Palestine : à Masafer Yatta « Perdre ma terre, c’est perdre ma vie »

Safa, habitante de Masafer Yatta, a été témoin de la destruction de son domicile à deux reprises.
Safa, habitante de Masafer Yatta, a été témoin de la destruction de son domicile à deux reprises.  © Juan Carlos Tomasi/MSF

Risque d’expulsions, démolition des foyers et restrictions des déplacements font partie du quotidien des Palestiniens de Masafer Yatta, dans le sud de la Cisjordanie. Après avoir collecté et analysé des témoignages entre mai 2021 et décembre 2022, Médecins Sans Frontières publie un rapport consacré aux mesures coercitives que mènent les autorités israéliennes dans cette région et à leur impact sur la santé des habitants. Le rapport documente la pression constante que ces mesures exercent sur la santé tant physique que mentale des habitants, les poussant à quitter Masafer Yatta.

« Perdre ma terre, c’est perdre ma vie », témoigne un habitant du village d'Al-Majaz, situé à Masafer Yatta.

Outre la menace d'expulsion, les Palestiniens résidant à Masafer Yatta (environ un millier) vivent sous la menace constante de la violence. « Les soldats pénètrent dans les villages la nuit, imposent des couvre-feux et des restrictions de mouvement, organisent des entraînements militaires à proximité des zones d'habitation, confisquent les véhicules et détruisent des maisons, explique David Cantero Pérez, chef de mission de MSF dans les territoires palestiniens occupés. Ils rendent le quotidien des habitants invivable.

Les mesures prises par les autorités israéliennes se sont durcies depuis mai 2022, à la suite d'une décision de la Cour suprême israélienne supprimant les obstacles juridiques au déplacement forcé des Palestiniens de Masafer Yatta, dans le but d’y installer une zone militaire. Cette décision s’est avérée préjudiciable envers les résidents dont l’accès aux services de base et aux soins médicaux s’est depuis considérablement restreint.

Dans les villages où MSF fournit des services médicaux, les équipes ont constaté que certains patients se voient régulièrement refuser l’accès, lorsque leur carte d'identité indique qu'ils sont originaires d'un autre hameau. Par ailleurs, les ambulances se rendant à Masafer Yatta sont souvent retardées, voire bloquées, tout comme les habitants qui doivent multiplier les arrêts aux postes de contrôle avant de pouvoir atteindre les hôpitaux. En conséquence, les personnes vulnérables - les femmes enceintes depuis plus de 6 mois, les personnes âgées souffrant de maladies chroniques ou encore les personnes atteintes de maladies graves – se résignent finalement à quitter leur maison et leur famille pour rejoindre la ville voisine de Yatta. Sur la même période, entre 2021 et 2022, MSF a observé une réduction de 27% du nombre total de consultations menées pour des maladies chroniques au moyen de cliniques mobiles.

Autre conséquence de ces mesures, l’impuissance des familles à protéger leurs enfants. Un parent rapporte ainsi que son enfant a été réveillé en pleine nuit, dans sa chambre, par un soldat armé et accompagné d’un chien. D'autres peinent à décrire le sentiment de désespoir et d'impuissance qu'ils ressentent lorsque, rentrés de l'école, leurs enfants ont découvert la maison familiale démolie.

Vue de Masafer Yattan, une région désertique du sud de la Cisjordanie qui abrite 1 144 Palestiniens.
 © Juan Carlos Tomasi/MSF
Vue de Masafer Yattan, une région désertique du sud de la Cisjordanie qui abrite 1 144 Palestiniens. © Juan Carlos Tomasi/MSF

Vivre dans des conditions aussi difficiles pèse lourdement sur la santé mentale des gens. Les équipes mobiles de MSF proposent un support psychologique aux habitants de Masafer Yatta depuis 2021. Le rapport met en évidence une forte augmentation de la demande de soutien en santé mentale des résidents ayant subi des intrusions soudaines chez eux ou ayant été témoins de la démolition de leur maison. La moitié des personnes prises en charge présentent des symptômes psychosomatiques, un quart ont montré des symptômes post-traumatiques tandis que deux tiers ont développé des symptômes dépressifs.

« Au cours de l'année écoulée, nous avons été des témoins de première main d’un environnement de plus en plus coercitif ayant un impact sur la santé physique et mentale des habitants de Masafer Yatta, déclare Cantero Pérez. En tant qu'organisation médicale humanitaire, nous dénonçons la mise en œuvre de ces politiques. Nous appelons les autorités israéliennes à mettre immédiatement un terme au plan d'expulsion et à suspendre les mesures de restriction d’accès aux services de base et aux soins médicaux à Masafer Yatta. Ces souffrances doivent cesser. »

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