Soudan du Sud : le poids de la dépression dans les camps de déplacés

Pendant la saison des pluies, qui a lieu entre juin et novembre, le camp de Malakal devient extrêmement boueux. Les conditions de vie sont alors d'autant plus difficiles. Soudan du Sud. 2017.
Pendant la saison des pluies, qui a lieu entre juin et novembre, le camp de Malakal devient extrêmement boueux. Les conditions de vie sont alors d'autant plus difficiles. © Raul Fernandez Sanchez/MSF

Près de 200 000 personnes vivent dans des camps de protection des civils (PdC) mis en place par les Nations unies au Soudan du Sud, pays ravagé par une guerre civile depuis 2013. D’abord conçus pour offrir une protection temporaire face aux violences et aux massacres des groupes armés, ces camps se sont pérennisés et accueillent de nombreuses personnes qui sont dans l’impossibilité de rentrer dans leur ville ou leur région, pour des raisons de sécurité.

Celui de Malakal, dans le nord du pays, accueille près de 25 000 hommes, femmes et enfants qui vivent confinés et dans des conditions précaires. Cette situation, qui dure depuis près de quatre ans pour certains, engendre des stress et des anxiétés importantes qui pèsent sur la santé mentale des personnes déplacées.

Dans la salle principale de l’hôpital, une jeune femme s’effondre subitement au sol avec des tremblements incontrôlés. Le personnel de santé se précipite immédiatement à ses côtés pour éviter qu'elle ne se blesse. Un infirmier tire un rideau pour lui apporter un peu d’intimité.

Médecins Sans Frontières gère un hôpital de 40 lits dans le site de protection des civils de Malakal. 
 © Philippe Carr/MSF
Médecins Sans Frontières gère un hôpital de 40 lits dans le site de protection des civils de Malakal.  © Philippe Carr/MSF

Confinement

« Elle a eu une crise psychogène, explique le Dr. Jairam Ramakrishnan, le psychiatre de l’hôpital. Ce n’est pas un cas rare au sein de l’hôpital. Pour de nombreuses personnes, l'anxiété et le stress liés au confinement dans le camp vont au-delà de ce qu’ils peuvent supporter. »

En 2017, il y a eu 31 tentatives et sept suicides, avec notamment un pic en fin d’année : en un mois, dix tentatives de suicide ont été enregistrés. « Une grande partie de la population est confrontée à un contexte qui les expose, de façon chronique, à un risque de dépression, déclare le Dr. Ramakrishnan. La plupart des hommes ne quittent pas le camp, parce qu’ils ont peur d’être attaqués ou forcés de rejoindre un groupe armé. »

Le site de Malakal a été crée en 2014 après que les combats à Malakal ont forcé de nombreuses personnes à fuir leurs domiciles. La priorité de la Mission des Nations unies au Soudan du Sud (MINUSS) qui a créé le camp était de sécuriser un espace dans lequel les gens pourraient s’installer temporairement. L’amélioration du niveau de vie dans le camp n’a pas constitué une priorité immédiate.

Mais les années passant, les autorités du camp ont réalisé que le site de PdC n’était pas près de disparaître. Il existe une volonté d’améliorer lentement les conditions, mais les possibilités sont limitées.

25 000 personnes, dont la majorité sont des enfants, vivent désormais dans un espace très confiné.

L'église et le service religieux sont des moments précieux pour la communauté du camp de protection des civils, qui leur donnent la possibilité de se réunir et de partager leurs expériences. 
 © Philippe Carr/MSF
L'église et le service religieux sont des moments précieux pour la communauté du camp de protection des civils, qui leur donnent la possibilité de se réunir et de partager leurs expériences.  © Philippe Carr/MSF

Le moment le plus difficile au sein du camp est la saison des pluies, entre juin et octobre, lorsque le sol noir et argileux du camp se transforme en une boue épaisse, et que l’intérieur des baraquements se remplit de flaques d’eau.

Violence et psychose

« Malgré les violences que ces personnes ont subies, elles sont résistantes et survivent sans présenter les nombreux signes révélateurs de troubles liés au stress post-traumatique. Mais au fil du temps, forcés de vivre dans ces conditions sans voir leurs vies s'améliorer, ils perdent espoir », déclare le Dr. Ramakrishnan. Dans le camp, on peut voir des individus solitaires errant le regard vide, s'efforçant de faire face à la situation. Nombreux sont ceux qui ont été séparés de leur famille, et n’ont personne pour les soutenir émotionnellement.

Il est difficile de connaître exactement la part de la population présentant des problèmes de santé mentale sur le site de PdC, mais MSF reçoit entre 18 et 20 nouveaux cas de troubles mentaux graves par mois. Ce nombre n’inclut pas les cas qui ne sont pas détectés par les équipes de l'association, ni les personnes atteintes d’autres problèmes mentaux. Les professionnels de santé mentale du Groupe de travail pour le Soudan du Sud, qui participent à la coordination des activités, ont déterminé qu’en 2017, près de la moitié des patients reçus en consultation souffraient de dépression et 15 % d'anxiété.

La menace de possibles violences est omniprésente et s’ajoute à la tension ambiante. En février 2016, 25 personnes ont perdu la vie lorsque des affrontements ont éclaté sur le site de Malakal. De nombreuses autres ont été grièvement blessées et un tiers du camp a été détruit par un incendie.

Certains cherchent un refuge dans le marisa, un alcool local distillé à partir du sorgho. L’alcoolisme est également répandu dans le camp et contribue à créer des problèmes de santé. Les femmes vivent dans la crainte permanente des violences sexuelles qui les menacent lorsqu’elles quittent la sécurité du camp. L’une des rares sources de revenus pour elles est la collecte de bois de chauffage hors des limites du camp.

« Elles sont souvent attaquées et agressées sexuellement, explique Natalia Rodriguez, psychologue de MSF sur le site de PdC. Rares sont celles qui viennent voir MSF pour recevoir des conseils ou un examen médical. Elles ont peur, car les femmes violées se marient rarement. »

L'enfance négligée

Les enfants ont la possibilité de jouer dans des espaces dédiés au sein du site de protection des civils. De nombreux enfants sont obligés de travailler dans le camp pour répondre aux besoins de leur famille.
 © Philippe Carr/MSF
Les enfants ont la possibilité de jouer dans des espaces dédiés au sein du site de protection des civils. De nombreux enfants sont obligés de travailler dans le camp pour répondre aux besoins de leur famille. © Philippe Carr/MSF

L’enfance dure peu sur le site de protection des civils. Au cours de la seconde moitié de l'année 2016, un certain nombre de tentatives de suicide - dont certaines ont abouti - parmi les enfants a attiré l’attention des autorités du camp.

Les difficultés des enfants sont rarement remarquées. Au sein des familles, les signes de détresse émotionnelle, tels que l’agressivité ou le fait de faire pipi au lit, sont négligés par les parents. Les abus, la négligence et la faim peuvent passer inaperçus et entraîner des altérations du comportement.

On peut croiser des enfants abandonnés et des orphelins dans les rues, mangeant parfois des déchets parce qu’ils ne reçoivent pas de ration alimentaire. Une fois encore, l’alcool constitue souvent l’unique échappatoire à leur situation et peut entraîner des comportements violents.

« Personne ne sait quand la situation dans le Nil Supérieur s’améliorera et quand cette population pourra rentrer chez elle », ajoute le Dr. Jairam Ramakrishnan.

Les autorités du camp doivent faire davantage que fournir de la nourriture et de l’eau. Elles doivent également faire face au manque de logements, développer des stratégies pour une meilleure participation de la communauté, et créer plus d’opportunités d’emploi dans le camp.

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