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Récits et désespoirs de Gazaouis blessés à la frontière israélienne

Le samedi 14 avril, les équipes de Médecins Sans Frontières ont exceptionnellement ouvert la clinique de Khan Younis pour fournir des soins postopératoires aux personnes blessés par balles ces dernières semaines. Palestine. 2018.
Le samedi 14 avril, les équipes de Médecins Sans Frontières ont exceptionnellement ouvert la clinique de Khan Younis pour fournir des soins postopératoires aux personnes blessés par balles ces dernières semaines.  © Laurie Bonnaud/MSF

Depuis le début de la « Marche du Retour », les patients sévèrement blessés par balle, affluent par centaines dans les trois cliniques de MSF à Gaza.

Ce sont principalement des jeunes hommes, autour de la vingtaine. Ils parlent de leur désespoir, de leur incapacité à trouver du travail, de l’extrême pauvreté ou encore du sentiment d’abandon. Beaucoup vont à la frontière avec Israël en connaissant les risques, mais aussi avec le sentiment de ne plus rien avoir à perdre. La plupart espèrent guérir rapidement afin de pouvoir retourner manifester.

Parmi ces près de 500 jeunes hommes en béquilles qui sont venus grossir les salles d’attentes des cliniques MSF au cours des trois dernières semaines, on trouve aussi quelques présences dissonantes : sept femmes, quelques hommes d’âge mur, des enfants…

Yahya, 11 ans

Yahya a 11 ans. Il a été blessé par balle à la jambe. 
 © MSF/Laurie Bonnaud
Yahya a 11 ans. Il a été blessé par balle à la jambe.  © MSF/Laurie Bonnaud

Je m’appelle Yahya, j’ai 11 ans et je suis en CM2. Avant d’être blessé j’aimais beaucoup aller à l’école et je n’ai jamais eu de notes en dessous de 95 / 100 !

Je suis allé à la « Marche du Retour » avec deux de mes frères, pour découvrir la terre de mes parents, voir de mes propres yeux les gens qui bombardent Gaza et tirent sur les Gazaouis. Je voulais comprendre pourquoi. Vous savez, la seule chose qui rend les Israéliens plus forts que nous ce sont leurs armes.

J’étais très proche de la barrière de séparation quand on m’a tiré dessus. J’étais le seul enfant de mon âge à en être si près ! Je voulais me rapprocher pour voir le paysage de l’autre côté. C’était très beau, beaucoup plus beau que Gaza ! Mais ensuite je me suis fait tirer dessus. Je me souviens du visage de la personne qui a fait ça, c’était une jeune femme blonde.

J’ai reçu une balle à la jonction entre le pied et la jambe. Tout était blessé : les muscles, les tendons, l’os. Je ne peux bouger que mes doigts de pied maintenant, et encore, juste un peu. Quand on m’a tiré dessus, cela m’a fait très mal, comme une décharge électrique. Mais maintenant, je me sens un peu mieux. J’ai eu une première opération à l’hôpital et je devrais en avoir une autre. En attendant, je viens trois fois par semaine à la clinique MSF de Beit Lahia et l’on m’a dit que je devrais pouvoir remarcher dans six mois.

Je ne pense pas être trop jeune pour avoir été blessé. Je peux supporter la douleur et la peine, comme toutes les autres personnes de Gaza qui ont été blessées par balle.

Jameel, 50 ans

Jameel a 50 ans. Il est suivi par les équipes de Médecins Sans Frontières à la clinique de Beit Lahia pour une blessure par balle. 
 © Laurie Bonnaud/MSF
Jameel a 50 ans. Il est suivi par les équipes de Médecins Sans Frontières à la clinique de Beit Lahia pour une blessure par balle.  © Laurie Bonnaud/MSF

Je m’appelle Jameel et j’ai 50 ans. Je suis vendeur de glace, marié et père de quatre filles. Je ne peux plus aller travailler depuis que j’ai été blessé, et je ne sais pas quand est-ce que je pourrais recommencer mon travail.

Je suis allé à la manifestation du 30 mars pour évacuer le stress de la vie à Gaza, pour changer d’air, mais aussi simplement pour montrer que j’existe.

Je n’avais pas d’attentes particulières pour ce jour. D’ailleurs, on ne peut pas dire que je protestais activement, j’observais plutôt. Je ne jetais pas de pierres et je ne criais même pas. J’étais debout, au milieu d’un groupe de personnes que je ne connaissais pas, à 600 mètres de la barrière de séparation, et je mangeais un encas.

C’est à ce moment que j’ai subitement ressenti une vive douleur à la jambe. On venait de me tirer dessus. Je suis tombé et les gens autour de moi m’ont immédiatement emmené vers une ambulance, qui m’a transporté à l’hôpital. Je perdais énormément de sang. Quand je suis arrivé, mon taux d’hémoglobine était de 3g/dL [ndlr : contre 12 à 14g/dL en temps normal].

Là-bas, on m’a opéré pour arrêter l’hémorragie. Il était 11h, je faisais partie des premiers blessés de la « Marche » et donc j’ai eu la chance de pouvoir être opéré rapidement. J’avais une artère sectionnée et c’est un miracle qu’ils aient pu me sauver la vie à temps. J’aurais besoin d’une seconde opération en revanche et en attendant, je ne peux ni marcher, ni baisser ma jambe.

Je ne suis pas retourné à la frontière depuis. J’en suis physiquement incapable tout d’abord, mais même si je pouvais marcher je n’irais pas. Je ne juge pas les gens qui y vont, ils ont leurs raisons, mais pour moi c’est trop difficile. Je passe mon temps à me remémorer la scène. Je pense à cela tout le temps. Que s’est-il passé ? Qu’ai-je fais de mal pour que l’on me tire dessus ?

Sana, 30 ans

Sana a 30 ans. Elle a été blessée par balle aux deux jambes et elle est prise en charge à la clinique MSF de Khan Younis.
 © Laurie Bonnaud/MSF
Sana a 30 ans. Elle a été blessée par balle aux deux jambes et elle est prise en charge à la clinique MSF de Khan Younis. © Laurie Bonnaud/MSF

Je m’appelle Sana et j’ai 30 ans. Je vis avec ma famille qui se compose de 16 personnes. Je ne suis pas mariée et j’aide donc ma mère dans les tâches ménagères. Je suis très attachée à la lutte pour mon pays, et ma mère avant moi a pris part de très nombreuses manifestations. À Gaza, il n’y a pas d’espoir, pas de futur. Les gens sont pauvres et nous mourons petit à petit. Je suis moi-même désespérée par la vie que je mène ici.

Quand je suis partie à la« Marche », je voulais mourir. Mourir en héros est largement préférable à la vie que nous menons à Gaza. Avant de partir, j’ai donné de l’argent à mon père, pour qu’il puisse acheter des gâteaux et des friandises pour mon enterrement. J’ai fait mes adieux à tout le monde. Je ne voulais pas revenir. J’étais déterminée.

Mes parents et mes frères m’ont interdit d’aller à la manifestation et de m’approcher de la barrière de séparation, mais je suis partie en cachette, avec deux de mes amies. Ma mère m’a suivie mais elle n’a pas pu me retrouver dans la foule.

Mes deux amies et moi avons été blessées par balle. Dans mon cas, j’ai eu les deux jambes blessées, par deux tirs différents. Une personne qui venait m’aider à me relever pour me conduire à une ambulance a également était visée et blessée.

Après la manifestation, ma famille ne savait pas si j’étais saine et sauve, blessée ou morte. Ils m’ont cherché pendant quatre heures dans les hôpitaux du sud de Gaza, avant de me retrouver.

Maintenant, avec ma blessure, je suis devenue un fardeau pour ma famille. Le comité des blessés a refusé de donner de l’argent à mon père en compensation car je n’ai pas été amputée et qu’aucun os n’a été touché. Je me sens abandonnée par les dirigeants du pays que je voulais défendre.

Il me tarde donc de guérir, et d’y retourner. Ma mère essaie de m’en dissuader, c’est normal, c’est ma mère. Mais moi je veux mourir cette fois-ci. Le signe V de la victoire est le seul espoir qu’il me reste.

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