Haïti - Guérilla urbaine et chirurgie
Depuis la fin du mois de décembre, Médecins Sans Frontières gère une
clinique privée près des quartiers chauds de Port-au-Prince, ville
confrontée à une guérilla urbaine. Jean-Paul Dixmeras, chirurgien,
membre du conseil d'administration de MSF, rentre de 10 jours de
mission à Haïti. Voici son récit.
J'ai vite compris que je me trompais. Le jour de mon arrivée à Port-au-Prince, la capitale haïtienne, nous avons reçu une femme de 25 ans, l'abdomen traversé par une balle. Nous avons passé quatre heures au bloc opératoire pour tenter de la sauver, mais elle est malheureusement décédée quelques heures plus tard. Et ensuite ça a été tous les jours comme ça, avec des plaies par balle quotidiennes qui touchent toute la population. Comme cette gamine de 18 ans, atteinte d'une balle à bout portant dans le sternum.
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Premier jour de mission,
première opération "Le jour de mon arrivée à Port-au-Prince, nous avons reçu une femme de
25 ans, l'abdomen traversé par une balle. Nous avons passé quatre
heures au bloc opératoire pour tenter de la sauver, mais elle est
malheureusement décédée quelques heures plus tard."
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Ce type de violence semble principalement affecter Port-au-Prince, ville de 2 millions d'habitants dont la plupart vivent dans une extrême pauvreté. Cette violence affecte en particulier la population civile, prise dans les affrontements entre bandes armées (pro- et anti-Aristide) et la police. Lorsque des affrontements éclatent, c'est toute la population de ces quartiers qui est touchée. Nous avons soigné beaucoup de femmes et d'enfants qui avaient reçu des balles dans le dos. Attention, il ne s'agit pas de balles perdues, d'accidents. On leur avait volontairement tiré dessus alors qu'ils fuyaient pour tenter de se mettre à l'abri.
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Une violence qui frappe toute la population
"Ce jeune homme était au volant de sa voiture lorsqu'il a reçu deux
balles dans l'épaule droite et la partie haute du thorax. Elles sont
ressorties du côté gauche, perforant les deux poumons. Mais il a eu de
la chance, aucun organe vital n'a été touché de façon irrémédiable."
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Parallèlement, les petites cliniques du secteur privé fonctionnent sur un système exclusivement lucratif. Les quelques chirurgiens qui existent, qui ont sans doute une qualification suffisante, se déplacent d'un établissement à un autre, avec leur petite mallette, leur matériel et facturent un package qui comprend l'intervention et le suivi post-opératoire. En cas de mauvaise fracture par exemple, l'ostéosynthèse par fixateurs externes [la pose d'attelles externes fixées à l'os par des vis] coûte 1 000 à 2 000 dollars selon l'établissement. Une césarienne dans un établissement pas trop cher, 200 dollars. Un simple plâtre coûte très cher. Dans ce pays où le revenu moyen par habitant est estimé à à peine 1 dollar par jour, seule une extrêmement faible part de la population peut avoir accès à ce type de soins.
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Un système de santé en déroute
L'unique hôpital public de Port-au-Prince est saturé, et les cliniques
privées trop chères. Dans ce pays où le revenu moyen par habitant est
estimé à à peine 1 dollar par jour, seule une extrêmement faible part
de la population peut accéder aux soins.
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Au bloc opératoire
La clinique gérée par MSF est la seule structure capable de pratiquer
une chirurgie lourde, gratuitement. L'équipe comprend plusieurs
chirurgiens spécialisés (orthopédiste, viscéral, maxillo-facial, etc.)
pour permettre une prise en charge complète.
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Le premier travail qu'on a eu après avoir pris en charge cet hôpital a été de le réhabiliter. Car il était en très mauvais état. Nous avons dénombré 6 respirateurs, mais aucun ne marchait. Sur les 4 tables d'opération, aucune n'était complète. Faute d'immatriculation en règle, l'ambulance ne circulait pas depuis l'an 2000. Et nous avons eu d'autres mauvaises surprises : le système de stérilisation qui ne fonctionnait pas, l'absence de point d'eau dans la salle des urgences et un unique point d'eau au bloc opératoire, pas de traitement des déchets (officiellement, ils étaient amenés à une décharge publique, ce qui déjà n'est pas terrible, mais en réalité ils finissaient souvent dans un ruisseau près de la clinique, où les cochons se disputaient les bouts de chair), pas de " casaques " [les blouses des chirurgiens, NDLR] et presque pas d'instruments, etc. Le générateur, censé prendre le relais en cas de coupure de courant, était défectueux. Nous avons dû opérer à la lampe frontale ! Il faut dire que, avant même d'avoir eu le temps de lancer la réhabilitation, nous avons immédiatement été confrontés à un afflux de blessés. Nous ne pouvions pas laisser ces gens sans soins, c'est pour ça qu'il fallait ouvrir très vite cette mission.
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Jean-Paul Dixmeras au travail
"Avant même d'avoir eu le temps de lancer la réhabilitation, nous avons
immédiatement été confrontés à un afflux de blessés. Nous ne pouvions
pas laisser ces gens sans soins, c'est pour ça qu'il fallait ouvrir
très vite cette mission."
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Quand nous sommes arrivés dans l'hôpital, il n'y avait que quinze chambres individuelles, donc nous avons rapidement doublé la capacité d'accueil en équipant une grande salle commune. Et l'objectif est d'atteindre un total de 42 lits d'hospitalisation en transformant l'ancienne chapelle au dernier étage de la clinique. Mais nous ne pourrons pas aller au-delà.
Pour ne pas être confrontés rapidement à un problème de saturation, nous allons devoir cibler notre travail. Nous sommes venus là d'abord pour les violences, donc nous nous sommes engagés à prendre en charge toutes ces victimes d'armes à feu, d'armes blanches. Mais nous ne pourrons de toute façon pas prendre en charge la totalité de la traumatologie civile qui n'est pas assurée ailleurs. Il y a des victimes d'accidents de voiture, d'accidents domestiques. Par exemple, comme la population de Port-au-Prince vit dans des conditions d'extrême précarité, nous avons reçu à deux reprises des personnes blessées dans des éboulements de terrain, dont une gamine de 16 ans avec la tête écrasée par des pierres, dans le coma. Nous voudrions également essayer d'éviter de prendre nous-mêmes en charge les interventions de gynécologie-obstétrique comme les césariennes, en identifiant des structures de référence vers lesquelles orienter les patientes.
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42 lits d'hospitalisation
Quand nous sommes arrivés, il n'y avait que quinze chambres, donc nous
avons rapidement doublé la capacité d'accueil en équipant une grande
salle commune. Et l'objectif est d'atteindre 42 lits d'hospitalisation
en transformant l'ancienne chapelle.
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Comme l'hôpital où nous sommes installés est tout près des zones d'affrontement, on reçoit les patients très rapidement. C'est rare qu'on soit aussi directement sur la zone, avec les risques que cela comporte pour la sécurité des équipes. Les gens arrivent avec des plaies par balle, ils sont en état de choc, il faut les opérer tout de suite. C'est l'extrême urgence. Du point de vue des conditions de travail, cette mission m'a fait penser aux premières missions que j'ai effectuées avec MSF au Soudan il y a plus de 20 ans. Du point de vue du contexte, ça m'a rappelé la Somalie, avec les mêmes phénomènes de clans, encore plus mouvants peut-être. Finalement, ces dix jours de mission ont balayé mes doutes quant à l'utilité d'un tel projet à Haïti. Tant le niveau de violence que l'inadéquation du système de soins à Haïti justifient pleinement la présence de MSF.
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Jean-Paul Dixmeras
"Ces dix jours de mission ont balayé mes doutes quant à l'utilité d'un
tel projet à Haïti. Tant le niveau de violence que l'inadéquation du
système de soins à Haïti justifient pleinement la présence de MSF."
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