À l'intérieur de Gaza : « Rester en vie n'est qu'une question de chance »

Crisis in Gaza
Des habitants cherchent des survivants dans une habitation détruite par les frappes aériennes à Gaza. Palestine. Octobre 2023. © Mohammed ABED

Ricardo Martinez, coordinateur logistique pour Médecins Sans Frontières, revient d'une mission de quatre semaines à Gaza, du 14 novembre au 9 décembre. Basé pour un temps à la clinique MSF de Khan Younis au sein d'une équipe médicale internationale de 14 personnes, il témoigne de l'enfer que vivent au quotidien les Gazaouis dans la zone sud, et alerte en particulier sur les graves risques sanitaires liés au manque d'eau et d'assainissements.

La situation humanitaire à Gaza est épouvantable. Personnellement, qu'as-tu constaté ?

Tout d'abord, un cessez-le-feu immédiat et durable est nécessaire à Gaza. Mais j'insiste aussi pour tirer la sonnette d'alarme sur le manque d'eau et d'assainissement à Gaza. À ce stade, je suis presque certain que cela pourrait, à long terme, être aussi dangereux que les bombardements.

Le système d'approvisionnement en eau ne fonctionne plus, il s'est complètement effondré. Les gens doivent lutter pour leur survie. Au maximum, les gens disposent d'un litre d'eau par jour pour boire, se laver et cuisiner. Il n'y a en moyenne qu'une seule douche pour 500 personnes. Ceux qui peuvent se doucher sont considérés comme chanceux. Dans le sud de Gaza, nos équipes distribuent 50 à 60 m3 d'eau par jour, mais ça ne représente qu'une goutte d'eau dans l'océan.

Dans le sud de Gaza, les lieux sont tellement surpeuplés qu'on a l'impression d'être dans un stade de football bondé. Avec autant de personnes utilisant les quelques toilettes existantes et sans carburant pour pomper l'eau, j'ai vu des eaux usées s'écouler dans les rues où travaillent les vendeurs, où les enfants jouent et s'éclaboussent dans l'eau noire et sale. Imaginez les conséquences sur la santé…

Dans certains endroits, il n'y a ni carburant ni électricité. Cela a un impact sur tout. Sans carburant, les moulins ne fonctionnent pas, donc personne n'a de blé - pas de blé, pas de nourriture. Les camions venant d'Égypte déchargent l'aide aux camions de Gaza, mais sans carburant, ceux-ci sont incapables de se déplacer et de distribuer l'aide.

Nous avons vu les pertes humaines dévastatrices causées par le manque de carburant dans les hôpitaux lorsque les générateurs ne fonctionnent plus. 

Le 3 décembre, après avoir reçu l'ordre d'évacuer la zone, MSF a dû fermer sa clinique dans la ville de Khan Younis. Comment cela s'est passé ?

Les forces israéliennes annoncent les ordres d'évacuation par le biais d'un site web militaire lancé le 1er décembre. Un jour, une zone de la carte sera déclarée "zone rouge", ce qui signifie qu'elle sera prise pour cible. N'oublions pas qu'il n'y a pratiquement pas d'électricité à Gaza, donc pas d'internet. Comment savoir si vous devez partir ?

Nous savions que ce n'était qu'une question de temps avant que la zone dans laquelle nous travaillions ne reçoive un ordre d'évacuation. Nous en avions discuté deux ou trois jours auparavant. Puis, le 3 décembre, nous avons été contraints de fermer notre clinique et de quitter Khan Younis. Ce matin-là, j'étais chargé de la logistique pour nous faire parcourir quelques kilomètres vers l'ouest. Pour moi, ce fut le jour le plus douloureux que j'ai vécu à Gaza. S'apprêter à fuir et regarder nos collègues et voisins palestiniens qui avaient été avec nous tout le temps, nous aidant pour tout, et savoir que très probablement je ne les reverrai jamais. 

Aucun endroit n'est sûr à Gaza.  Je me souviens d'être retourné avec mon collègue palestinien Omar, superviseur logisticien, sur un lieu qui avait été détruit juste après notre visite de la veille.  Il m'a dit : "Regarde ça ! Nous étions juste là hier et maintenant il n'y a que des décombres". Qui aurait pu nous dire de ne pas y aller parce qu'il y aurait des bombardements ? Personne. Rester en vie n'est qu'une question de chance. D’autres lieux sur lesquels nous nous étions rendus ont été réduits à néant  juste après notre visite. Des écoles,  bureaux, maisons privées, usines de traitement de l'eau, ont été détruites. 

Comment les habitants de Gaza ont-ils réagi au moment de la trêve temporaire du 24 au 30 novembre ?

Je me souviens très bien quand les bombardements ont cessé. Ce matin-là, dès que l'horloge a sonné sept heures, j'ai commencé à entendre des chants et des cris de joie. Ce jour-là, j'ai enfin pleuré parce que je voyais des gens si heureux. Mais cela n'a duré que quelques jours. La trêve s'est achevée à 19 heures et, dès 19h03, l'enfer s'est à nouveau déchaîné.

Pendant une courte période, les gens ont pu rendre visite à leurs familles. C'était l’une des choses les plus importantes pour tout le monde. Certains se sont rendus dans le nord de Gaza et ont pris le temps de passer plusieurs jours avec leurs proches. Mais d'autres en ont profité pour enterrer les morts. Tout n'était pas vraiment fini. Beaucoup sont allés récupérer les cadavres qui pourrissaient dans les rues - certains depuis près de deux mois. Vous pouvez imaginer l'odeur et la douleur…

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