Migration : toujours plus de morts du fait de l’inaction des États européens

Rotation 44 - Rescue 2
L'équipe MSF sauve des personnes traversant la mer sur un bateau en bois dans la zone de recherche et de sauvetage libyenne. © MSF/Mohamad Cheblak

L’adoption de nouvelles règles entravant les activités menées par les ONG en mer, la facilitation des refoulements de migrants vers des lieux dangereux et les niveaux extrêmes de violence subis par les survivants, ne font qu’empirer une situation déjà alarmante en Méditerranée. C’est ce que dénonce MSF dans un rapport intitulé « Personne n'est venu à notre secours », qui analyse le coût humain des politiques européennes de migration.

Depuis janvier, le nombre de personnes arrivant sur les côtes italiennes par la route de la Méditerranée centrale a plus que doublé par rapport à la même période l’année dernière. Avec près de 2 200 enfants, femmes et hommes portés disparus ou morts en mer, 2023 est déjà l’année la plus meurtrière depuis 2017. Chaque jour, sur cette route migratoire, huit personnes en moyenne perdent la vie ou sont portées disparues.

Opérant depuis plus de deux ans à bord du Geo Barents, les équipes MSF ont été témoins des conséquences mortelles provoquées par l'Union européenne et ses États membres qui entravent régulièrement les activités de recherche et de sauvetage en Méditerranée centrale. En faisant preuve d’une inaction délibérée, en retardant ou en ne coordonnant pas efficacement les sauvetages en mer, ainsi qu’en facilitant les refoulements vers des lieux dangereux, les États européens mettent sciemment la vie de personnes en danger.

De lourdes contraintes pour les navires de sauvetage civils

Le 3 janvier 2023, le gouvernement italien a introduit un nouvel ensemble de règles s'appliquant exclusivement aux navires de sauvetage civils, limitant davantage l'aide humanitaire en mer. Cette loi introduit une série de contraintes et de charges bureaucratiques supplémentaires. Les navires de sauvetage doivent désormais se diriger vers le lieu sûr désigné par les autorités immédiatement après chaque sauvetage. Les conséquences directes sont désastreuses pour MSF et les autres organisations présentes dans la zone puisque les équipes sont limitées à effectuer un sauvetage à la fois et, dans certains cas, sont contraintes d'ignorer d'autres alertes de bateau en détresse.

Abandonnés à leur sort

« Les femmes criaient au secours. Nous leur avons demandé de l'aide [au bateau maltais] à plusieurs reprises, mais ils ont refusé toutes nos demandes. “Nous n’avons pas besoin de carburant, aidez-nous s’il vous plaît, emmenez-nous avec vous, ne nous laissez pas au milieu de la mer. S'il vous plaît, emmenez au moins les femmes”, avons-nous supplié. Mais ils ont refusé tous nos appels. »

Témoignage d’un survivant âgé de 44 ans, secouru par MSF en juin 2023.

© Nyancho NwaNri

Ceci est le dernier exemple en date du déploiement par le gouvernement italien de ses pouvoirs administratifs pour punir les organisations impliquées dans les activités de recherche et de sauvetage et entraver les efforts civils de sauvetage des personnes en détresse en mer. MSF réitère son appel au gouvernement italien pour qu'il annule cette loi et qu’il cesse de criminaliser l'assistance humanitaire aux migrants et aux réfugiés.

Par ailleurs, les migrants secourus sur le Geo Barents rapportent aussi de nombreuses violences. 56 % de ceux qui en ont été victimes, les ont subies en Libye. « Le principal problème est qu'on ne sait pas qui est policier et qui ne l'est pas parce que tout le monde est armé, témoigne un patient camerounais de 34 ans, secouru par MSF en mai 2023. Vous pouvez être victime d’une agression à tout moment de la journée. »Depuis des années, les équipes MSF sont témoins de pratiques violentes : refoulements aux frontières, détentions prolongées et arbitraires, ainsi que d'autres pratiques inhumaines. Les accords avec des pays tiers, comme ceux entre l’Italie et la Libye, ou entre l’UE et la Tunisie, soutiennent un  système d’exploitation, d’extorsion et d’abus dans lequel tant de personnes se retrouvent piégées.

Les personnes secourues par MSF se trouvent à bord d'embarcations extrêmement précaires et dangereuses, souvent aux prises avec de mauvaises conditions météorologiques, expliquant que prendre la mer était la seule option qu’elles avaient. L'embarquement pour ce voyage périlleux et trop souvent mortel, se fait souvent depuis la Libye et, depuis mars 2023, de plus en plus depuis la Tunisie, avec environ 90 000 départs recensés par le UNHCR.

Un groupe de migrants secourus par l'équipe MSF à bord du Geo Barents.
 © MSF/Annalisa Ausilio
Un groupe de migrants secourus par l'équipe MSF à bord du Geo Barents. © MSF/Annalisa Ausilio

Entre janvier et septembre 2023, l'équipe médicale MSF a réalisé 3 660 consultations médicales à bord du Geo Barents. Les personnes secourues souffraient souvent de problèmes de santé directement liés aux dangereuses traversées maritimes, notamment des brûlures de carburant, des empoisonnements liés au carburant, d’hypothermie et de déshydratation.

« Les blessures et les récits des patients reflètent l’ampleur de la violence à laquelle ils ont été soumis dans leur pays d’origine et tout au long de leur voyage, notamment en Libye et en Tunisie, explique Juan Matias Gil, coordinateur des opérations de secours MSF. Combien de morts supplémentaires en Méditerranée centrale faudra-t-il pour que les États européens remettent en cause leur politique inhumaine ? Nous exhortons l’Union européenne et ses États membres, en particulier l’Italie et Malte, à changer immédiatement de cap afin de donner la priorité à la sécurité de ceux qui cherchent refuge sur les côtes européennes. »

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