Programme VIH en Ouganda : MSF passe le relais aux autorités sanitaires

Des patients attendent un test de charge virale à l'hôpital régionale d'Arua. Ouganda. 2016. 
Des patients attendent un test de charge virale à l'hôpital régionale d'Arua. Ouganda. 2014.  © Isabel Corthier

Depuis plus de 20 ans, MSF soutient le ministère de la Santé ougandais dans la prise en charge de patients atteints du VIH/Sida, dans la région du Nil occidental et plus particulièrement dans le district d'Arua. MSF et les services de santé du district ont constamment revu la stratégie de prise en charge des plus vulnérables et contribué à diverses innovations, telles que l’introduction des antirétroviraux, les soins spécifiques aux enfants et aux adolescents et la création de groupes de soutien. L'amélioration des conditions de vie des personnes vivant avec le VIH permet désormais à MSF de se retirer totalement du programme et de passer le relais aux autorités sanitaires ougandaises et à leurs partenaires.

En 1999, Médecins Sans Frontières a commencé à soutenir les autorités sanitaires locales et l'équipe de direction de l'hôpital régional de référence d'Arua, dans le nord-ouest du pays, pour prévenir la transmission mère-enfant du VIH. Trois ans plus tard, MSF a mis en place l'un des premiers programmes de thérapie antirétrovirale (ARV) du pays, initiant le traitement pour tous les patients séropositifs dans le besoin dans le district d'Arua, qui compte une population totale de 830 000 personnes. À l’époque, aucun traitement gratuit n’était accessible aux personnes ayant reçu un diagnostic positif au VIH, ce qui rendait les médicaments inabordables pour la plupart de la population.

Associée à un manque généralisé de connaissances et à des idées fausses sur la maladie, cette situation a entraîné une forte stigmatisation et une forme exclusion sociale pour les personnes séropositives. Être diagnostiqué séropositif équivalait souvent à recevoir l’annonce d’une mort proche et certaine. Helen Candiru, une ancienne patiente de MSF de 64 ans qui vit avec le VIH depuis 33 ans, se souvient : « En 1990, lorsque j'ai reçu mon diagnostic, la stigmatisation était trop grande. Il n’existait aucun médicament contre le virus, c’était la mort assurée. Alors, je me suis préparée avec les gens de mon église. J'ai acheté une chèvre et un canard. J’ai dit à mes enfants : “Il n’existe pas de médicament contre le VIH, alors cette chèvre, quand je serai morte, mangez-la avec la communauté. Et le canard, réservez-le pour les prêtres qui viendront pour m’enterrer.” »

L’introduction des ARV gratuits par MSF dans la région d’Arua a changé la vie de nombreux patients. Les équipes MSF ont également été impliquées dans le traitement d’infections opportunistes telles que la méningite cryptococcique, la tuberculose et la tuberculose multirésistante. « À cette époque, le ministère de la Santé ne disposait pas vraiment de ces ARV, explique Wadri Fennahas, aujourd'hui âgé de 65 ans. C’était MSF qui fournissait tout, même les médicaments normaux pour d'autres maladies. Le ministère en avait très peu. Parfois, il y avait des pénuries ici et là, mais MSF comblait les pénuries. »

Helen Candiru a été diagnostiquée positive au VIH à l'âge de 33 ans. Cette ancienne patiente a travaillé près de 10 comme éducateur sanitaire pour MSF. 2023.


 

 © Sophie Neiman
Helen Candiru a été diagnostiquée positive au VIH à l'âge de 33 ans. Cette ancienne patiente a travaillé près de 10 comme éducateur sanitaire pour MSF. 2023.   © Sophie Neiman

MSF a aussi rapidement accompagné ses soins médicaux d'un soutien psychosocial étendu, notamment à travers des conseils par les pairs, des activités de proximité et des visites à domicile pour aider les patients et informer les membres de leur famille sur la maladie et la nécessité de recevoir des soins en continu. En effet, la stigmatisation, associée au fait d'être séropositif, et le fait que les ARV ont encore de forts effets secondaires, constituent des obstacles à la prise régulière du traitement, ce qui est pourtant la clé de la survie. 

Plusieurs patients, parmi lesquels Helen Candiru et Wadri Fennahas, mais aussi Lucy Adiro, ont été recrutés par MSF comme éducateurs sanitaires ou pairs conseillers pour fournir à la communauté des informations sur la maladie et les traitements. Ils ont également joué un rôle en aidant les patients à lutter contre la stigmatisation, à se rencontrer, à se soutenir et à échanger des informations sur l'éducation thérapeutique. Selon Lucy Adiro : « Le soutien psychosocial apporté par MSF aux patients est encore plus important que les médicaments que l’association nous donnait. Sans soutien psychologique, les médicaments que vous prenez ne servent à rien. »

Une membre du personnel de santé explique le test de charge viral à des patients à l'hôpital régional d'Arua. 2014.

 
 © Isabel Corthier
Une membre du personnel de santé explique le test de charge viral à des patients à l'hôpital régional d'Arua. 2014.   © Isabel Corthier

Ce n’est qu’en 2004 que les ARV ont été rendus gratuits dans le pays par les autorités sanitaires, mais avec un accès limité et des ruptures de stock récurrentes. De 2005 à 2010, MSF a favorisé la décentralisation des soins du VIH sur quatre sites, en collaboration avec les services de santé des districts : Koboko, Adjumani, Nebbi et Yumbe, notamment à travers la formation et le mentorat du personnel de santé. À l’époque, en Ouganda, seuls les médecins des grands hôpitaux pouvaient prescrire des ARV. L’objectif de cette décentralisation était de permettre aux centres de santé plus petits, plus proches du domicile des patients, de fournir le traitement et la prise en charge du VIH.

Dans le même esprit, c'est en 2013 que MSF a introduit le premier test de charge virale disponible sur le site de soins du patient, qui évitait l’envoi d’échantillons à un laboratoire central et permettait de recevoir un résultat le jour même. Cette stratégie facilitait la détection rapide de l’évolution du traitement et une réponse médicale rapide en cas d’échec. À mesure que le traitement ARV devenait plus accessible dans le pays et que les installations de diagnostic et de traitement se développaient, MSF a progressivement transféré la prise en charge vers les centres de santé périphérique, à proximité des patients, et a concentré son soutien sur les plus vulnérables. Cela comprenait les personnes souffrant d'un échec du traitement de deuxième intention et nécessitant un test de génotypage coûteux et, éventuellement, un traitement de troisième intention non disponible en Ouganda.

Vue d'une salle d'attente du département VIH de l'hôpital régional d'Arua. 2014.
 © Isabel Corthier
Vue d'une salle d'attente du département VIH de l'hôpital régional d'Arua. 2014. © Isabel Corthier

MSF a également continué à soigner des enfants et des adolescents, ainsi que des patients à un stade avancé du VIH. Fred Econi, chef de l'équipe médicale MSF d’Arua et membre de l'équipe médicale depuis 2006, se souvient de la création des premiers groupes MSF dédiés aux enfants : « Ils ont été créés pour des enfants diagnostiqués parfois très jeunes. Certains avaient six mois et beaucoup ont grandi au sein du programme MSF. » Plus tard, d’anciens patients MSF devenus adultes ont créé l’association Maisha, qui a intégré le dispositif de soutien aux enfants et adolescents. Une journée spéciale a été créée pour eux, afin qu’ils puissent recevoir des conseils et des informations, tout en se rencontrant autour d’activités ludiques. « C’est à ce moment-là que j’ai commencé à comprendre que nous n’étions pas seuls, explique Jordan Opileni, l'un des fondateurs de Maisha. J’étais dans un groupe de personnes qui me ressemblaient et j’ai commencé à reprendre espoir. Cela nous a aidé à accepter, car c’est la chose la plus difficile pour une personne séropositive. Sans acceptation, vous ne voyez pas l'utilité des médicaments, ni même de la vie. »

Plus de 20 ans après le soutien initial de MSF aux personnes vivant avec le VIH à Arua, d'énormes progrès ont été réalisés en termes de traitement médical de la maladie. Des connaissances accrues et une meilleure gestion clinique, ainsi qu'une meilleure acceptation de la part des patients et de la communauté – même si une certaine stigmatisation persiste – ont permis des progrès significatifs vers la stratégie 95-95-95 de l'ONUSIDA. Selon la dernière évaluation de l’impact du VIH sur la population ougandaise en 2020-2021, 80,9 % de la population ougandaise connaissait son statut sérologique, 96,1 % d’entre eux suivaient un traitement ARV et 92,2 % avaient leur charge virale supprimée. À ce stade, le système immunitaire du patient est renforcé et le risque de transmission de l'infection par le VIH est considérablement réduit. De plus en plus de personnes vivent désormais avec le VIH dans le pays : 1 400 000 personnes en 2022, selon l'ONUSIDA, alors qu'elles étaient 530 000 en 2003. Cela s'explique par une plus grande sensibilisation, davantage de tests et une mortalité plus faible due à la maladie : 14 000 personnes sont mortes du VIH/SIDA en 2022 contre 78 000 en 2003.

Les innovations, principalement dans les modèles de soins et de soutien, apportées au fil des années par MSF, en collaboration avec le ministère de la Santé, dans le district d'Arua, font désormais partie de la stratégie nationale générale pour le diagnostic et les soins médicaux des personnes vivant avec le VIH dans le pays.

Par ailleurs, MSF est encore présente en Ouganda où elle gère notamment un centre spécialisé pour adolescents âgés de 10 à 19 ans dans le district de Kasese. Ce projet permet aux adolescents de bénéficier de soins médicaux adaptés à leurs besoins spécifiques, notamment en matière de santé sexuelle et reproductive, avec un accent particulier sur les la maternité, le traitement et la prise en charge du VIH, la drépanocytose, l'accompagnement social et la santé mentale.

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