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France : fichage des mineurs non accompagnés, « une logique sécuritaire et de répression »

Un jeune bénéficiaire du projet MSF Passerelle regarde par la fenêtre depuis l’hôtel. 2018. France.
Un jeune bénéficiaire du projet MSF Passerelle regarde par la fenêtre depuis l’hôtel. 2018. France. © Augustin Le Gall/Haytham

Médecins Sans Frontières et dix-huit autres associations et syndicats en France contestent la légalité d’un récent décret qui instaure le fichage des mineurs isolés, en saisissant le Conseil d’État. Priscillia de Corson, chargée de plaidoyer au sein du programme de Médecins Sans Frontières auprès des mineurs non accompagnés en France, fait le point sur les procédures en cours et sur les raisons qui ont poussé l’organisation à s’impliquer dans ce combat.

1) Le 4 avril, le Conseil d’État a refusé de suspendre l’exécution du décret que dénoncent MSF et dix-huit autres organisations. Que représente cette décision et quels sont les prochains développements?

MSF a saisi le Conseil d’État en février 2019 car nous estimons que les jeunes étrangers qui se déclarent mineurs et qui arrivent seuls en France sont mis en danger par de nouvelles réglementations qui viennent modifier la procédure d’évaluation qui détermine leur accès à une protection au titre de l’Aide sociale à l’enfance.

Ce sont ces jeunes, particulièrement vulnérables, que nos équipes aident au quotidien à travers le centre de jour de Pantin et différentes activités. Ces nouvelles réglementations introduisent par exemple un fichage biométrique et un passage obligé en préfecture pour les jeunes entamant les démarches pour être reconnus comme mineurs. Pour l’instant ceci n’est expérimenté que dans trois départements, mais il est prévu une mise en place à l’échelle nationale avant la fin du mois de mai 2019.

Il est regrettable que le Conseil d’État n’ait pas suspendu d’urgence l’application de ce décret, mais ce n’est qu’une première étape. En plus de la procédure d’urgence (appelée « référé-suspension »), nous avions aussi sollicité le Conseil d’État pour annuler purement et simplement ce décret, et ainsi supprimer la prise d’empreinte en préfecture. Cette deuxième étape prend plusieurs mois. Nous restons mobilisés!

2) En quoi l’application de ce décret met-elle en danger les enfants et adolescents isolés? Quels sont les risques?

Il faut rappeler qu’aujourd’hui être reconnu comme un mineur isolé et être protégé à ce titre relève vraiment du parcours du combattant. C’est pour cela que nous avons choisi à MSF de diriger tout particulièrement nos actions en France en faveur de ce public. Rien n’est facilité pour des jeunes qui ont pour la plupart déjà subi de nombreux traumatismes, et avec ce décret, on bascule vers une logique sécuritaire et de répression au lieu de garantir et d’organiser une protection de l’enfance efficace.

Des cours de français sont organisés par des professeurs bénévoles pour aider les jeunes à perfectionner leur niveau de langue, dans une salle d’activité de l’hôtel Passerelle de MSF. 2018. France.
 © Augustin Le Gall/Haytham
Des cours de français sont organisés par des professeurs bénévoles pour aider les jeunes à perfectionner leur niveau de langue, dans une salle d’activité de l’hôtel Passerelle de MSF. 2018. France. © Augustin Le Gall/Haytham

L’obligation de se présenter en préfecture, associée pour de nombreux jeunes à la peur de la police et de l’arrestation, risque d’en effrayer beaucoup, qui se détourneront donc des dispositifs de protection de l’enfance. C’est ce qui commence à remonter en pratique dans les départements pilotes où est expérimentée la nouvelle réglementation. Cela génère une situation où les jeunes font tout pour tenter de survivre par eux-mêmes et disparaître des radars, et sont en situation de plus en plus précaire et exposés à toutes sortes d’abus. Les garanties qui encadrent ce passage en préfecture sont totalement insuffisantes, comme en témoignent l’absence d’interprète ou d’accompagnement des mineurs par une personne chargée de veiller à leur intérêt.

Il est prévu que le résultat de l’évaluation menée par les départements soit transmis à la préfecture, qui aura la mainmise pour appliquer les procédures de lutte contre l’immigration irrégulière et sera donc en capacité d’expulser le jeune du territoire français. Ces expulsions pourront intervenir immédiatement. Si le jeune se tourne vers le juge des enfants pour contester la décision du département, rien n’oblige la préfecture à attendre la décision finale du juge avant de d’ordonner une expulsion. Nous constatons pourtant au quotidien que les évaluations telles qu’elles sont conduites aujourd’hui par les départements sont défaillantes et que le recours au juge est essentiel. Dans un cas sur deux en moyenne, lorsque le juge est saisi par des jeunes que les départements ont refusé de placer à l’Aide sociale à l’enfance, il ordonne leur protection au motif qu’ils sont bel et bien mineurs et en danger[1].

3) Dans l’expérience de MSF, le juge des enfants a donc établi dans plus d’un cas sur deux la minorité de jeunes que les départements ont refusé de prendre en charge et déclarés majeurs. Quel est le problème avec ces évaluations telles qu’elles sont conduites aujourd’hui ?

La loi française prévoit que les jeunes se déclarant mineurs et non accompagnés doivent être accueillis et hébergés provisoirement par les services des départements afin que leur situation soit examinée. Ces jeunes doivent être entendus par des évaluateurs qui auront pour mission de déterminer s’ils sont mineurs ou non.

 

Des jeunes participent à des cours de sensibilisation à l'art et des cours d'art plastique dans la salle d'activité de l'hôtel MSF organisés par une bénévole qui travaillent au Musée d'art contemporain de Paris. 2018. France.
 © Augustin Le Gall/Haytham
Des jeunes participent à des cours de sensibilisation à l'art et des cours d'art plastique dans la salle d'activité de l'hôtel MSF organisés par une bénévole qui travaillent au Musée d'art contemporain de Paris. 2018. France. © Augustin Le Gall/Haytham

En pratique, réussir à être évalué est déjà un défi. Nous avons observé qu’à la frontière avec l’Italie par exemple, la police française renvoie les jeunes qui se présentent comme mineurs sans examiner leur situation, sans entretien, voire en falsifiant leurs dates de naissance. Pour ceux qui entrent sur le territoire, et qui sont informés qu’ils doivent se présenter devant les services du département ou l’organisme mandaté par le département, il ne faut pas qu’ils aient l’air physiquement trop âgé – sinon ils peuvent se voir tout simplement refuser un entretien sous prétexte qu’« ils ont l’air adulte ».

Notre expérience, en suivant dans leurs démarches des centaines de mineurs non accompagnés depuis l’ouverture du centre MSF à Pantin, indique que ces entretiens d’évaluation peuvent être expéditifs, sont presque toujours réalisés par un seul évaluateur (alors qu’il faut en théorie une équipe pluridisciplinaire) et souvent sans interprète. Il est fréquent aussi que les documents d’identité ne soient pas retenus pour attester de la minorité des jeunes.

Dans de très nombreux départements, aucune mise à l’abri n’est possible pour les adolescents en attente d’évaluation. Ces derniers restent donc à la rue.

Campement informel à la Porte de la Chapelle. Paris. Décembre 2017. 
 © Antoine Kremer/MSF
Campement informel à la Porte de la Chapelle. Paris. Décembre 2017.  © Antoine Kremer/MSF

MSF demande à ce que la France garantisse à ces enfants et adolescents un accueil digne, un hébergement, un accès aux soins et à la scolarité, en conformité avec la loi et les engagements internationaux de la France[2]. Une telle protection ne doit pas seulement couvrir la période de l’évaluation. Elle doit être également apportée aux jeunes qui se tournent vers le juge des enfants pour obtenir protection si un département a refusé de les prendre en charge pendant la durée de leur recours.

4) Quand et comment interviennent les tests osseux, ces examens pour déterminer l’âge qui font également l’objet d’une controverse en France ?

La loi française prévoit que dans le cas où l’évaluation réalisée par les départements ou la vérification des documents d’identité ne permettent pas de déterminer si un jeune est majeur ou mineur, les services du département peuvent demander, en dernier recours, à un juge d’ordonner un examen d’âge osseux. Il s’agit le plus souvent d’une radiographie du poignet.

Il est établi que ce sont des examens peu fiables car ils ont été mis au point au début du siècle dernier, sur une population vivant dans des pays occidentaux et dont le développement osseux n’est pas le même que celui des jeunes migrants qui sont en Europe aujourd’hui. Transférer les grilles qui ont été mises en place à l’époque à la population actuelle est une aberration scientifique et les experts sont très clairs[3] sur le fait que si ces examens peuvent avoir une relative pertinence pour les tout-petits, ils ne sont plus pertinents du tout quand on arrive à l’adolescence. Une marge d’erreur importante existe, de l’ordre de 18 mois à trois ans.

Donc prétendre pouvoir dire qu’un jeune a 16, 17 ou 18 ans sur la base d’une radiographie du poignet, c’est un leurre ! C’est vraiment mettre un cachet scientifique sur une décision qu’il est difficile de prendre, tout en s’en dédouanant. C’est un acte médical intrusif qui ne se fait ni dans l’intérêt de l’enfant, ni dans un but thérapeutique.

Mise à jour au 16 mai 2019

Le 5 avril, nous demandions à Priscillia de Corson de nous parler des procédures en cours engagées par MSF et d’autres organisations contre un décret qui instaure le fichage des mineurs non accompagnés qui arrivent en France.

Quels sont les derniers développements ?

Le Conseil constitutionnel va examiner la conformité de ce dispositif avec la Constitution. C’est une décision qui vient d’être rendue le 15 mai par le Conseil d’Etat, que nous avions saisi à ce sujet et qui a donc jugé que les questions soulevées sont suffisamment sérieuses pour justifier un tel examen. C’est encourageant mais en pratique l’application de ce décret est toujours en cours.

 


[1] Parmi les jeunes suivis par MSF en 2018, 55 % de ceux que les départements avaient refusé de prendre en charge au motif qu’ils n’étaient pas mineurs ont finalement été protégés par le juge des enfants, qui a établi leur minorité.

[2] Tout spécialement la Convention internationale relative aux droits de l’Enfant du 20 novembre 1989.

[3] Voir par exemple l’avis du 9 août 2011 de Thomas Hammarberg, ancien Commissaire aux droits de l’homme de l’Union européenne. Voir également l’avis du Haut conseil de la Santé publique du 23 janvier 2014.

 

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