26 juillet 2004 : Extension de l'insécurité

Depuis la fin du mois de juin, suite à des attaques meurtrières par des commandos, les violences et les pressions à l'égard des déplacés tchétchènes en Ingouchie ont fortement augmenté. Certains sont contraints de retourner en Tchétchénie, d'autres se retrouvent sans domicile. Et l'espace d'intervention humanitaire pour aider ces déplacés est de plus en plus réduit.

Dans la nuit du 21 au 22 juin, des attaques par des commandos ont officiellement fait 88 morts et une centaine de blessés en Ingouchie, petite république frontalière de la Tchétchénie, où des dizaines de milliers de Tchétchènes s'étaient réfugiés depuis le début de la seconde guerre en 1999. Suite à ces attaques, les violences et les pressions à l'égard des déplacés tchétchènes ont fortement augmenté, entraînant le retour de certains en Tchétchénie, laissant d'autres sans domicile.

Les pressions pour les contraindre à rentrer ne sont pas nouvelles. Elles s'exercent depuis deux ans, renforcées par l'arrivée au pouvoir du président ingouche Ziazikov, proche de Moscou. Le Kremlin revendique une "normalisation" de la situation en Tchétchénie, poussant les réfugiés tchétchènes à retourner dans leur république en guerre. Depuis l'été 2002, les autorités appliquent un plan en 20 points, annoncé publiquement, organisant le retour des déplacés en Tchétchénie. Depuis octobre 2003, Bella, Alina, Bart, Spoutnik et Satsita, les cinq grands camps de tentes d'Ingouchie, ont successivement été fermés par les autorités.
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Le dernier camp de tentes d'Ingouchie a été fermé en juin
Les violences et les pressions s'accentuent désormais pour pousser les déplacés tchétchènes encore en Ingouchie à rentrer en Tchétchénie.
© Eddy van Wessel
Des camps de tentes aux "kompakniki"
Le dernier camp existant, Satsita, dans lequel vivaient près de 4 000 personnes début janvier 2004, a fermé le 10 juin 2004. C'est le résultat de la politique de fermeture des camps initiée en 2002, accompagnée de pressions répétées des forces militaires fédérales, qu'il s'agisse d'enlèvements, de passages à tabac, de "nettoyages" ciblés. Les jeux d'enregistrement et de dés-enregistrement sur les listes de distributions d'aide, les interdictions d'habiter dans les logements construits par les ONG, les démantèlements de tentes vides font également partie des méthodes employées.

Les familles tchétchènes qui n'ont pas cédé à la pression au retour sont venues grossir les rangs des habitants des kompakniki, ces usines ou ces fermes désaffectées. Certains ont réussi à préserver quelques tentes, discrètement plantées derrière des bâtiments. D'autres, plus chanceux, ont trouvé les moyens de louer une chambre chez l'habitant. Fin juin 2004, selon les chiffres officiels du Haut Commissariat aux Réfugiés et du Danish Refugees Council, il y aurait 51.840 déplacés tchétchènes en Ingouchie dont 23.850 dans les kompakniki.
Pressions au retour dans les "kompakniki"
Les pressions, exercées auparavant à l'encontre des déplacés résidant dans les camps de tentes, sont employées aujourd'hui avec une intensité renouvelée, à l'encontre des déplacés des camps de planches. Ainsi, coupures d'électricité, d'eau et de gaz se multiplient, notamment dans les kompakniki de Kristall et de Logovaz à Nazran (la principale ville ingouche). Il en va de même pour les contrôles d'identité. Des familles ont été dés-enregistrés d'office des listes des services de migration, les mettant dans une situation d'illégalité. Ce dés-enregistrements les prive aussi de l'accès aux distributions d'aide alimentaire gouvernementale, même si ces dernières sont irrégulières et insuffisantes. Autre conséquence : les propriétaires des terrains où se sont installés les déplacés ne peuvent plus être indemnisés par l'Etat pour les frais en eau, gaz et électricité. Les déplacés subissent aussi des menaces, avec sommation de quitter le territoire avant certaines dates. Cela a été le cas notamment dans les kompakniki de Maslozavod à Altievo, de Rassviet et de UMS à Sleptovskaia.

Depuis le 21 juin, ces pressions se sont largement accrues. Des opérations spéciales de " contrôle d'identité " ont lieu dans le district de Nazran et de Sunzha : entre autres, dans les kompakniki de Tsentr Kamaz à Nasyr-Kort, de SMU-4 et de Garazhy Oskanova à Sleptsovskaya, ainsi que de MRO à Sleptovskaia. Lors de ces opérations spéciales, qui peuvent durer plusieurs heures, des hommes, parfois masqués et armés, pénètrent dans chacune des habitations, chambres ou abris, et vérifient les papiers d'identité de tous les déplacés. Si les déplacés sont absents, les portes sont défoncées. Lors de ces contrôles, plusieurs personnes ont été arrêtées, emprisonnées et violentées.
La mise en place de l'aide périlleuse
Le 8 juillet dernier, suite à une opération spéciale de vérification d'identité, les consultations au sein d'une des cliniques MSF en Ingouchie ont dû être arrêtées, les patientes s'étant réfugiées chez elles en l'attente du contrôle. Le lendemain, les consultations reprenaient leur cours. Plusieurs femmes enceintes, suivies par les médecins MSF, sont rentrées en Tchétchénie et, par conséquent, ne sont plus prises en charge, l'accès aux soins étant largement insuffisant en Tchétchénie.

Aujourd'hui encore, les réfugiés sont contraints de rentrer en Tchétchénie, en dépit de l'absence de sécurité, d'abris et d'accès aux soins. L'espace d'intervention humanitaire en Tchétchénie se réduit comme peau de chagrin et la mise en place de l'aide reste extrêmement périlleuse, notamment car la violence qui touche les populations civiles s'exerce aussi à l'encontre des volontaires humanitaires.

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