Jordanie - Auprès des Irakiens les plus gravement blessés

La plupart des patients soignés dans le projet chirurgical d'Amman présentent des blessures extrêmement complexes souvent infectées qui nécessitent plusieurs opérations de chirurgie réparatrice et plusieurs semaines d'hospitalisation.
La plupart des patients soignés dans le projet chirurgical d'Amman présentent des blessures extrêmement complexes, souvent infectées, qui nécessitent plusieurs opérations de chirurgie réparatrice et plusieurs semaines d'hospitalisation. © Philippe Conti

Ouvert en août 2006, le projet chirurgical d'Amman a jusqu'à présent accueilli plus de 700 blessés irakiens, en attente d'une ou plusieurs interventions chirurgicales complexes et quasi impraticables dans un Irak en guerre. Entretien avec Olivier Maizoué, chef de mission à Amman.

Ouvert en août 2006, le projet chirurgical d'Amman a jusqu'à présent accueilli plus de 700 blessés irakiens, en attente d'une ou plusieurs interventions chirurgicales complexes et quasi impraticables dans un Irak en guerre. Entretien avec Olivier Maizoué, chef de mission à Amman.

Près de trois ans après le début de nos activités en Jordanie, que penses-tu de l'impact de ce projet ?

1800 opérations pour 700 patients... Les chiffres paraissent modestes quand on les compare à ceux d'autres projets MSF, quand on connaît le coût élevé de ce programme et qu'on pratique de la chirurgie froide où aucun pronostic vital n'est engagé. Mais la comparaison s'arrête là.

L'évolution du conflit irakien, avec une violence qui n'épargne ni les organismes internationaux ni les civils du fait des méthodes de guerre nous a empêchés d'agir au plus près des blessés. Il nous a donc fallu innover dans notre mode d'intervention, tout en maintenant l'objectif d'aider au mieux nos collègues médecins irakiens à faire face aux lacunes d'un système de santé bouleversé par la guerre.

Ainsi, la plupart des patients que nous accueillons ici présentent des blessures extrêmement complexes, souvent infectées, qui nécessitent plusieurs opérations de chirurgie réparatrice et plusieurs semaines d'hospitalisation.

Intégralement pris en charge par MSF, ces blessés n'ont pu recevoir les soins et le suivi appropriés en Irak. Ils sont accueillis à Amman après de longs mois - voire de longues années - de patience (et de douleur), grâce à des collègues médecins irakiens qui sélectionnent et nous expédient leur dossier.

Aujourd'hui, 250 patients figurent dans la liste d'attente pour venir se faire soigner dans notre programme, et cette liste continue d'être alimentée. Or, avec des durées de séjour à Amman extrêmement longues*, des interventions aussi complexes que coûteuses, une prise en charge totalement gratuite pour les patients et une diversité des soins allant de l'accompagnement psychologique à la physiothérapie, ce projet atteint aujourd'hui les limites de ses capacités, au rythme de trente à trente-cinq nouvelles admissions chaque mois.

C'est  pourtant une satisfaction, notamment quand on sait les difficultés rencontrées pour intervenir efficacement dans le contexte irakien et pour soigner ce type de blessures.

 

Quelles sont les difficultés que tu évoques ?

Au début de ce projet, nous ne mesurions pas toutes les contraintes qu'il nous faudrait surmonter. Nos objectifs d'inclusions étaient d'ailleurs plus ambitieux. Mais c'était sans connaître les difficultés inhérentes au contexte, dès lors qu'il était impossible d'intervenir directement en Irak, qu'il nous fallait patiemment construire un réseau de médecins en installant une relation de confiance et qu'il nous a fallu entreprendre de nombreuses démarches pour que les patients soient autorisés à venir en Jordanie.

Au-delà de ces difficultés, c'est surtout la complexité des blessures et de la prise en charge des patients qu'il nous a fallu surmonter, et qui nous a progressivement conduit à revoir nos ambitions tout en conservant l'objectif d'agir en complément des structures de santé altérées et absorbées par les urgences.

Ainsi en Irak, le problème est moins lié à la compétence des soignants ou à la disponibilité du matériel qu'aux conditions d'exercice d'une telle médecine : parce qu'elle exige un environnement et des techniques spécifiques, du temps, un suivi et une attention soutenus, elle ne peut se pratiquer que dans un cadre qui s'y prête.

En ce sens, ce qui est possible en Jordanie ne l'est pas en Irak oscillant entre reconstruction et poursuite du conflit : si MSF avait pu y travailler, elle n'aurait certainement pas fait mieux que ses collègues irakiens, et n'aurait donc pas pu monter ce type de projet.

 

Cette expérience ne nous permet-elle pas aussi de mieux connaître l'impact du conflit irakien sur les civils ?

On doit se garder de tirer des enseignements généraux quant au sort des civils, notamment à partir d'un projet aussi spécifique que celui d'Amman. D'autant que la situation sécuritaire évolue en Irak. Cependant, plusieurs éléments me paraissent intéressants à souligner.

Grâce à nos collègues médecins présents en Irak, ce projet de chirurgie réparatrice mis en place à partir d'Amman nous a permis d'accueillir progressivement des patients en provenance de toutes les régions d'Irak, c'est un point essentiel pour MSF.

Toutefois, nous sommes loin de pouvoir répondre à tous les types de prise en charge. Par exemple, sur les 900 dossiers reçus à Amman en 2008, seuls 440 ont été validés par nos équipes chirurgicales. Au-delà du type de chirurgie que nous pratiquons à Amman, les blessures sont donc parfois si complexes ou le risque si élevé qu'il nous dissuade de tenter toute intervention.

Enfin, si nos activités mettent en lumière l'ampleur des souffrances physiques et psychologiques endurées par les patients, elles gardent aussi dans l'ombre une part des conséquences de ce type de violence. Ainsi, le nombre important d'attentats suicides ou de voitures piégées se traduit non seulement par de lourds handicaps, mais aussi par la stigmatisation, l'exclusion sociale ou la perte d'un emploi, sans parler de la douleur d'avoir parfois perdu un ou plusieurs membres de sa famille.

A cela s'ajoute pour certains le poids de continuer à vivre dans un pays dans lequel ils n'ont plus ni attache, ni repère. Et à cela notre médecine est incapable de répondre.

 * En moyenne, la durée de séjour d'un patient à Amman est de 110 jours. Les patients sont hospitalisés et séjournent à l'hôtel entre deux interventions chirurgicales, ou le temps nécessaire à la rééducation.

 

Le projet chirurgical d'Amman

Après plus de six ans de guerre, les services d'urgence des hôpitaux irakiens prennent en charge les blessés les plus graves car ils sont en première ligne. Le suivi de ces patients est ensuite difficile au regard de l'état de détérioration du système de santé. De nombreux médecins ont quitté le pays, et les hôpitaux manquent des moyens nécessaires pour faire face aux nombreuses victimes du conflit.

Face à cette situation, MSF a décidé d'ouvrir un programme chirurgical à Amman en août 2006. En collaboration avec l'hôpital du Croissant Rouge jordanien, ce projet accueille les patients irakiens gravement blessés depuis plusieurs mois, voire plusieurs années, et dont l'état nécessite une ou plusieurs interventions de chirurgie réparatrice : orthopédique, maxillo-faciale ou plastique.

Ce programme a vu le jour grâce à l'appui d'un réseau de médecins irakiens, chargés d'identifier les patients et d'entreprendre les démarches administratives et logistiques nécessaires à leur transfert en Jordanie.

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