Les aliments thérapeutiques, des médicaments essentiels

Au Niger, sur l'ensemble de l'année 2005, les équipes médicales de MSF
devraient prendre en charge près de 30 000 enfants souffrant de
malnutrition sévère. La plupart seront suivis sans avoir à les
hospitaliser. Milton Tectonidis, spécialiste de la nutrition pour MSF,
rentre tout juste d'un mois sur nos programmes au Niger et explique
comment les soins à domicile, sans hospitalisation, nous permettent
d'augmenter considérablement le nombre d'enfants soignés.

En quoi les avancées dans la prise en charge de la malnutrition aident-elles MSF à mieux faire face à l’ampleur de la crise nigérienne actuelle ?
La plupart des enfants sévèrement malnutris admis dans notre programme sont suivis par le biais de consultations externes. C'est ce que nous appelons la prise en charge "en ambulatoire". En clair, nous ne voyons qu'une fois par semaine les enfants qui ont de l'appétit et ne sont pas gravement malades. A ceux-là, lors de leur visite hebdomadaire dans un de nos centres, nous distribuons 14 sachets (2 par jour) de Plumpy'nut, un aliment thérapeutique relativement récent, et ils bénéficient d'une consultation pour vérifier qu'ils ne développent pas de complications médicales. Nous donnons en outre à leurs mères une ration familiale dite " de protection " composée d'Unimix – une farine enrichie – et d'huile. En résumé, le Plumpy'nut est une nourriture spécialisée qui comprend tous les macro et micro nutriments, dans les bonnes proportions, pour favoriser la prise de poids rapide chez les enfants malnutris. Seuls les plus mal en point – soit qu'ils n'aient pas d'appétit, soit qu'une maladie s'ajoute à leur état de malnutrition – sont transférés vers ce que nous appelons désormais une unité de stabilisation – qui ressemble plus ou moins à un hôpital – où ils recevront des soins plus intensifs. Une fois stabilisés, ils peuvent continuer le programme en consultation externe.

Ce mode de prise en charge ne veut pas dire que les enfants en suivi ambulatoire sont moins sévèrement malnutris que les enfants hospitalisés. Cela signifie simplement qu'il n'est pas nécessaire d'hospitaliser systématiquement un enfant sévèrement malnutri. La première expérience a été réalisée en Inde, voici une vingtaine d'année, dans les grandes villes. Aux enfants souffrant de malnutrition, les autorités distribuaient des purées de lentilles ou autres, à consommer à domicile. Elles ont conclu que c'était aussi efficace que d'hospitaliser les enfants. Pendant longtemps, personne ne s'est emparé de cette information. Il a fallu attendre l'article de Steve Collins publiée dans la revue médicale The Lancet en 2002 pour que les spécialistes de la nutrition se mettent à débattre de la prise en charge à domicile des enfants sévèrement malnutris. Cependant, l'innovation qui a révolutionné la prise en charge a été l'apparition d'aliments spécialisés prêts à consommer, qui ne nécessitent pas de préparation, se présentent en sachets individuels, n'exigent pas d'y ajouter de l'eau et ne peuvent être contaminés. C'est parce qu'il fallait diluer les laits thérapeutiques en poudre existants que nous étions réticents à les distribuer pour une utilisation à domicile. Nous ne savions pas si les mères respecteraient le dosage pour la dilution et si elles auraient accès à de l'eau de bonne qualité. Nous craignions donc de faire plus de mal que de bien.

Ce nouveau mode de prise en charge a-t-il eu un impact au Niger ?
Nous n'aurions jamais pu traiter autant d'enfants. Avant, nous aurions probablement cantonné notre action à la région de Maradi, avec peut-être trois ou quatre centres nutritionnels thérapeutiques fixes. Caala, en Angola en 2002, a été la dernière grosse opération d'urgence de MSF sur la nutrition conduite sans prise en charge en externe. Avec trois centres nutritionnels, nous avons admis 8 600 enfants. Ici au Niger, nous avons été en mesure d'étendre nos programmes et de traiter bien plus d'enfants, et pensons atteindre un total de 30 000 enfants pris en charge en 2005. C'est donc une différence colossale. Notre expérience ici pourrait bien faire de la combinaison hospitalisation/suivi ambulatoire la stratégie définitive pour MSF en matière de nutrition. Je ne crois pas que nous puissions revenir en arrière.

Existe-t-il un moyen, pour les autorités du Niger et d’ailleurs, de résoudre certains des problèmes chroniques associés à la malnutrition ?
Tout le monde parle de la nature chronique et des racines de la crise actuelle – ces débats sont sans fin. Mais au cours des quatre dernières années, notre présence au Niger nous a permis d'observer l'insécurité alimentaire sur le long terme et nous avons quelques idées sur la question. Le plus efficace, du point de vue médical, serait d'intégrer les aliments thérapeutiques pour les enfants sévèrement malnutris – comme le Plumpy'nut ou le BP100 – à l'offre de services régulière du système de santé. Ils devraient être utilisés comme des médicaments essentiels – à l'instar des ARV pour les malades du sida et des ACT pour le paludisme – et pas seulement lors de périodes d'urgence. Bientôt, un nouveau produit pour traiter la malnutrition aiguë modérée devrait être disponible. Il sera alors possible de soigner les deux stades de la malnutrition aiguë (modérée et sévère) à l'aide d'aliments thérapeutiques spécialisés. Ces produits doivent impérativement être accessibles. Dans nos centres au Niger, nous voyons des femmes venir de loin pour obtenir un traitement pour leur enfant.

Quelle impression t’a laissé ta mission au Niger ?
L'une des choses qui m'a le plus marqué au cours de ma mission au Niger a été une distribution de nourriture par une autre organisation dans un village où nous avions un centre ambulatoire. Parce qu'ils craignaient de ne pas drainer suffisamment de monde, les responsables de cette ONG s'étaient rendus dans plusieurs villages pour annoncer leur distribution. Résultat, ce léger effort de mobilisation a failli déboucher sur une émeute. Cela montre à quel point les gens manquent de nourriture. Ceux qui affirment que la situation actuelle est comparable aux années précédentes se trompent lourdement. La pénurie alimentaire est forte, touche de nombreuses familles, et nous voyons arriver dans nos centres beaucoup d'enfants dans des états catastrophiques.

À lire aussi