Yémen : à Hajjah, de nombreux cas de troubles mentaux sévères

Un homme regarde au loin depuis le toit de l'hôpital d'Abs, dans le gouvernorat de Hajjah, Yémen, août 2016.
Un homme regarde au loin depuis le toit de l'hôpital d'Abs, dans le gouvernorat de Hajjah, Yémen, août 2016. © Rawan Shaif

45% des patients vus en consultation par les équipes de MSF dans la ville de Hajjah, dans le nord du pays, souffrent de troubles mentaux sévères. Le gouvernorat éponyme, coupé par une ligne de front, a été exposé à de nouveaux combats au mois de mars dernier. Sur place, la population subit les conséquences physiques et psychologiques de six années de guerre.

« Nous avons quitté notre maison car nous avions peur des bombardements, se souvient Hana*, originaire d’Abs, dans le nord du pays. Une frappe aérienne a détruit une prison voisine et tout notre quartier. Nous n’étions heureusement pas là mais j’y suis retournée plus tard : tout n’était que décombres, je ne pouvais pas supporter d’avoir tout perdu. »

Contraints de partir, Hana et sa famille ont passé environ deux mois sous une tente avant d’avoir suffisamment d’argent pour déménager dans la ville de Hajjah, à 120 kilomètres au nord-ouest de la capitale, Sanaa. Depuis le bombardement, ils dépendent entièrement de l’aide humanitaire et du soutien de leurs proches. 

À ce moment-là, Hana commence à souffrir de troubles du sommeil et s'isole socialement. Elle fait une dépression et deux tentatives de suicide. Ses colères incontrôlables ont un impact sur ses enfants, qu’elle maltraite physiquement. « J’étais incapable de contrôler ma colère, je la libérais en battant mes enfants. Ce n’était plus moi », se souvient la mère de famille. Apprenant l’existence de services de santé mentale par des femmes de son entourage, elle décide d’y faire appel.

Une femme patiente dans la salle d'attente de l'hôpital Al-Gamhouri avant une consultation psychologique à la clinique de santé mentale soutenue par MSF.
 © Nasir Ghafoor/MSF
Une femme patiente dans la salle d'attente de l'hôpital Al-Gamhouri avant une consultation psychologique à la clinique de santé mentale soutenue par MSF. © Nasir Ghafoor/MSF

Tentatives de suicide

À Hajjah, les équipes de MSF soutiennent l'hôpital Al-Gamhouri et fournissent des services spécialisés en santé mentale. Les pathologies traitées sur place sont nombreuses : anxiété, insomnie mais aussi des cas graves comme la psychose, la dépression, le trouble bipolaire et le trouble de stress post-traumatique.

« Dans notre service, nous voyons régulièrement des patients à la suite de tentatives de suicide, explique Antonella Pozzi, responsable des activités de santé mentale de MSF à Hajjah. Les symptômes sévères d'une psychose peuvent par exemple se manifester par des hallucinations auditives qui incitent le patient à se faire du mal, il est important de comprendre l'expérience subjective de l'individu, car les hallucinations peuvent sembler très réelles et créer une grande souffrance », poursuit la responsable.

Plus de six années de guerre ont réduit drastiquement l’accès aux soins, à l’éducation, à la nourriture et aux services de bases des Yéménites. Au-delà des blessures physiques liées au conflit, le nombre de personnes souffrant de troubles mentaux graves est très élevé dans la région de Hajjah. Plus de 9 000 habitants auraient besoin de soins de santé mentale selon les autorités locales. « Leur nombre réel est probablement encore plus élevé, car les besoins dans ce domaine ont tendance à être sous-estimés, continue Antonella Pozzi. Les gens parcourent parfois plus de 100 kilomètres pour venir consulter ici, cela donne une bonne idée des besoins élevés et du manque de structures de santé dans l’ensemble du pays. »

À Hajjah, 45% des patients vus en consultation par les équipes de MSF souffrent de troubles mentaux sévères. En juin et juillet 2021, plus de la moitié des nouveaux patients de la clinique étaient concernés. En comparaison, la prévalence des formes graves de ces troubles est estimée à 5,1%, même en zone de conflit, par l’Organisation mondiale de la santé (OMS). Le manque de services dans la région signifie que l’ensemble des cas graves sont dirigés vers les services de MSF, ce qui peut aussi expliquer ces chiffres importants.

Traditionnellement, les Yéménites présentant des symptômes de santé mentale ont recours à un traitement spirituel, des pratiques parfois dangereuses et inefficaces qui peuvent exacerber leurs symptômes. « Le manque de sensibilisation de la population aux troubles de santé mentale explique en partie le recours au traitement spirituel, précise Antonella Pozzi. Les familles de patients psychotiques utilisent parfois des chaînes pour les attacher parce qu’elles ne savent pas comment gérer les crises d’agressivité et d’agitation. »

Sensibilisation contre stigmatisation

Comme Hana, son mari souffre également de problèmes de santé mentale qu’il refuse de reconnaître. Il consulte de temps en temps, mais refuse de voir un spécialiste de façon régulière. Pour sensibiliser les communautés aux soins de santé mentale et lutter contre la discrimination et la stigmatisation des malades, les équipes de MSF tentent de normaliser ces troubles et de casser les préjugés.

« Le manque de sensibilisation et la stigmatisation sont les deux faces d'une même pièce. Le manque de sensibilisation entraîne la stigmatisation et la discrimination, ce qui amène les gens à cacher leur état, ce qui accroît leur souffrance et leur isolement », conclut la responsable MSF.

Après avoir suivi un traitement psychiatrique et psychologique, Hana se sent désormais mieux. Elle gagne sa vie en faisant de la couture. Il lui a fallu trois ans pour être suffisamment forte psychologiquement et supporter le traumatisme d'avoir tout perdu. « Je ne suis pas sûre que nous retournerons un jour chez nous. La guerre est toujours là, si nous rentrons, nous devrons tout recommencer à zéro. »

*Le nom de la patiente a été modifié.

 

© Mohammad Ghannam/MSF

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