Burkina Faso : dans l'est du pays, assassinats, pillages et précarité extrême. Témoignage du terrain

Vue du village de Fada, dans l'est du Burkina Faso. L'accès à l'eau est problématique dans la région. 
Vue du village de Fada, dans l'est du Burkina Faso. L'accès à l'eau est problématique dans la région.  © MSF

La situation humanitaire dans l’est du Burkina Faso se détériore rapidement : au cours des deux derniers mois, une nouvelle vague d'attaques a forcé des milliers de familles à fuir leurs villages. Abdallah Hussein, chef de mission de MSF au Burkina Faso, évoque les défis d’une assistance humanitaire dans ces conditions sécuritaires fragiles et craint que la pandémie de coronavirus n’éclipse cette situation désastreuse.

Dans les villages de l'est du Burkina Faso, au milieu des conflits, de la pauvreté et des épidémies récurrentes, des dizaines de milliers de personnes ont un accès limité à tout, et notamment aux soins de santé. Ils vivent dans la peur des attaques violentes, des maladies endémiques et du manque de nourriture et d'eau. Les assassinats, les enlèvements et les pillages sont désormais monnaie courante dans cette région parmi les plus touchées par le conflit armé entre les forces de sécurité nationales et différents groupes armés, avec des déplacements massifs de la population civile.

Or, dans les mois qui viennent la situation risque de s'aggraver : la saison des pluies et la période de soudure, qui commencent en juin, provoquent généralement un pic de malnutrition sévère et de paludisme, l'une des principales causes de mortalité dans le pays.

L'accès à l'eau potable est une des principales préoccupations des déplacés et des communautés hôtes de Fada. Burkina Faso. 2020.


 

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L'accès à l'eau potable est une des principales préoccupations des déplacés et des communautés hôtes de Fada. Burkina Faso. 2020.   © MSF

Médecins Sans Frontières (MSF) fournit des soins de santé, de l'eau et des articles de première nécessité gratuitement dans la région depuis mai 2019. Mais beaucoup reste à faire.

Besoins humanitaires et séquelles psychologiques

Au cours des deux derniers mois, une nouvelle vague d'attaques contre des villages reculés de l'est du Burkina Faso a déraciné des milliers de familles qui ont fui vers les villes de Gayeri et Fada.

 

 
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Notre équipe recueille des témoignages poignants de survivants qui ont subi ou été témoins de violences extrêmes, ont dû marcher pendant des jours pour atteindre un refuge et ont laissé derrière eux tout ce qu'ils possédaient. Beaucoup ont perdu des êtres chers. Pour certains, les séquelles psychologiques sont profondes. De janvier à mai nos équipes ont traité plus de 5 300 patients souffrant de problèmes de santé mentale.

Le manque d'abris adaptés est inquiétant, les familles déplacées vivent parfois dans des tentes en paille ou faites de bâches en plastique. Plus alarmant encore, de nombreuses personnes, y compris les communautés d'accueil, n'ont pas accès à suffisamment d'eau.

Après quatre ans de violence, le système de santé de l'est du Burkina Faso est très fragile. Selon l'Organisation mondiale de la Santé, plus de 30 structures médicales de la région sont fermées ou à peine fonctionnelles. Il existe non seulement une pénurie de médicaments et de matériel, souvent due aux pillages ou à l'insécurité, mais aussi de personnel médical.

La violence extrême a contraint de nombreux médecins et membres du personnel infirmier à s'installer dans des zones urbaines plus sûres. Dans cet environnement instable, les transferts d'urgence des communautés rurales vers des établissements spécialisés peuvent être particulièrement difficiles, d'autant que des ambulances ont été attaquées dans la région. La peur est omniprésente. Certaines personnes hésitent à se faire soigner par crainte de se voir associées à l'une des parties au conflit et d'être prises pour cibles.

Une structure de santé soutenue par MSF à Fada, dans l'est du Burkina Faso. 2020. 

 
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Une structure de santé soutenue par MSF à Fada, dans l'est du Burkina Faso. 2020.    © MSF

L'insécurité continue d'entraver les efforts d'aide humanitaire et limite considérablement notre capacité à atteindre certaines communautés, en particulier celles qui vivent dans des villages reculés. Le 16 avril, nous avons dû annuler une mission d'évaluation des besoins dans le village de Tawalbougou, qui avait accueilli des milliers de familles déplacées, car des hommes armés ont ouvert le feu sur l'une de nos équipes. Nous avons réussi à y reprendre nos activités par la suite et avons pu aider les communautés affectées, mais ce n'est pas toujours le cas.

Il est difficile de recueillir des informations sur l'ampleur des déplacements, ou d'avoir une image complète de la mortalité et de la situation sanitaire dans certaines zones.

L'impact du coronavirus

Le Burkina Faso a signalé plus de 800 cas de Covid-19 depuis que l'épidémie a été confirmée dans le pays en mars. Bien que la région de l'est ait jusqu'à présent été épargnée, le risque demeure et, malheureusement, la pandémie a un impact sur notre travail.

Nous avons interrompu les services médicaux non essentiels dans les structures de santé et adapté certaines autres activités. Le soutien psychologique, par exemple, est désormais assuré à distance : par téléphone, par le biais de programmes radio et de brochures de sensibilisation.

Des habitants de Fada se fournissent en eau. Burkina Faso. 2020. 


 

 © MSF
Des habitants de Fada se fournissent en eau. Burkina Faso. 2020.    © MSF

Le coronavirus, associé à la violence, complique également les campagnes de vaccination. L'équipe qui devait vacciner les enfants de moins de 15 ans pour répondre à une récente épidémie de rougeole dans le district de Pama a dû remanier l'organisation habituelle de ce type de campagne : d'une part la zone avait des antécédents d'incidents contre les agents de santé et les ambulances, d'autre part les rassemblements de masse n'étaient plus possible en raison de la Covid-19. 

Au lieu de travailler dans des endroits fixes tels que les centres de santé, nous avons donc fait du porte-à-porte pour vacciner les enfants. Nous devions nous assurer que toutes les équipes de vaccination disposaient de l'équipement de protection individuelle nécessaire pour minimiser le risque d'infection. Cette approche a exigé beaucoup de temps et d'organisation, car elle revenait à se préparer au contrôle de deux épidémies à la fois. Enfin, comme certains ménages ont commencé par s'opposer au vaccin contre la rougeole à cause de rumeurs et par peur qu'il n'existe un lien avec la Covid-19, nos mobilisateurs communautaires ont dû faire des efforts titanesques pour clarifier la question. Malgré ces obstacles, nous avons réussi à atteindre notre objectif en vaccinant plus de 40 000 enfants, en dépistant plus de 15 000 enfants de moins de 5 ans pour la malnutrition et en soignant ceux qui en avaient besoin.

La pandémie ne doit pas éclipser d'autres besoins urgents

Nous avons aussi fait face à des problèmes d'accès aux équipements de protection individuelle pour notre personnel, ce qui réduit notre capacité à fournir une assistance. En effet, il nous a fallu plus de deux mois pour recevoir une cargaison internationale de combinaisons, d'écrans faciaux et d'équipements similaires. Les restrictions aux déplacements internationaux nous empêchent également de faire venir dans le pays du personnel plus expérimenté (des médecins spécialisés, des sages-femmes, des logisticiens...).

Les équipes MSf soutiennent la structure de santé de Fada. Burkina Faso. 2020. 


 

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Les équipes MSf soutiennent la structure de santé de Fada. Burkina Faso. 2020.    © MSF

Les services médicaux sont de plus en plus fragilisés et les services de soins intensifs et de réanimation pour les patients gravement malades sont extrêmement limités. C'est pourquoi il est primordial de continuer à renforcer les mesures préventives au niveau communautaire même si elles se heurtent à de nombreux obstacles : comment mettre en œuvre la « distanciation sociale » dans une tente surpeuplée ? Comment se laver les mains en continu lorsque l'on n'a même pas assez d'eau potable pour boire ?

Il est bien sûr essentiel de maîtriser cette pandémie, mais cela ne devrait pas se faire au détriment d'autres actions humanitaires essentielles. Dans l'est du Burkina Faso, la Covid-19 n'est pas nécessairement la principale préoccupation de la population : pour des milliers de déplacés et de communautés locales, survivre est déjà difficile.

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