Chine - Vaincre la discrimination

« Avant que j'apprenne que j'avais le sida, je travaillais dans un bureau » explique D., 40 ans. « Quand ils ont découvert que j'étais malade, ils m'ont immédiatement licencié. Aujourd'hui j'ai beaucoup de problèmes avec ma famille, mes amis et la société ». L'histoire de D. est un des exemples type de ce que vivent les personnes atteintes du sida, en Chine, aujourd'hui. Depuis, D. a pu être aidé, sans préjugé ni crainte, et reprendre espoir.

Le 1er décembre 2003, MSF mettait en place une clinique dédiée à la prise en charge des malades du sida dans la ville de Nanning, capitale de la région autonome du Guanxi (la 3ème la plus touchée du pays), au sud de la Chine. Cette clinique est une des seules de la région à proposer, gratuitement et anonymement, soins, consultations médicales, soutien psychologique et traitements par antirétroviraux (ARV). C'est aussi le seul endroit où des malades comme D. peuvent bénéficier d'un suivi complet : du dépistage aux médicaments pour traiter les infections opportunistes, en passant par les ARV qui leur permettent de vivre plus longtemps.
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Patiente séropositive dans la salle de conseil de la clinique de Nanning -
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Ashley Gilbertson / Aurora



La peur de savoir
Discrimination et méconnaissance de la maladie sont toujours une réalité dans cette région de Chine et affectent la vie des malades en leur créant d'importantes difficultés. La peur de la stigmatisation et de l'isolement sont les premiers obstacles à surmonter avant de pouvoir obtenir les bons diagnostic et traitement.

« Les habitants de Nanning ne veulent pas venir à notre clinique car ils craignent que leur amis et leurs proches découvrent qu'ils sont malades » constate Qin Yusong, administrateur de la clinique. Du fait de cette réticence à connaître leur statut sérologique, ils retardent d'autant leur dépistage et se décident souvent quand leur état de santé devient alarmant et quand leur système immunitaire est déjà très sévèrement atteint. Ils sont alors très vulnérables aux infections opportunistes du sida. « C'est très frustrant de voir arriver des gens trop tard à la clinique, on ne peut souvent plus faire grand chose pour les aider » se désole Stefano, coordinateur de la clinique MSF. « C'est là la cause majeure de décès parmi nos patients ».

Plus les gens attendent pour se faire soigner, plus ils risquent de contracter l'une des deux infections opportunistes les plus courantes dans la région : la tuberculose ou la péniciliose (une maladie rare qui occasionne de simples irritations de la peau chez les personnes en bonne santé, mais qui peut être fatale aux personnes atteintes du VIH).

Soigner ces maladies représente un sérieux défi pour nos médecins et infirmières. Ainsi, un patient devant prendre des médicaments pour la tuberculose et le sida, peut être amené à devoir avaler 30 cachets par jour. Une telle lourdeur médicamenteuse peut réduire sa capacité et sa volonté de lutter contre les maladies.


La discrimination là où on l'attend le moins
La pire forme de discrimination vient peut être du personnel de santé chinois lui-même. « A l'image des familles, collègues de travail et amis, les médecins et les infirmières hospitaliers chinois ressentent toujours une forte aversion vis à vis des patients atteints du sida » constate Chen Xuelian, infirmière MSF. « Certains patients séropositifs vont à l'hôpital afin d'être dépistés et les médecins refusent de les prendre en charge.»

Pour le personnel de notre clinique cela signifie qu'il faut constamment chercher des professionnels de la santé comprenant la maladie et désireux de soigner ces patients. « Si nous voulons pratiquer certains examens - comme des biopsies - sur nos patients, les médecins chinois refuseront généralement de le faire » explique le Dr Lu Guo Gang, un des médecins de la clinique MSF. « Nous devons à chaque fois contacter un jeune médecin de l'hôpital n° 4, afin qu'il nous aide à pratiquer ce genre d'examen. Il est le seul à accepter. Quand nous devons effectuer une petite intervention chirurgicale sur un de nos patients, nous devons aussi faire appel à lui ».

Former rapidement la communauté médicale sur la problématique du sida doit être la priorité . « Il n'y a pas assez de médecins expérimentés et pas assez de formations » constate le Dr Tang, spécialiste du sida au centre de contrôle des maladies infectieuses (CDC, organisme gouvernemental) de Nanning. La clinique MSF a été montée et fonctionne en partenariat avec le CDC. Le Dr Tang s'est récemment impliqué dans l'effort de formation des médecins et des infirmières chinois en les invitant à des présentations et à des formations, au CDC et à la clinique MSF. Il s'est également rendu dans des hôpitaux régionaux et espère faire de Nanning le centre d'éducation sur le sida. Mais les problèmes subsistent : « la plupart de ces médecins, ne souhaitent pas d'eux mêmes s'occuper du VIH » explique le Dr Lu Guo Gang. « Ils sont désignés par le bureau de la Santé ». Cette réticence peut avoir des effets à moyen ou long terme sur la lutte contre le sida en Chine. « Ce sera un gros problème s'ils ne traitent pas correctement les patients et nous risquons d'avoir à faire face à beaucoup de problèmes de résistances aux traitements.»

Au sein du programme MSF, aucun patient n'est décédé faute d'aide médicale, mais tout le monde n'a pas cette chance... X., 32 ans, a découvert qu'elle était séropositive après avoiremmené son fils malade à l'hôpital, il toussait et avait de la fièvre. Le garçon avait le sida, ses parents ont été dépistés à leur tour et étaient aussi infectés. Ils ont été rejetés par leur famille et ont dû partir. « Nous avons loué une maison dans une autre partie de la ville, mais les propriétaires ont découvert que nous étions malades et nous ont mis dehors ». La famille a du déménager à Nanning, où ils ont pu vivre plus anonymement. Mais leur fils est retombé malade : « il était à l'hôpital et avait besoin d'une transfusion sanguine. Le médecin avait peur et on nous a dit qu'il fallait que nous quittions l'hôpital. Mon fils est mort trois jours plus tard». Cet enfant est mort début novembre 2003. Il avait 5 ans. La clinique MSF, où ses parents reçoivent désormais gratuitement leurs ARV, ouvrait un mois plus tard...
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Explication à un patient des effets secondaires du traitement ARV, à la clinique de Nanning

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Isabelle Merny / MSF

Changer les comportements et donner la parole aux patients
MSF mène des programmes sida/ARV dans 20 pays à travers le monde et chacun présente un contexte particulier. Ailleurs, les patients ont pris sur eux pour combattre la stigmatisation. En Chine, beaucoup de gens pensaient que ce n'était pas possible. Mais, depuis 2003, un petit groupe de la province du Guangzhou, au sud du pays, nommé « AIDS Care China », travaille à changer cet état de fait. Au travers d'un programme appelé « le centre du ruban rouge », les patients faisant partie d'un programme ARV ont pu se retrouver, partager leurs expériences et trouver force et solidarité mutuelles. En juin 2005, le centre du ruban rouge a ouvert un bureau près de la clinique MSF de Nanning.

L'objectif principal du centre est de proposer un accompagnement et un soutien psychologique autour de la prise d'ARV à tous les patients sous traitement du CDC. La priorité est donnée aux problèmes d'adhérence au traitement : quand et comment prendre les médicaments ? Quels sont les effets secondaires auxquels s'attendre et comment les gérer ?
Les conseillers de ce centre insistent tous sur un point important : une fois le traitement par ARV commencé, il faut continuer à le prendre tous les jours et à vie. Le centre du ruban rouge a également mis en place un refuge à Nanning, afin de proposer un hébergement sûr et propre aux gens originaires de zones rurales et qui viennent à Nanning chercher leur traitement. Ce refuge sert aussi parfois de toit temporaire à ceux qui ont été chassés de chez eux.

« C'est réconfortant de voir - d'une manière ou d'une autre - des patients arriver à notre clinique ; avoir un accès aux soins et au traitement ; disposer d'un endroit où ils peuvent rencontrer d'autres personnes ayant les mêmes problèmes et les mêmes questions ; les voir trouver un nouveau but et un nouveau sens à leur vie, refaire ce qu'ils ne pouvaient plus faire » se réjouit Stefano. Chaque jour où ils viennent chercher leurs comprimés à la clinique MSF, est un jour où ils ont décidé de survivre et de se battre.

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