civils qui sont traumatisés. Un grand nombre d’entre eux ont aussi été chassés de leurs foyers et ont perdu l’accès à leurs champs et à leurs moyens de subsistance. Durant les affrontements ou par peur des attaques, certains se réfugient en brousse, où ils survivent grâce à ce qu’ils peuvent y trouver à manger, d’autres dans des camps de fortune en espérant y trouver une certaine protection.
La peur des attaques motivées par l’appartenance à telle ou telle communauté incite les habitants à rester enfermés, à ne pas sortir de leurs quartiers respectifs, ce qui impacte notamment l’accès à des soins appropriés pour les malades et les blessés.