Pas de vallée sans ombre. Récit des débuts du mouvement de lutte contre le VIH en Afrique du Sud

Pas de vallée sans ombre
© Wayne Conradie

« Pas de vallée sans ombre » est un récit personnel et un hommage – tel que s’en souviennent le personnel de MSF et d’autres – à la façon dont les activistes et les personnes souffrant du sida ont lancé la plus grande révolution sanitaire d’Afrique du Sud : des soins contre le VIH gratuits et pour tous.

« Le sida est une guerre contre l’humanité. »

Nelson Mandela

Novembre 2003. MSF avait placé 650 patients sous antirétroviraux. Jamais un nombre aussi élevé de personnes avait bénéficié de ce traitement dans un établissement public en Afrique du Sud.

Novembre 2003. Nolubabalo Madondile, 29 ans, est travailleuse bénévole pour MSF. Elle est séropositive et mère d’un enfant de deux ans qui, lui, est séronégatif.

Novembre 2003. Khayelitsha, Afrique du Sud. Un médecin de MSF examine un patient séropositif.

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Novembre 2003. MSF avait placé 650 patients sous antirétroviraux. Jamais un nombre aussi élevé de personnes avait bénéficié de ce traitement dans un établissement public en Afrique du Sud.

Novembre 2003. Nolubabalo Madondile, 29 ans, est travailleuse bénévole pour MSF. Elle est séropositive et mère d’un enfant de deux ans qui, lui, est séronégatif.

Novembre 2003. Khayelitsha, Afrique du Sud. Un médecin de MSF examine un patient séropositif.

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Entre 1998 et 2003, ils ont organisé des manifestations, mené des campagnes de résistance et des actions en justice non seulement pour lutter contre les groupes pharmaceutiques qui profitaient de la crise sanitaire, mais aussi - malheureusement - contre leur ancien allié, le gouvernement sud-africain.

Voici leur histoire.

Novembre 2013. Lusikisiki, dans l’ancien Transkei, en Afrique du Sud. Un groupe de soutien aux personnes séropositives dans une clinique de MSF.
 © Francesco Zizola/Noor
Novembre 2013. Lusikisiki, dans l’ancien Transkei, en Afrique du Sud. Un groupe de soutien aux personnes séropositives dans une clinique de MSF. © Francesco Zizola/Noor

Ironie du sort

En 1994, alors que l’Afrique du Sud fêtait sa difficile victoire face à l’apartheid, le pays s’est retrouvé plongé dans une nouvelle crise. Une maladie incurable, le VIH – qui s’attaque et détruit le système immunitaire du patient – s’est répandue comme une traînée de poudre dans le pays. En l’an 2000, on estimait à 4,2 millions le nombre de Sud-Africains contaminés par le VIH. Le virus faisait près de mille victimes par jour. Les stigmatisations à l’encontre des malades étaient fréquentes et, bien souvent, fatales. À l’exception d’une minorité de malades couverts par une assurance privée, la population n’avait pas les moyens de se soigner : une année d’antirétroviraux coûtait entre 10 000 $ et 12 000 $. Et les groupes pharmaceutiques refusaient catégoriquement de baisser leurs prix.

Début des années 2000. Un médecin de MSF examine un patient à Khayelitsha. Les posters sur le mur témoignent des actions en faveur d’un accès facilité aux traitements contre le VIH.
 © Sebastian Charles
Début des années 2000. Un médecin de MSF examine un patient à Khayelitsha. Les posters sur le mur témoignent des actions en faveur d’un accès facilité aux traitements contre le VIH. © Sebastian Charles
Un traitement ARV pour des patients atteints du VIH/SIDA à Khayelitsha, un township près du Cap, en Afrique du Sud.
 © Sebastian Charles
Un traitement ARV pour des patients atteints du VIH/SIDA à Khayelitsha, un township près du Cap, en Afrique du Sud. © Sebastian Charles

Des études prometteuses menées en Thaïlande ont montré qu’une combinaison d’antirétroviraux incluant de l’AZT permettait de réduire de 50 pour cent les chances de transmission du VIH de la mère au fœtus. Mais en Afrique du Sud, le ministère de la Santé a interdit l’utilisation d’AZT pour les femmes enceintes dans le secteur public. En février 2000, MSF et ses partenaires ont ouvert une clinique « discrète » dans le township de Khayelitsha, au Cap, afin de soigner les mères séropositives ainsi que leurs partenaires. La clinique a très rapidement été dépassée par le nombre d’arrivées.

« Vers la moitié de l’année 2000, quelques mois après l’ouverture, nous avions déjà reçu plusieurs centaines de patients séropositifs. Certains arrivaient sur un brancard. La salle d’attente était d’ailleurs remplie de civières. D’autres étaient amenés dans des brouettes jusqu’à notre salle d’attente, comme ça, devant tout le monde. Le phénomène de stigmatisation des malades a très vite diminué car les gens se sont rendus compte qu’ils n’étaient pas les seuls dans ce cas. »

Un médecin MSF

Une alliance de courte durée

En 1998, une coalition de 42 groupes pharmaceutiques a assigné le gouvernement en justice, après que ce dernier a tenté d’amender les lois sur les brevets pour permettre l’importation de médicaments génériques abordables, principalement d’antibiotiques. L’affaire - Big Pharma contre Nelson Mandela - a duré trois ans, jusqu’en mars 2001. Quelques activistes de la lutte contre le VIH se sont mobilisés pour soutenir le gouvernement, espérant qu’une victoire garantirait des soins à tous les Sud-Africains atteints du virus. Le 19 avril, au vu de l’image désastreuse que leur donnait cette affaire, Big Pharma a annoncé son retrait du procès ; la foule a exulté.

« Le tribunal était plein. Pendant qu’on attendait le juge, les gens ont commencé à chanter. J’en ai eu la chair de poule. On sentait bien qu’ils allaient renoncer au procès… Et lorsqu’ils l’ont finalement annoncé, on a éclaté de joie, tout le monde s’est mis à danser. C’était incroyable. »

Un conseiller juridique de MSF pour la Campagne d’accès aux médicaments essentiels (CAME)

Le 19 avril 2001 à Pretoria, Afrique du Sud. Des activistes du VIH s’expriment en conférence de presse.

Un conseiller juridique de MSF s’exprime en conférence de presse. 

Des activistes du VIH célèbrent la victoire et boivent du champagne lors de la conférence de presse.

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Le 19 avril 2001 à Pretoria, Afrique du Sud. Des activistes du VIH s’expriment en conférence de presse.

Un conseiller juridique de MSF s’exprime en conférence de presse. 

Des activistes du VIH célèbrent la victoire et boivent du champagne lors de la conférence de presse.

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Le soir même, la ministre de la Santé de l’époque, Manto Tshabalala-Msimang, a invité les membres de la Treatment Action Campaign (TAC), de MSF et de l’équipe juridique à venir chez elle célébrer la victoire. Le gouvernement pouvait désormais importer des médicaments génériques.

C’était « la première et la dernière fois que nous buvions du champagne avec Manto Tshabalala-Msimang… ».

Un médecin MSF

Le gouvernement a rapidement fait savoir qu’il n’avait aucune intention d’importer des ARV génériques.

Des manifestants rassemblés devant la Cour suprême, 5 mars 2001, Pretoria, Afrique du Sud.
 © Lori Waselchuk
Des manifestants rassemblés devant la Cour suprême, 5 mars 2001, Pretoria, Afrique du Sud. © Lori Waselchuk

Pas question de revenir en arrière : nous avons besoin de génériques

Bien que totalement bloquée dans ses actions par le ministère de la Santé, MSF a été autorisée début 2001 à lancer à Khayelitsha un programme antirétroviral local ouvert au public – le premier de ce genre en Afrique du Sud.

Toutefois, MSF devait financer elle-même l’achat des médicaments, ce qui, sans ARV génériques, était tout simplement impossible d’un point de vue financier. MSF n’a pu fournir de traitement antirétroviral princeps qu’à 180 personnes. Pourtant, des milliers de personnes étaient malades. Le personnel de la clinique a été contraint de choisir les patients qui allaient pouvoir être soignés et ceux qu’il allait falloir abandonner.

Afin d’obtenir les ARV génériques dont elle avait terriblement besoin, MSF a conclu un accord secret avec le gouvernement brésilien (avec l’accord tacite de l’agence sud-africaine des médicaments).

 

12 décembre 2002. Le Cap. Nelson Mandela visite une clinique MSF luttant contre le VIH, adressant son soutien à cette initiative.

12 décembre 2002. Nelson Mandela et Zackie Achmat (TAC) lors de sa visite dans le township de Khayelitsha, à l’extérieur du Cap.

12 décembre 2002. Accueil de Nelson Mandela à Khayelitsha. La fondation Mandela a par la suite collaboré avec MSF dans le lancement d’un projet VIH.

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12 décembre 2002. Le Cap. Nelson Mandela visite une clinique MSF luttant contre le VIH, adressant son soutien à cette initiative.

12 décembre 2002. Nelson Mandela et Zackie Achmat (TAC) lors de sa visite dans le township de Khayelitsha, à l’extérieur du Cap.

12 décembre 2002. Accueil de Nelson Mandela à Khayelitsha. La fondation Mandela a par la suite collaboré avec MSF dans le lancement d’un projet VIH.

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Suite à cet acte de résistance, le gouvernement a exercé des pressions sur MSF et la TAC. Il ne faisait plus aucun doute que Thabo Mbeki et de nombreux membres de son cabinet s’opposaient activement aux ARV. Mais dans le même temps, les pressions populaires en faveur d’un plan national de traitement contre le VIH se faisaient de plus en plus fortes.

En 2002, lors de la conférence de Barcelone sur le SIDA, l’équipe de MSF a présenté le bilan de son initiative à Khayelitsha. Les résultats étaient spectaculaires : 91% des patients étaient toujours sous traitement et en bonne santé. Les détracteurs ne pouvaient plus ignorer cette vérité scientifique.

Au début de l’année 2003, un procès historique engagé par la TAC a montré que deux groupes pharmaceutiques avaient abusé de leur position dominante sur le marché des antirétroviraux. Suite à ce cas de jurisprudence, quatre entreprises indiennes productrices d’antirétroviraux génériques ont enfin été autorisées à distribuer leurs produits en Afrique du Sud. Et le 8 août 2003, après de nombreuses années de lutte, le gouvernement sud-africain a annoncé le lancement de traitements antirétroviraux gratuits pour tous.

 

Township de Khayelitsha, Le Cap, mars 2011.
 © Kenneth Tong
Township de Khayelitsha, Le Cap, mars 2011. © Kenneth Tong

Aujourd'hui

« Quand je repense à ces évènements, quinze ans après, je suis frappé par les progrès réalisés dans la lutte contre le VIH. Ce qui n’était qu’une utopie au début des années 2000 est aujourd’hui la norme dans la majorité des pays subsahariens. »

Un médecin MSF

 

Depuis la moitié des années 1990, MSF prend en charge des personnes vivant avec le VIH/SIDA et milite activement avec ses partenaires afin de permettre à tous un accès à des soins abordables et de qualité. Aujourd’hui, MSF soigne 250 000 personnes dans 19 pays d’Afrique, d’Asie et d’Europe de l’Est, et continue d’agir pour permettre l’accès à des traitements et à des méthodes de dépistage (pour le VIH et la tuberculose) abordables et plus récents.

Lors de la conférence AIDS2016, MSF fera part de ses recherches opérationnelles dans le domaine des modèles de soins simplifiés et adaptés aux patients, du dépistage à l’échelon local, de l’accès aux soins, de la rétention en traitement, des ressources humaines dans le domaine de la santé et du suivi de charge virale. MSF détaillera également la situation dans les pays d’Afrique de l’Ouest et centrale et dans les zones de conflit où les thérapies antirétrovirales sont difficiles d’accès, et transmettra les dernières informations dont elle dispose sur l’évolution du prix des médicaments et les menaces qui pèsent sur les antirétroviraux génériques.

Examen de pression artérielle d’une jeune mère séropositive lors d’une réunion du club d’observance des traitements d’Eshowe, dans le KwaZulu-Natal.
 © Greg Lomas /MSF
Examen de pression artérielle d’une jeune mère séropositive lors d’une réunion du club d’observance des traitements d’Eshowe, dans le KwaZulu-Natal. © Greg Lomas /MSF
Des lycéens écoutent attentivement un discours sur la santé, Hhashi, zone rurale du KwaZulu-Natal, province fortement touchée par le VIH.
 © Greg Lomas /MSF
Des lycéens écoutent attentivement un discours sur la santé, Hhashi, zone rurale du KwaZulu-Natal, province fortement touchée par le VIH. © Greg Lomas /MSF
Des lycéens font la queue devant le stand mobile 1-Stop d’information et de dépistage de MSF, Hhashi, zone rurale du KwaZulu-Natal.
 © Greg Lomas /MSF
Des lycéens font la queue devant le stand mobile 1-Stop d’information et de dépistage de MSF, Hhashi, zone rurale du KwaZulu-Natal. © Greg Lomas /MSF

Le livre

Vous trouverez le livre de MSF PAS DE VALLÉE SANS OMBRE, MSF et son combat pour des ARV abordables en Afrique du Sud en cliquant sur le bouton ci-dessous. 

Le livre

Pas de vallée sans ombre, publié par Médecins Sans Frontières, se base sur des interviews de membres de MSF ainsi que d’autres personnes ayant participé à la lutte pour des ARV abordables en Afrique du Sud. L’opinion des personnes interrogées ne reflète pas nécessairement celle de l’organisation Médecins Sans Frontières.

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