Méditerranée : MSF et 4 autres organisations portent plainte auprès de la Commission européenne au sujet d’une loi entravant les activités de secours

Le 5 décembre 2022, alors qu'elle scrutait la mer à l'aide de jumelles, notre équipe a repéré une embarcation avec des personnes à bord ayant besoin d'aide. 90 personnes, dont 35 mineurs, se trouvaient à bord d'un canot pneumatique surchargé en détresse dans les eaux internationales au large des côtes libyennes.
Le 5 décembre 2022, alors qu'elle scrutait la mer à l'aide de jumelles, notre équipe a repéré une embarcation avec des personnes à bord ayant besoin d'aide. 90 personnes, dont 35 mineurs, se trouvaient à bord d'un canot pneumatique surchargé en détresse dans les eaux internationales au large des côtes libyennes.  © Candida Lobes/MSF

Le 12 juillet, cinq associations dont Médecins sans Frontières (MSF) ont déposé une plainte auprès de la Commission européenne au sujet de la loi italienne 15/2023 et des pratiques des autorités italiennes entravant les activités de secours en mer Méditerranée. MSF, Oxfam Italie, SOS Humanity, l’ASGI et EMERGENCY demandent à la Commission européenne d’examiner la compatibilité de cette loi avec les obligations des Etats membres de l’UE en matière de recherche et de sauvetage en mer.

En janvier 2023, l'Italie a adopté un décret, devenu la loi 15/2023 en mars. Cette loi interdit aux navires de recherche et de sauvetage de mener plus d'une opération de secours à la fois, imposant aux bateaux de se diriger vers le port assigné par les autorités italiennes après chaque sauvetage. En pratique, les autorités désignent fréquemment un port de débarquement éloigné de la zone d’intervention, ce qui prolonge considérablement les temps de trajet. Pendant ce temps-là, les bateaux ne peuvent pas fournir d’assistance à d’autres embarcations en détresse.

« Chaque jour que nous passons loin de la zone de recherche et de sauvetage met des vies en danger », déclare Djoen Besselink, responsable des opérations de MSF. « La loi vise les ONG, mais le véritable prix sera payé par les personnes exilées qui traversent la Méditerranée et se retrouvent à bord d’un bateau en détresse. »

« Assigner un port de débarquement à plus de 1 000 km d'un sauvetage nuit au bien-être physique et psychologique des survivants », poursuit Josh, capitaine du navire de sauvetage de SOS Humanity, Humanity 1. « Les 199 personnes que nous avons récemment secourues, dont des femmes enceintes et des bébés, ont été contraintes de parcourir environ 1 300 km pour débarquer en Italie, alors que d'autres ports italiens étaient bien plus proches. »

« Les personnes secourues viennent de pays en guerre, impactés par le changement climatique ou par de graves violations des droits de l'homme », explique Carlo Maisano, coordinateur du navire de sauvetage Life Support d'EMERGENCY. « Elles sont souvent dans un état de fragilité extrême, qui est exacerbé par le temps passé en mer. »

L'allongement des distances a également un impact négatif sur les ONG elles-mêmes. « La pratique consistant à assigner des ports éloignés augmente les frais de carburant pour les ONG et épuise leurs budgets limités, impactant leur capacité à sauver plus de vies », déclare Carlo Maisano.

La loi oblige également les navires ayant effectué un sauvetage à fournir aux autorités italiennes des informations sur le secours effectué, ce qui, en pratique, a donné lieu à des demandes d'informations excessives. Le 23 février 2023, l'autorité portuaire d'Ancône a notifié à MSF un ordre de rétention de 20 jours pour son navire et une amende de 5 000 euros. Ces sanctions ont été imposées pour ne pas avoir fourni des informations qui n’avaient pourtant jamais été demandées auparavant à MSF.  

MSF et les autres organisations plaignantes estiment que ces mesures imposent des restrictions injustifiées aux opérations de recherche et de sauvetage et constituent une entrave à leur capacité à sauver des vies en mer.

« La Commission européenne est la gardienne des traités de l'UE et doit s’assurer que les États membres respectent le droit international et européen », déclare Giulia Capitani, conseillère aux affaires migratoires à Oxfam Italie. « Elle devrait défendre et protéger les droits fondamentaux de toutes les personnes en Europe. Les ONG de secours en mer comblent le vide laissé par les Etats européens, qui n’ont plus d’activité coordonnée de recherche et sauvetage en mer. Plutôt que d'entraver leur travail, les États devraient nous impliquer dans la mise en place d'un système adéquat. »

MSF, Oxfam Italie, SOS Humanity, ASGI et EMERGENCY demandent à la Commission européenne d'examiner immédiatement la loi italienne 15/2023 ainsi que la pratique d'attribution de ports éloignés.

Mise à jour du 13 juillet :
Le Parlement européen a également appelé la Commission à intensifier les efforts en matière de recherche et de sauvetage en Méditerranée. Par sa résolution adoptée ce 13 juillet, il demande explicitement aux Etats membres de maintenir leurs ports ouverts aux navires des ONG et d’assurer leur débarquement dans le port de sécurité le plus proche sans retard inutile, ainsi qu'à cesser de criminaliser les ONG de secours en mer. « La résolution du Parlement européen amplifie notre appel à la Commission pour qu'elle agisse et prenne les mesures nécessaires afin que les droits fondamentaux des personnes en détresse en mer soient respectés et que l'obstruction au travail des ONG de secours en mer prenne enfin fin », ajoute Juan Matis Gil, représentant de MSF.

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