Géorgie - «Etre attentif à l'individu parmi la foule»

Gori septembre 2008. Les équipes de MSF offrent aux personnes déplacéesà Tbilissi et à Gori une prise en charge médicale et psychologique.
Gori, septembre 2008. Les équipes de MSF offrent aux personnes déplacéesà Tbilissi et à Gori une prise en charge médicale et psychologique. © Alexandre Chevallier

Gwenola Le Blanc Ghanes est psychologue clinicienne. Elle nous fait part de son expérience de terrain auprès des déplacés géorgiens du conflit de l'été 2008 entre la Russie et la Géorgie.

Gwenola Leblanc est psychologue clinicienne. Elle nous fait part de son expérience de terrain auprès des déplacés géorgiens du conflit de l'été 2008 entre la Russie et la Géorgie.


Quelles furent tes impressions en rencontrant tes premiers patients?

A Tbilissi, mes premières impressions ont été celles de l'urgence : il régnait une grande confusion et un sentiment d'incompréhension. Beaucoup de déplacés venaient de milieux ruraux, et se sentaient complètement perdus dans la capitale.

Je me souviens de ma première visite dans un vieil immeuble désaffecté, réquisitionné pour loger des déplacés. Devant le hall, il y avait plusieurs groupes d'hommes hagards, les yeux rougis par le manque de sommeil, fumant cigarette sur cigarette. Ils étaient en état de choc, comme stupéfiés.




Qu' avaient « à dire » ces patients ?

Personne ne s'attendait à un déchaînement de violences aussi brutal, et c'est bien ce côté inattendu et soudain qui a fait trauma.

Dès lors, le besoin de s'exprimer sur ce qu'ils avaient vécu était très fort : l'éclatement du conflit ; la peur ; l'affolement et la fuite ; l'inquiétude pour les proches... Puis, les préoccupations liées aux besoins quotidiens : trouver où dormir, où manger, comment cuisiner ou se vêtir quand on se retrouve sans rien...

Au mois d'octobre, j'ai constaté un tournant sur le plan clinique. Le 10, les troupes russes se sont retirées de Géorgie jusqu'à la frontière de l'Ossétie du Sud. De nombreux déplacés ont alors pu rentrer chez eux.

Mais les personnes originaires d'Ossétie et des villages complètement détruits ont dû rester dans les centres collectifs. Impuissants, ils ont assisté au départ de ceux qui rentraient, réalisant alors qu'ils n'avaient plus de maison, plus de "chez eux".

En consultation, nos échanges sont devenus plus difficiles : « Que voulez vous que je vous dise, j'ai tout perdu, il n'y a plus rien à dire ». Le douloureux travail psychique de l'élaboration de la perte a alors pu débuter, avec l'entrée dans une phase plus dépressive, faisant suite à la phase de choc.

Les Géorgiens semblent particulièrement attachés à leur terre. L'identité régionale y est très forte. Quitter sa "terre-mère-patrie" est source de grande souffrance. Perdre sa terre, c'est perdre ses racines, la maison où on est né. C'est aussi l'impossibilité d'honorer ses ancêtres car l'accès au cimetière n'est plus possible... Toutes ces pertes ont dû être verbalisées, s'élaborer peu à peu, prendre du sens. C'était un passage indispensable avant que ces patients puissent s'imaginer reconstruire une nouvelle vie.


Tu as ouvert et fermé ce programme, quel bilan et leçons tires-tu de notre intervention pour l'avenir?

Les interventions psychologiques dans des situations d'urgence sont toujours très difficiles. Il existe un vrai paradoxe entre la nécessité humanitaire d'agir très vite face à une population très nombreuse (ici plusieurs dizaines de milliers de personnes), et la nécessité psychologique de prendre le temps d'écouter, même dans l'urgence. Il faut toujours être attentif à l'individu parmi la foule.

Vers le mois d'avril, nous avons constaté que certaines associations, pour la plupart géorgiennes, projetaient de mettre en place des programmes de soutien psychologique à long terme. Nous avons alors décidé de mettre fin à notre projet d'assistance aux déplacés du conflit de l'été 2008. La phase d'urgence étant passée, les associations géorgiennes sont désormais en mesure de prendre le relais.

 

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