Cette mission ne ressemble pas à mes précédentes en République
Démocratique du Congo. Il y a beaucoup plus d'enfants et surtout
beaucoup sont dans des états graves. Dans d'autres programmes de prise
en charge de la malnutrition, les enfants restent hospitalisés jusqu'à
ce qu'ils soient guéris. Ici, dès qu'ils vont un peu mieux, ils
retournent chez eux et ne reviennent qu'une fois par semaine, dans un
centre proche de leur village, jusqu'à la fin du traitement. C'est
beaucoup mieux pour l'enfant et pour la maman. Le médecin donne les
premiers soins mais ensuite c'est la mère, à la maison, qui a la
responsabilité de nourrir son enfant avec les compléments alimentaires.
Nous sommes présents pour suivre l'évolution, intervenir si l'enfant ne
prend pas suffisamment de poids mais c'est la maman, chez elle, qui
soigne son enfant et qui le guérit. Presque neuf enfants sur dix
quittent le programme en ayant atteint leur objectif de prise de poids.
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Sylvaine au centre nutritionnel d'Aguié, juillet 2005
"Il y a les enfants qui vont mieux, et ceux que je n'ai pas pu sauver.
Si un enfant accepte de manger, c'est le pas décisif et s'il réclame à
manger, là c'est merveilleux !"
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S’il réclame à manger, c’est merveilleux
Je soigne surtout ceux qui arrivent aux soins intensifs, souvent très
tardivement. Certains sont dans un état de semi-conscience, d'autres
ont du mal à respirer à cause d'infections respiratoires. Ils peuvent
être très déshydratés, parfois très anémiés. Ils souffrent souvent de
plusieurs infections sévères. En quelques jours, je peux observer des
changements importants. Quand j'arrive près d'un enfant et qu'il me
regarde, je sais qu'il va mieux ; quand je m'approche et qu'il a la
force de pleurer, je suis contente. S'il accepte de manger, c'est le
pas décisif et s'il réclame à manger, là c'est merveilleux ! Ensuite,
je ne le vois plus : il est prêt à rentrer chez lui pour poursuivre le
traitement. Je ne le verrai pas se remettre à sourire et à jouer.
Un silence brutal
Et puis il y a ceux que tu n'as pas pu sauver. Ceux que tu as soignés
pendant plusieurs jours... Sans succès. Tu t'es battue pour lui, tu as
eu des espoirs, un signe positif, tu veux y croire. Et puis il rechute.
Tu tentes de le réanimer, tu essaies tout ce que tu peux. Sous le
regard de toutes les autres mamans dans la salle des soins intensifs.
C'est fini. Tu le dis à la maman. Elle attend pendant que tu ôtes la
perfusion, tout le matériel médical. Elle prend son enfant sur le dos
et elle part, en le portant comme elle l'a fait tous les jours depuis
sa naissance. Certaines disent merci. D'autres pleurent, les larmes
coulent sur leurs joues, sans un geste, sans un mot. Leur visage est
figé, c'est comme si la mort de leur enfant plaquait un masque sur
leurs traits. Elles quittent le centre ainsi, droites, sans bruit, sous
les regards. Moi je suis bouleversée par leur calme. En un sens c'est
plus simple, je n'affronte pas leur colère ou leurs cris. Mais j'ai
l'habitude que les émotions se manifestent. Ce silence là est brutal.