Hépatite C : retour sur l’opposition au brevet de Gilead sur le sofosbuvir

Des personnes attendent dans la clinique MSF de Phnom Penh spécialisée dans la prise en charge de l'hépatite C. 2017. Cambodge. 
Des personnes attendent dans la clinique MSF de Phnom Penh spécialisée dans la prise en charge de l'hépatite C. 2017. Cambodge.    © Todd Brown

Gaelle Krikorian, responsable de la Campagne d'accès aux médicaments essentiels de MSF revient sur l’opposition au brevet de Gilead sur le sofosbuvir. L’arrivée de ce médicament utilisé dans le traitement de l’hépatite C constitue une réelle avancée pour les patients : il permet de réduire la durée du traitement et d’augmenter significativement le taux de guérison. Son prix le rend néanmoins inaccessible pour de nombreuses personnes, que ce soit en Europe ou dans les pays en développement.

MSF ne prend pas en charge de patients souffrant de l’hépatite C en Europe, pourquoi s’oppose-t-elle donc au brevet de Gilead sur le sofosbuvir ?

Nous avons, d’une part, une expérience dans l’opposition aux brevets et c’est normal de la partager avec les organisations de la société civile qui se mobilisent actuellement en Europe. D’autre part, de nombreux pays en développement n’ont pas les ressources pour examiner en détail les brevets que demandent les laboratoires, ils suivent donc ce que fait l’Europe, or l’Europe accorde trop facilement des brevets sur les médicaments, ce qui entraîne des prix très élevés. Enfin, l’Office européen des brevets multiplie les accords avec des pays étrangers, notamment où MSF intervient, qui donnent lieu à l’application automatique des brevets délivrés par l’Europe dans ces pays.

Manifestation contre le brevet sur le sofosbuvir à Munich. Septembre 2018. Allemagne.
 © Peter Bauza
Manifestation contre le brevet sur le sofosbuvir à Munich. Septembre 2018. Allemagne. © Peter Bauza

Le sofosbuvir constitue une avancée majeure dans le traitement contre l’hépatite C, avec des taux de guérison de plus de 90 % contre 50 % auparavant. Mais les conséquences du brevet sur le médicament sont parfois dramatiques. Face aux prix, certains pays décident de rationner et de définir des critères stricts d’accès aux médicaments, empêchant des milliers de personnes d’être correctement soignées. Imaginez la colère des patients en Europe à qui l’on explique que leur foie n’est pas encore suffisamment nécrosé pour qu’ils puissent bénéficier du traitement.

Peut-on parler ici d’un brevet injustifié ?

Un brevet est censé protéger une invention qui apporte à la connaissance et à la science, c’est la règle du système. Celui qui la découvre et la décrit obtient un monopole sur le marché pendant une durée de 20 ans. Il jouit de cet avantage énorme qui lui permet d’être le seul à pouvoir commercialiser le produit. Mais nous sommes confrontés à une multiplication effrénée du nombre de brevets sur des médicaments accordés trop facilement. C’est ce qui se passe avec le sofosbuvir. Et parce que Gilead a le brevet, il impose le prix de vente. Celui-ci va jusqu’à 43 000 € pour un traitement de 12 semaines au sofosbuvir en Europe, quand des études ont démontré que la fabrication du médicament coûte moins de 1 euro par comprimé. L’objectif de Gilead est la recherche du profit maximal, sans considération pour la santé des personnes.

Le 13 septembre 2018, l’Office européen des brevets a annoncé le maintien du brevet de Gilead sur le sofosbuvir. Quelles sont les prochaines étapes ?

Nous avons fait appel de cette décision. Mais cette procédure peut prendre des années, période pendant laquelle le monopole reste en vigueur et le recours à des génériques est donc impossible. La dénonciation de ces monopoles abusifs par la société civile permet d’attirer l’attention sur cette injustice, sur les conséquences sur les populations et sur la santé publique. C’est une première victoire pour nous. Des oppositions contre les brevets du sofosbuvir ont été déposées dans d’autres pays, et des brevets importants du sofosbuvir ont déjà été refusés ou révoqués en Égypte, en Chine et en Ukraine. Il est grand temps d’ouvrir un débat sur la responsabilité de l’Office européen des brevets et sur la légitimité des brevets qu’il délivre.

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