Lutte contre le choléra au sein des communautés de pêcheurs du lac Chilwa et de ses alentours au Malawi

Lutte contre le choléra au sein des communautés de pêcheurs du lac Chilwa et de ses alentours au Malawi
Lutte contre le choléra au sein des communautés de pêcheurs du lac Chilwa et de ses alentours au Malawi. © A.Baumel/MSF

Chaque année, trois à cinq millions de cas de choléra sont recensés dans le monde, causant le décès de 100 000 à 120 000 personnes. En 2014, Médecins sans frontières (MSF) a pris en charge environ 21 000 cas dans le monde, dans le cadre de divers projets. 

Le premier cas de choléra a été enregistré en 1973 au Malawi. Depuis, des épidémies ont éclaté presque chaque année, avec un nombre record de cas et de décès en 2001-2002. 

Dans le district de Machinga, le choléra est endémique. La dernière grande épidémie y a éclaté en 2009-2010 avec 1171 cas et 21 décès déclarés. 

L’épidémie actuelle a été confirmée fin décembre 2015 dans le sud du pays. Au 1er mars, un total de 920 cas et de 25 décès (quatorze dans des centres de santé et dix dans la communauté) a été rapporté dans les trois districts entourant le lac Chilwa (Machinga, Zomba et Phalombe).

Le lac Chilwa

Le lac Chilwa, à cheval sur la frontière entre le Malawi et le Mozambique, est le deuxième plus grand lac du Malawi. Il est entouré d’un biotope appelé « prairies inondables zambéziennes ». Il y a 150 ans environ, le lac Chilwa atteignait presque les contreforts du massif Mulanje, à une trentaine de kilomètres au sud de ses limites actuelles. À l’époque, il dépassait également largement les trois mètres de profondeur actuels. Au gré des précipitations, sa taille et sa profondeur évoluent constamment. Les îles de Chisi et de Thongwe abritent certaines des communautés les plus reculées du Malawi.

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Avec un volume annuel de capture de quelque 20 000 tonnes, le lac constitue l’une des principales sources halieutiques du sud du Malawi. Il est l’un des plus importants points de distribution et de vente de poisson de la région. On estime à près de 6 000 le nombre de pêcheurs vivant sur le lac dans des maisons flottantes appelées « zimboweras ». Du fait de leurs conditions de vie, les pêcheurs de la communauté du lac Chilwa sont particulièrement sujets aux épidémies endémiques (fréquentes) de choléra. De même, les communautés qui recourent à l’eau non traitée du lac ou des rivières alentour pour leurs besoins quotidiens sont particulièrement vulnérables. Les taux élevés de létalité au sein de cette population durant la précédente et l’actuelle épidémies s’expliquent par l’arrivée tardive des patients dans les centres de santé du fait des longues distances. Les précédents épisodes de flambées épidémiques ont montré que les mesures classiques se limitaient à maîtriser l’épidémie dans cette communauté mobile à haut risque.

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Pourquoi le choléra est-il endémique dans la région ?

L’apparition répétée d’épidémies de choléra dans cette région s’explique principalement par l’insalubrité de l’eau liée au nombre insuffisant de sources d’eau potable, le manque d’entretien des puits de forage, la rupture fréquente des systèmes d’approvisionnement en eau et des puits, les problèmes d’assainissement et de couverture des latrines à fosse (couverture à 40-60 pour cent), le manque d’installations destinées au lavage des mains (< 5 pour cent) et certains problèmes socioculturels. 

En outre, le réchauffement climatique entraîne davantage de sécheresses dans la région et une plus grande irrégularité des précipitations qui ont un impact sur le niveau de l’eau contenue dans le lac. En cas de sécheresse, et même à la fin de la saison sèche, ce niveau baisse sensiblement et ne dépasse jamais les trois mètres de profondeur. 

Aujourd’hui, à l’heure de la rédaction de cet article, seules quelques pluies éparses ont été recensées, alors que la saison des pluies aurait dû commencer il y a plusieurs semaines. Les rives du lac peuvent donc parfois se trouver à plusieurs kilomètres des villages, entraînant des pénuries d’eau au sein des communautés.

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Outre son emploi de réserve d’eau potable, le lac sert également pour les ablutions des habitants du lac et des alentours. Or, le niveau de contamination fécale y est très élevé, particulièrement dans les zones stagnantes. Comme indiqué ci-dessus, environ 6 000 pêcheurs vivent sur le lac, dont un grand nombre dans des maisons flottantes (zimboweras) par groupes de dix à seize personnes. Il faut généralement compter plus d’une heure pour rejoindre la rive par bateau et environ trois heures par canoë. Les pêcheurs de ces communautés peuvent rester sur le lac trois mois d’affilée sans revenir sur la terre ferme. L’isolement les prive d’accès aux désinfectants d’eau et aux structures de soins.

 

« Nous vivons sur le lac. Il n'y a nulle part où aller pour satisfaire nos besoins quotidiens. Nous nous soulageons d'un côté de la maison et buvons l'eau de l'autre. »

Chibalde, 28 ans

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La prise en charge des cas de choléra

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Le choléra est une infection intestinale aiguë très contagieuse qui se transmet par ingestion d’eau ou d’aliments contaminés par de la matière orale ou fécale. Les principaux symptômes consistent en une diarrhée aqueuse et des vomissements qui entraînent une déshydratation rapide et sévère et peuvent causer le décès. Les jeunes enfants et les personnes âgées y sont les plus vulnérables. 

La maladie se propage à un rythme extrêmement rapide, voire fulgurant, mais est facile à soigner.

 

« J'ai tout de suite reconnu les symptômes du choléra. J'ai marché six heures pour atteindre la maison de mes parents depuis le lac. Ils m'ont amené à l'unité de traitement du choléra. Je savais qu'il fallait réagir vite pour sauver ma peau. »

David, 18 ans

S’il est rapidement pris en charge, le choléra est facile à traiter. Son traitement consiste à remplacer l’eau, les électrolytes et les oligo-éléments perdus pour empêcher la déshydratation. Dans les cas légers, les patients se voient administrer des sels de réhydratation orale. En revanche, dans les cas sévères (de déshydratation majeure), il peut s’avérer nécessaire d’injecter huit à douze litres de liquide par jour et par personne, et d’hospitaliser les patients. Des antibiotiques peuvent également être prescrits. Malgré la propagation rapide et la gravité du choléra, le traitement est efficace et ne requiert que quelques jours. 

Dans le sud du Malawi, MSF a collaboré avec le ministère de la Santé pour améliorer la prise en charge des cas de choléra en installant des structures adéquates et en améliorant les centres déjà existants. Ceci a permis de soigner et de gérer l’afflux de patients atteints de choléra dans les districts de Machinga, de Phalombe et de Zomba, et de prévenir toute dissémination de la maladie dans le centre de santé. Celui-ci pourrait en effet devenir lui-même un véritable réservoir de bactéries. Pour faire face à ce risque, MSF a déployé du personnel supplémentaire dans le centre de traitement du choléra et mis en place des séances de formation pour permettre une meilleure prise en charge des cas. L’organisation organise également des campagnes de sensibilisation de la population. 

Gauche : une salle dédiée au traitement du choléra dans le centre de santé de Matiya. Entre mi-décembre et mi-février, cette petite structure a reçu environ dix patients atteints de choléra et enregistré un décès. 
Droite : le 16 février, l’unité de traitement du choléra de Namandja avait reçu plus de 200 patients dont six sont décédés.

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L'eau et les installations sanitaires

Outre les soins médicaux, la lutte contre cette maladie très contagieuse requiert une politique d’hygiène stricte non seulement au sein de la structure de santé, mais aussi à l’extérieur. Il est absolument crucial d’isoler les cas infectés et de désinfecter les maisons des patients grâce à une solution à base de chlore. MSF fournit également du chlore pour désinfecter les conteneurs d’eau potable.

MSF a également distribué des filtres aux pêcheurs vivant sur le lac pour qu’ils puissent filtrer leur eau sans risquer d’être contaminés.

Une eau potable pour contenir le choléra

La campagne de vaccination

La mise en place d’une campagne de vaccination orale contre le choléra, en complément de la prise en charge des cas ainsi que l’installation de points d’eau potable et de sanitaires, joue un rôle essentiel dans la lutte contre l’épidémie actuelle et la prévention de sa propagation dans d’autres régions. La campagne a concerné 80 000 personnes âgées de plus d’un an et 160 000 doses ont été distribuées. La zone de vaccination comprenait les districts de Machinga, de Zomba et de Phalombe, tous situés autour du lac Chilwa, y compris les communautés de pêcheurs. Chaque volet de la campagne de vaccination organisée entre mi-février et début mars a duré six jours.

En 2014, MSF a fourni près de 450 000 doses de vaccin contre le choléra dans le monde pour prévenir l’apparition d’épidémies dans des régions soumises à des situations d’urgence (par exemple au Soudan du Sud) et dans une zone où la maladie est devenue endémique (en République démocratique du Congo). C’est la troisième fois que MSF utilisait ce vaccin oral contre le choléra pour répondre à une épidémie.

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Le vaccin

Shanchol, vaccin oral à deux doses contre le choléra, a été validé par l’Organisation mondiale de la santé (OMS) en 2010 pour trois types d’utilisation différentes : dans le cadre de campagnes de prévention, en réponse à une épidémie et dans des régions endémiques. Depuis, la demande de vaccins n’a cessé d’augmenter, mais les capacités de production et d’approvisionnement restent limitées. Le Groupe international de coordination pour l’approvisionnement en vaccin antiméningococcique (GIC), composé de représentants de l’OMS, de la Fédération internationale des sociétés de la Croix-Rouge et du Croissant-Rouge, du Fonds des Nations unies pour l’enfance (UNICEF) et de Médecins Sans Frontières, est chargé d’assurer la disponibilité et de veiller à la bonne utilisation de ce vaccin en en régulant l’approvisionnement. Toutefois, la situation devrait progressivement s’arranger à partir de fin 2016, une fois qu’un autre groupe pharmaceutique se sera également lancé dans la production du Shanchol. 

Au cours d’une vaste campagne de vaccination menée par MSF en 2012 en Guinée, le vaccin oral contre le choléra a fait preuve de taux de protection très élevés (86 pour cent). En 2014, l’organisation a également mené une importante campagne de vaccination lors d’une épidémie au Soudan du Sud, lors de laquelle l’efficacité du vaccin à une dose a été estimée à 44 pour cent par une étude de modélisation. 

Le vaccin est désormais inoculé en deux prises (à deux semaines d’intervalle) et sa protection immunologique n’est efficace que trois semaines plus tard. Quant à son efficacité, elle baisse au bout de deux ans.

La chaîne de froid 

Effectuer le transport et le stockage des vaccins dans le respect de la chaîne de froid – entre 2° et 8°C du site de production à la personne vaccinée – représente un véritable défi, mais s’avère indispensable dans une région où les infrastructures sont limitées, et l’alimentation électrique et les capacités de refroidissement imprévisibles.

Geoffrey Meszaros, responsable logistique vaccination :

« Dans une campagne de vaccination, la phase préparatoire est le moment décisif où nous recevons le matériel, mettons en place la chaîne de froid, préparons le site et identifions les populations cibles pour être pleinement opérationnels dès le premier jour de vaccination. Cette phase peut prendre jusqu’à deux mois, mais pour cette campagne, nous n’avons eu que trois semaines. »

L’OMS recommande de conserver le vaccin à une température de 2 à 8°C maximum. Il est doté d’une pastille de contrôle des vaccins (PCV 14) et doit, en tant que tel, être détruit au bout de quatorze jours à 37°C. Nous disposons d’un nombre croissant de données sur la thermostabilité du vaccin, mais celui-ci n’a pas encore été autorisé pour une utilisation en chaîne de température contrôlée (CTC). La société de biotechnologie Shanta a même demandé le passage à une PCV30, déjà consentie par l’organisme indien de réglementation, mais pas par l’OMS. Au sein de MSF et du Groupe spécial mondial de lutte contre le choléra, un certain nombre de voix s’élèvent donc pour une utilisation hors chaîne du froid afin de faciliter la seconde injection du vaccin, même si cet usage reste encore hors réunion de concertation pluridisciplinaire (RCP).

© A.Baumel/MSF
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John Johnson, coordinateur de projet

« Cette campagne de vaccination a été très exigeante en terme logistique. Le lac Chilwa est très étendu ; 6 000 à 10 000 personnes y vivent, sur des îles ou des maisons flottantes qui peuvent être très difficiles d’accès et 70 000 autres habitants vivent dans des ports et des villages de pêcheurs alentour. La campagne a été menée sur soixante sites différents et nous n’avions que six bateaux et environ trente voitures pour nous y rendre. »

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Les stratégies de vaccination

Dans le cadre de la campagne de vaccination au Malawi, MSF, le ministère de la Santé et l’Agence de médecine préventive (AMP) ont mis au point de nouvelles stratégies pour la seconde injection : ils ont appliqué des règles plus souples de chaîne de froid afin de simplifier cette seconde inoculation, d’en accroître le taux de couverture et de réduire les coûts. La faisabilité, l’acceptabilité et l’efficacité de ces nouvelles méthodes seront contrôlées et évaluées par Épicentre.

 

« Je connais six personnes de Dzanjo, mon village, qui ont attrapé le choléra, dont une est morte. Quand j'ai entendu parler de la campagne de vaccination, je n'ai donc pas hésité, j'y suis allé. »

James, 31 ans

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Stratégie classique 
Pour leur seconde injection, les populations des ports et des villages du rivage bénéficieront de procédures standard encadrées par des équipes fixes. Cette campagne concernera les communautés des trois districts entourant le lac Chilwa (environ 67 500 personnes). 

Encadrement de la seconde injection 
Pour les populations des îles de pêcheurs (environ 6 500 habitants, principalement des familles), l’AMP supervisera les secondes injections. Les lieux choisis pour cette campagne sont les cinq îles de Thongwe, de Njalo, de Chidiamphiry, de Chenjelani et de Chissi, ainsi que Changuma, une localité de l’autre côté du lac. Avant de commencer la nouvelle série de vaccinations, les doses seront acheminées sur les îles, confiées au chef local de la communauté et entreposées en un endroit précis. Le vaccin sera transporté dans des glacières munies de pains de glace conditionnée et conservé dans des zones ombragées. La livraison se fera vers la fin de la première série. La glacière ne sera pas ouverte pendant la période de stockage. Le matin du premier jour de la seconde série, les chefs de village et les assistants de surveillance sanitaire seront appelés à se rendre sur place et à récupérer les doses de vaccin sur le lieu de stockage. Ils recevront un certain nombre de doses en fonction de la population cible dont ils sont responsables. Ils distribueront directement ces doses à la population et lui expliqueront comment les inoculer chez eux. 

 

Mister Vincent, assistant de santé et chef de communauté

« La première série de vaccinations à Njalo devait prendre trois jours. La population visée comprenait 680 personnes, dont certains pêcheurs vivant dans des zimboweras et des habitants de l’île voisine. J’ai réussi à motiver toutes ces personnes à venir se faire vacciner. Mais pour atteindre cet objectif, je vais avoir besoin d’un ou deux jours supplémentaires ! »

Auto-administration de la seconde dose 
Les pêcheurs du lac Chilwa vivent dans des maisons flottantes, appelées zimboweras, qui peuvent héberger cinq à six personnes. Environ 6 000 individus, principalement des jeunes hommes, vivent dans ce type d’habitations dans deux des trois districts du lac Chilwa (Machinga et Zomba). Cette population est très mobile et difficile à atteindre. MSF y mènera une seconde opération d’auto-administration du vaccin. Dès la première série de distributions, MSF délivrera la seconde dose aux habitants avec pour instruction de la garder chez eux et de ne la prendre que deux semaines après la première. Ils devront conserver cette seconde dose dans la partie la plus fraîche de la maison et rapporter les fioles vides au salon de thé où elles seront collectées après la seconde série. Le nombre de fioles récupérées permettra d’établir le taux de couverture administrative de la seconde dose.

© A.Baumel/MSF
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