Michèle Beck – Responsable des soins post-opératoires MSF à Gaza

Bande de Gaza 2005
Bande de Gaza, 2005 © Alan Meier

Le 27 décembre 2008, l'opération militaire israélienne "Plomb durci" était lancée sur la bande de Gaza. Huit mois après, quelles conséquences pour la population civile ? Rencontrés en juillet dernier, patients et personnels MSF - expatriés et palestiniens - témoignent.

« C'était important qu'il y ait une présence expatriée MSF pendant la guerre, pour soigner et témoigner. C'était important pour notre personnel palestinien aussi. Au vu du degré d'insécurité et de danger, il aurait été difficile de mener davantage d'activités.

Après le cessez-le-feu, à mon retour sur Gaza, je ne savais pas à quoi m'attendre. J'ai vu les destructions, les immeubles brûlés, les montagnes de gravats, les amas de tôles, le béton armé à l'air libre.

L'équipe palestinienne était à bout, les yeux cernés, pâles, les joues creusées, marqués par le stress, la peur que ça recommence, de l'avenir... Ils se sont impliqués dans la mise en place des tentes et des activités d'urgence et ça leur a permis de repartir, de retrouver un souffle.

Une réponse adaptée

Les deux cliniques de soins post-opératoires ont réouvert tout de suite. Dans les premiers jours de reprise des activités, nous avons vu arriver beaucoup de blessures multiples, de fractures et de plaies sévères, des personnes brûlées sur des grandes surfaces du corps, nombre d'amputés aussi.

Parfois, il fallait plus d'une heure pour faire les pansements d'un seul patient. Les gens ne parlaient pas, ils s'enfermaient dans leur mutisme.

Nous avons décidé d'augmenter le nombre de personnels soignants; d'ouvrir une 3ème clinique de soins post-opératoires dans le nord, très touché pendant la guerre.

Puis nous avons passé le nombre de dispensaires mobiles de trois à sept pour les patients trop lourdement handicapés, vivant en étage ou encore dans des zones trop sensibles et pris en charge financièrement les allers-retours domicile/dispensaire pour les autres... Nous tournions à plein régime. La réponse de MSF après la guerre était vraiment adaptée à la situation.

Les soins que nous proposons sont ambulatoires : pansements, suivi médical, kinésithérapie, (pendant quatre mois en moyenne) et consultations chirurgicales (orthopédiques et plastiques). Aujourd'hui, nos équipes suivent encore 470 blessés lourds. Des opérations chirurgicales de reprise vont être nécessaires, notamment pour les fixateurs externes, les infections post-opératoires... On propose aux amputés en attente d'une prothèse des exercices en groupe, qu'ils peuvent refaire seuls chez eux. Cela permet de prévenir les complications comme la perte musculaire, ou les problèmes articulaires. Tout le matériel médical est désormais pré positionné, à disposition du personnel hospitalier que nous avons formé, au cas où nous devrions faire face à une nouvelle situation d'urgence. Ici le système de santé fonctionne bien et notre valeur ajoutée est de combler les manques.

« La population reste prise en otage »

Quand on discute avec les gens, on ne peut pas vraiment être optimiste. Difficile de croire à la paix. La population reste prise en otage, enfermée. Impossible de quitter Gaza, de faire ses études à l'étranger, d'acquérir ou de partager des connaissances médicales ailleurs, de rendre visite à sa famille même en Cisjordanie, de partir en vacances... Ceux qui parviennent à sortir via l'Egypte ne sont pas assurés de pouvoir revenir.

Il n'y a aucune perspective d'avenir, l'équipe palestinienne qui travaille avec MSF est jeune, ils rêvent de diplômes, de voir le monde et ils ne le peuvent pas. Le blocus empêche l'entrée de biens aussi essentiels que le matériel de reconstruction, le carburant etc. L'aide humanitaire, l'entrée du matériel médical ou des expatriés est elle aussi soumise aux aléas des autorisations administratives. Cela peut être très problématique, par exemple pour les chirurgiens qui ne sont disponibles que sur de courtes périodes et dont l'entrée dans Gaza est retardée, ou comme pour la dernière commande pharmaceutique qui a mis deux mois à rentrer, ce qui a provoqué une rupture de stocks sur certains médicaments...

« Je l'ai revu il y a quinze jours, il était debout et marchait. »

Beaucoup de nos patients portent le deuil de leurs proches tués pendant la guerre et/ou ont été gravement blessés. L'un d'entre eux a dû être amputé des deux jambes après qu'un F16 ait bombardé sa cour. Il s'est réveillé, il baignait dans son sang, sept membres de sa famille avaient été tués. Une petite fille âgée de trois ans a été gravement brûlée. Elle a été défigurée. MSF l'a opérée deux fois mais elle restera physiquement marquée. On ne pourra pas lui rendre son visage, son avenir, sa vie. Un autre, d'une vingtaine d'années, a été admis dans les dispensaires mobiles. La première fois que je l'ai vu, il était très maigre, alité, pâle, dénutri, ses jambes étaient fracturés, il avait aussi été blessé à l'abdomen. Il ne parlait pas, était totalement introverti, les yeux perdus dans le vague. C'était en février, je l'ai revu il y a quinze jours, il était debout et marchait.

On aide à réparer ces corps brisés, mais il y aussi la reconstruction psychique à prendre en compte. Six mois après, les Gazaouïtes sourient, blaguent, rient, fêtent les anniversaires, les mariages, mais ils y pensent toujours, ils sont toujours très affectés, ils n'oublieront jamais. Quelques patients sont moralement cassés, débordés par leurs émotions, ils peuvent même devenir très agressifs. Ceux-là sont référés aux psychologues, mais ils refusent parfois cette aide. On ne peut alors plus rien pour eux.

J'arrive à la fin de ma mission et lorsque je regarde en arrière, je constate que c'est formidable ce qui est fait ici. Je suis fière de travailler avec MSF, fière de ce que nos équipes parviennent à faire, fière de la qualité des soins proposés. »

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