Coronavirus : au Brésil, une situation cauchemardesque et hors de contrôle

Intervention MSF auprès des personnes vulnérables à Rio de Janeiro. 2020. 
Intervention MSF auprès des personnes vulnérables à Rio de Janeiro. 2020.  © Mariana Abdalla/MSF

Le Brésil est le deuxième pays le plus touché au monde par la pandémie de coronavirus, après les États-Unis. Les équipes de Médecins Sans Frontières, qui ont lancé six interventions d’urgence à travers le pays, sont témoins de situations souvent catastrophiques, aussi bien en Amazonie que dans des villes comme Rio de Janeiro ou São Paulo.

Le Brésil compte déjà plus de 960 000 cas confirmés et près de 46 000 décès dus au coronavirus, et le nombre de contaminations quotidiennes ne semble pas diminuer. Entre 15 000 et 30 000 personnes supplémentaires sont ainsi touchées chaque jour par la maladie, alors que les capacités de test sont au plus bas, avec 7 500 tests par million d’habitants, soit 10 fois moins qu’aux États-Unis.

« Ce n'est pas une coïncidence si le Brésil souffre si durement, explique Ana de Lemos, directrice générale de MSF Brésil. Le coronavirus révèle un système de santé en proie à des inégalités structurelles : un grand nombre de personnes pauvres ou sans-abris sont exclues des soins, et des régions comme l’Amazonie souffrent de déficit d’investissement dans le domaine de la santé depuis des décennies. Les autorités régionales et locales ont fait des efforts immenses pour faire face à la pandémie, mais il y a un énorme décalage entre le gouvernement central et les régions au niveau de l’approche, des protocoles et des politiques de réponse. Dans sa communication publique, le gouvernement a parfois mis les décès dus au coronavirus sur le même plan que tout autre décès, voire les a traités avec une forme de désinvolture. Tout cela crée de la confusion, et affaiblit la réponse nationale. » 

Les capacités de réponse à la pandémie sont quant à elles en train d’être détruites. « Lors de ma visite pour évaluer la situation, l'équipe de l'hôpital me disait que près de 100 % des patients qui nécessitaient des soins intensifs étaient décédés », explique le Dr. Janssens, coordinateur d'urgence MSF, à propos d’une évaluation dans la ville de Tefe, dans l'État d’Amazonas. Les travailleurs de santé sont en première ligne face à la maladie et une centaine d’infirmières meurent chaque mois des suites du coronavirus. 

MSF a lancé six interventions d'urgence dans les États d'Amazonas et de Roraima, dans la grande région amazonienne, ainsi qu’à Rio de Janeiro et São Paulo. Certaines sont maintenant bien établies, comme à Manaus, la capitale de l'État d’Amazonas, et d’autres sont en phase de démarrage, en Amazonie rurale par exemple.

L’Amazonie abandonnée à son sort

C’est dans l'État d'Amazonas que le taux de mortalité dû au coronavirus est le plus élevé au Brésil. « Les quatre principaux hôpitaux de Manaus, étaient tous pleins quand nous nous y sommes rendus, explique le Dr. Janssens. Les patients admis en soins intensifs mourraient en très grand nombre et les médecins qui les soignaient tombaient malades. » Les taux de mortalité extrêmement élevés étaient dus au nombre important de patients qui arrivaient à l’hôpital à un stade avancé de la maladie et au déficit de place dans les unités de soins intensifs. Pendant plusieurs semaines, l’état de certains patients hospitalisés s’est aggravé sans qu’ils puissent être admis en soins intensifs.

Centre d'isolement MSF des personnes suspectées d'être touchées par le coronavirus à Manaus. 2020.
 © MSF
Centre d'isolement MSF des personnes suspectées d'être touchées par le coronavirus à Manaus. 2020. © MSF

« Le coronavirus évolue rapidement et parfois de manière imprévisible, détaille Brice de le Vingne, coordinateur MSF des programmes de réponse à la Covid-19. Nous avons porté notre attention sur la grande ville amazonienne de Manaus lorsque des rapports faisant état d'un nombre élevé de cas de coronavirus et de fosses communes ont commencé à émerger. À ce moment-là, la situation était déjà à un niveau catastrophique, et avec une petite équipe, nous avons dû identifier rapidement où nous pouvions aider le mieux. » Les équipes MSF ont ainsi ouvert un service de prise en charge de 48 lits au sein d’un hôpital de la ville.

Si certains signes indiquent que le pic pourrait être dépassé à Manaus, ville de près de 2 millions d’habitants, la situation reste très inquiétante et le virus s’est propagé dans les zones rurales de l’Amazonie. Des interventions MSF sont en cours de préparation à Tefe, sur les rives du fleuve Amazone, dans l’hôpital de la ville et dans des centres de soins en périphérie, ainsi qu’à São Gabriel da Cachoeira où un volet de prévention aux communautés pourrait être mis en place en plus d’un centre de traitement. Ces deux villes sont situées à plusieurs jours de bateau de Manaus.

L’épidémie sévit toujours dans les grandes villes

Le coronavirus est apparu au Brésil dans les communautés les plus aisées de villes comme Rio de Janeiro ou São Paulo avant de se propager progressivement aux quartiers pauvres, avec des effets dévastateurs. Les personnes marginalisées, sans-abris ou toxicomanes, les personnes âgées ou celles vivant dans des habitats précaires, sont aujourd’hui particulièrement touchées par la maladie.

Intervention des équipes MSF auprès des populations vulnérables dans la ville de Rio de Janeiro. 2020. 
 © Mariana Abdalla/MSF
Intervention des équipes MSF auprès des populations vulnérables dans la ville de Rio de Janeiro. 2020.  © Mariana Abdalla/MSF

« Comme dans de nombreux pays, la pandémie a entraîné la perte de nombreux emplois, explique la Dr. Ana Nery, coordinatrice de projet MSF. Mais à São Paulo, il y avait déjà 24 000 sans-abris, et avec un système de santé qui atteignait ses limites, les obstacles empêchant ces populations extrêmement vulnérables d'accéder aux soins de santé sont devenus encore plus palpables. La pandémie a plongé davantage de personnes dans l'extrême pauvreté, les laissant sans abri et souvent sans espoir. »

 

Les équipes MSF travaillent ainsi auprès des sans-abris du centre-ville de São Paulo et dans les bidonvilles des périphéries. L’accent est également mis sur les personnes dépendantes à l’alcool ou les consommateurs de crack et de cocaïne avec un programme d’assistance déployé à « Cracolandia », un lieu connu pour être fréquenté par des personnes souffrant de dépendance aux drogues. À Rio de Janeiro, l’intervention MSF a consisté à des formations de personnels de centres de santé et d’hôpitaux à la prévention et au contrôle des infections ainsi qu’à des actions de prévention. Une équipe est également en discussion pour l'ouverture d'une unité de soins palliatifs à São Paulo, afin d'offrir une fin de vie digne aux patients qui présentent un pronostic sombre.

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