Donner naissance à Alep : « Pouvais-je lui offrir un monde pareil? »

Illustration par Natasha Lewer
Illustration par Natasha Lewer © MSF

Alors que la moitié Est d'Alep est bombardée, des bébés continuent de naitre dans cette partie assiégée de la ville. Pour leur mère, enfanter dans des conditions aussi désespérées est extrêmement difficile, à la fois physiquement et psychologiquement.

Mon nom est Umm Leen. Je ne suis jamais sortie d'Alep-Est depuis que je suis née. Ma plus grande fille a 16 ans. J’avais un fils de 12 ans mais il a été tué par un obus, ça m’a brisé le cœur. Mon plus jeune fils est né il y a trois mois dans un hôpital soutenu par MSF. Je lui ai donné naissance durant le siège, un mois plus tôt que prévu, à cause des attaques de panique que je subis, provoquées par les bombardements incessants.

Une grossesse compliquée

L’état de siège provoque des pénuries de toutes sortes d’aliments. Un grand nombre d’enfants sont sous-alimentés, à cause de l'alimentation de leur mère. 
Durant les deux dernières années, j’ai fait fausse couche sur fausse couche, et les problèmes se sont succédé durant cette grossesse. J’ai eu des contractions durant les deuxième et troisième mois et j’ai dû me rendre à l’hôpital tous les dix jours. J’avais une pression sanguine basse, une anémie sévère et un taux de calcium bas. J’étais exténuée et étourdie.

La première semaine d’août, la sage-femme m’a dit de me préparer à donner naissance et d’acheter les médicaments nécessaires. J’ai réussi à trouver ces médicaments grâce à des pharmacies, car ils n’étaient pas disponibles dans les hôpitaux.

Parcours du combattant pour atteindre l’hôpital

Deux jours plus tard, à 5h du matin, j’ai perdu les eaux. Il n’y avait personne pour m’amener à l’hôpital, il n’y avait pas de transports en commun. Nous ne pouvions pas appeler d’ambulance. Finalement, mon mari a arrêté une voiture sur la route et a supplié le chauffeur de nous emmener dans n’importe quel hôpital.

Il a conduit à une vitesse inouïe à cause du bombardement – nous sommes arrivés en moins de 12 minutes. Ma plus grande peur était qu’on tombe en panne d’essence au milieu de la route et que les bombes pleuvent tout autour de nous. Cinq heures plus tard, j’ai donné naissance à mon enfant.

J’ai fait de mon mieux pour allaiter mon fils malgré le fait que je n’avais rien à manger et que j’étais sous-alimentée. J’ai été libérée le même jour car les bombardements étaient trop intenses et l’hôpital n’était pas protégé. Après avoir quitté l’hôpital, quatre missiles ont explosés à l’entrée du bâtiment.

Mon enfant est resté 15 jours de plus à l’hôpital. Il pesait à peine 1,2 kilo. Je m’attendais à ce qu’il meure mais il s’est accroché.

Je ne sais pas si nous allons survivre

En août, pendant les premiers mois du siège, les choses étaient aussi dramatiques que maintenant. Les hôpitaux avaient du lait en poudre, alors ils ont pu nourrir mon enfant. 

Maintenant, il n’y a plus de lait en poudre, je broie du riz afin de le nourrir avec, à la place du lait. Mais il perd du poids et il est très faible. Suis-je supposée rester assise et le regarder mourir ? Mes autres enfants sont très maigres également car nous n’avons rien à manger. 

Après avoir donné naissance à mon enfant, j’étais très triste. Lui ai-je donné naissance pour le voir vivre ainsi? Je ne sais pas si nous allons survivre à tout cela. Les enfants sont effrayés quand ils entendent un avion – ils courent vers moi. Ça me brise le cœur.

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