RDC : la réponse contre Ebola doit prendre en compte les besoins des populations

Activités de sensibilisation et d'information dans le Nord-Kivu. République démocratique du Congo. 2018.
Activités de sensibilisation et d'information dans le Nord-Kivu. République démocratique du Congo. 2018. © Alexis Huguet

L’épidémie d’Ebola qui sévit dans l’est de la République démocratique du Congo (RDC) dure maintenant depuis plus de huit mois et a causé le décès de près de 700 personnes. Ces dernières semaines, le nombre de nouveaux cas a fortement augmenté. L’une des raisons de cette augmentation, et donc de l’échec de la réponse contre l’épidémie, se trouve peut-être dans la difficulté des équipes de Médecins Sans Frontières de s’adapter aux besoins des populations locales. Le point avec Natalie Roberts, responsable des urgences MSF, de retour du terrain.

Je rentre d’une mission dans le Nord-Kivu, dans l’est de la RDC, où plus de 1 100 personnes ont été infectées par le virus Ebola et où sont concentrés plus de 60 % des décès depuis que l’épidémie a éclaté en août 2018. Avec cette épidémie, nous n’avons pas affaire à un seul épicentre majeur, mais plutôt à de multiples foyers un peu partout. Il nous est très difficile de les repérer et de prédire où se trouvera le prochain. On dirait qu’on court après l’épidémie, comme si on ne la maîtrisait pas vraiment.

Les centres de traitement d’Ebola (CTE) et les centres de transit (CT) sont remplis de patients, mais près de 90 % souffrent d’une autre pathologie qu'Ebola. D’autre part, de nouveaux cas d’Ebola se déclarent en dehors des zones d’intervention par les équipes de la réponse, de manière imprévue, ce qui a des conséquences funestes.

Le nombre de nouvelles infections a explosé en mars, passant de 26 à 72 par semaine. Ces dernières semaines, la moitié des personnes dépistées et confirmées Ebola n’entretenaient pas de liens avec d’autres patients atteints par Ebola et près de la moitié des nouveaux cas ont été confirmés seulement post-mortem. Ces personnes meurent sans avoir reçu les soins spécialisés qui auraient pu les aider, alors qu’elles sont passées par plusieurs centres de santé.

Une équipe de Médecins Sans Frontières se déplace entre Kalunguta et Butembo. 2018. République démocratique du Congo. 
 © Alexis Huguet
Une équipe de Médecins Sans Frontières se déplace entre Kalunguta et Butembo. 2018. République démocratique du Congo.  © Alexis Huguet

Transmission et crainte

Une bonne compréhension de la « chaîne de transmission » permet d’identifier rapidement les malades, de les placer sous traitement et de comprendre la façon dont le virus se transmet afin d’endiguer l’épidémie. Face à ce combat de longue haleine, les acteurs de la lutte contre Ebola ont adopté une approche hautement conservatrice dans la gestion des nouvelles alertes : les personnes qui présentent le plus vague symptôme compatible avec la maladie sont hospitalisées dans des centres dédiés, même si la probabilité est faible qu’il s’agisse en effet de cas d’Ebola.

La plupart des patients admis dans ces centres n’a donc pas encore été dépisté pour Ebola. Ils peuvent avoir les symptômes de la maladie, mais ces symptômes peuvent être associées à plusieurs autres maladies communes dans la région, notamment le paludisme. Les patients non infectés par Ebola passent donc un certain temps dans le centre sans recevoir de soins appropriés.

Un travailleur de santé MSF désinfecte l'entrée du centre d'isolement de Bunia après l'admission d'un patient affecté par Ebola. 2018. République démocratique du Congo. 
 © John Wessels
Un travailleur de santé MSF désinfecte l'entrée du centre d'isolement de Bunia après l'admission d'un patient affecté par Ebola. 2018. République démocratique du Congo.  © John Wessels

La crainte d’être hospitalisé de force vient s’ajouter à la mauvaise image des CTE auprès de la population : ces structures sont associées à une maladie mortelle, à une mise à l’isolement et à l’utilisation d’un équipement de protection qui rend le personnel méconnaissable et intimidant. Malgré des efforts pour rendre ces centres plus accueillants, notamment en installant des cloisons transparentes et en instaurant une plus grande proximité entre les patients et leurs visiteurs, pour les communautés voisines, ce qui se passe au-delà des entrées des CTE reste un véritable mystère. C’est pourquoi les personnes potentiellement malades font tout leur possible pour les éviter - même s’ils se rendent compte qu’ils ont peut-être contracté la maladie. Cette réticence de la communauté se heurte également à la détermination des acteurs du système de santé de s’assurer qu’aucun cas suspect ne passent entre les mailles du filet, ce qui crée davantage de réticence et de défiance.

« Comment rompre un tel cercle vicieux ? Il faut changer de stratégie. »

Dr. Natalie Roberts, responsable des urgences MSF

Les CTE sont spécialisés dans le traitement d’Ebola, mais les gens préfèrent se rendre dans les centres de santé traditionnels qu’ils connaissent, ce qui présente des avantages et des inconvénients. Ces structures permettent de garantir des soins aux patients, quelle que soit leur maladie. Mais ces structures n’ont pas toujours la possibilité d’effectuer des test Ebola, et leurs personnels de santé ont alors du mal à séparer d’un côté les malades qui pourraient être affectés par Ebola et ceux affectés par des maladies plus communes.

Des travailleurs de santé MSF à l'intérieur de la zone à risque du centre d'isolement Ebola de Bunia peu de temps après sa construction. Novembre 2018. République démocratique du Congo.
 © John Wessels
Des travailleurs de santé MSF à l'intérieur de la zone à risque du centre d'isolement Ebola de Bunia peu de temps après sa construction. Novembre 2018. République démocratique du Congo. © John Wessels

Cercle vicieux

Conséquence accablante de cette tendance, les structures de santé locales mal équipées se transforment en véritable vecteur de propagation du virus et accélèrent, de fait, l’épidémie. Tandis que les travailleurs de la santé sont en grande partie protégés par un vaccin non homologué mais très prometteur (proposé aux travailleurs de première ligne selon un protocole spécifique approuvé par l’OMS, ainsi qu’aux personnes ayant été en contact avec des cas confirmés), la transmission de patient à patient reste un problème particulièrement alarmant. Un patient qui a été admis dans une structure de santé pour un cas de paludisme ou pneumonie, ou pour un accouchement, peut partager une chambre ou des instruments médicaux avec un autre patient qui s’avère ensuite infecté par Ebola. Comme une semaine passe souvent entre le début des symptômes et la confirmation de la maladie, il peut arriver qu’un patient confirmé ait été en contact avec beaucoup d’autres patients dans plusieurs centres de santé, ce qui rend presque impossible le suivi de tous ces contacts. Les structures de santé contaminées deviennent ensuite non opérationnelles, ce qui réduit l’accès aux soins pour les habitants de la zone.

Cette inadéquation entre les mesures prises contre Ebola et les préférences de soins de la population a jusqu’à présent constitué un frein à la lutte contre le virus. Cela a pu contribué à la persistance de l’épidémie et à la récente hausse des infections, après une légère baisse de la transmission, anéantissant ainsi tout espoir d’endiguer rapidement l’épidémie. Je pense qu’il y a un véritable risque d’accroissement du nombre de cas. Si un foyer épidémique s’étend à une vaste population urbaine, dans une ville comme Goma, on risque de connaître une explosion du nombre de cas.

Des travailleurs de santé MSF retirent leurs équipements de protections individuels. République démocratique du Congo. 2018.
 © Alexis Huguet
Des travailleurs de santé MSF retirent leurs équipements de protections individuels. République démocratique du Congo. 2018. © Alexis Huguet

Comment rompre un tel cercle vicieux ? Il faut changer de stratégie. À Lubero, notre approche consiste à intégrer nos activités dans le système de santé, à s’assurer que les centres de santé peuvent détecter les symptômes d’Ebola, comme pour les autres maladies ; et à veiller à ce que ces centres de santé appliquent un niveau d’hygiène suffisant pour empêcher la diffusion de la maladie parmi les patients.

Ensuite, plusieurs scénarios sont possibles.

  • Si un patient n’est pas gravement malade, mais souffre potentiellement d’Ebola, nous nous assurons qu’il puisse être dépisté dans le centre de santé lui-même, voire à domicile.

  • Si un patient montre des signes de maladie sévère, il sera transféré à l’hôpital, dans une zone spécialement adaptée à l’isolation et à la réanimation, où nous pourrons prendre en charge d’autres maladies avec des symptômes similaires, comme la septicémie ou le paludisme sévère. Pendant cette prise en charge initiale, on pourra le dépister en envoyant l’échantillon de sang au laboratoire le plus proche, à Butembo.

Nous n’admettons les malades dans les centres de traitement d’Ebola, que quand nous sommes sûrs qu’ils ont été infectés par le virus. Ils reçoivent alors des soins adaptés à la sévérité de leur maladie. Nous limitons également les transferts au CTE et proposons des soins plus complets. Enfin, nous encourageons la population à participer à l’effort de lutte contre le virus.

Ce dont nous avons également besoin, c’est d’une communication plus efficace sur les avantages de signaler un malade aux centres de santé dès l’apparition des premiers symptômes. Nous voulons que la population comprenne que, quelle que soit la maladie, les résultats sont généralement plus probants si le malade est pris en charge rapidement. Pour Ebola, les conclusions sont les mêmes que pour la septicémie ou le paludisme. Si les patients attendent d’être très malades pour se faire soigner, ils s’exposent à un plus grand risque de décès. Si les tests en laboratoire confirment qu’un patient souffre d’Ebola, il faut lui expliquer très clairement qu’un transfert prompt dans une structure dédiée peut accroître ses chances de survie.

Ebola est une maladie très inquiétante. Il est normal que les gens en aient peur et ne comprennent pas vraiment les mesures mises en place pour tenter d’endiguer l’épidémie. Ils n’en voient nullement les avantages pour eux et ont le sentiment que les efforts de lutte contre le virus sont inefficaces. Ils n’ont pas de pouvoir sur leurs propres soins. Il faut que nous y remédiions et que nous commencions à élaborer d’autres approches pour maîtriser l’épidémie d’Ebola et gérer les soins apportés à la population.

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