Cisjordanie : une vague de violences jusqu’aux portes des hôpitaux

Des membres des équipes MSF inspectent les décombres d'un immeuble détruit par l'armée israélienne à Jénine. 25 octobre 2023
Des membres des équipes MSF inspectent les décombres d'un immeuble touché par l'armée israélienne à Jénine. 25 octobre 2023 © MSF/Faris Al-Jawad

Depuis le 7 octobre, les violences envers les Palestiniens se multiplient en Cisjordanie. Les autorités palestiniennes font état de 165 personnes tuées et de 2400 blessés. Dans la ville  de Jénine en particulier, les équipes MSF ont soigné 30 patients blessés par balle ou par explosion en cinq semaines. Le 9 novembre, la violence a encore monté d’un cran, avec des bombardements généralisés.

« La plupart des patients que nous recevons ont reçu des balles dans l'abdomen et les jambes, explique le Dr Pedro Serrano, médecin de l'unité de soins intensifs MSF à l'hôpital de Jénine. Certains ont eu le foie et la rate éclatés tandis que d’autres ont de graves lésions vasculaires. Nous avons également appris qu’une personne avait reçu une balle dans la tête alors qu’elle se trouvait juste devant l’hôpital. »

Depuis le 7 octobre et le début de l’offensive israélienne sur la bande de Gaza en réponse au déferlement de violence du Hamas en Israël, la violence envers les Palestiniens a sensiblement augmenté en Cisjordanie. À Jénine, les médecins urgentistes de MSF sont appelés en renfort à l'hôpital public presque toutes les nuits en raison  des incursions de l’armée israélienne, composée de chars et des troupes terrestres.

Marquée par des bombardements généralisés, la journée du 9 novembre a été particulièrement violente. Le matin même, des tracts avaient été largués sur le camp de réfugiés de Jénine, ordonnant aux habitants d'évacuer. Mais beaucoup n'ont aucun endroit sûr où aller. 

Ce même jour, nos équipes ont vu les forces israéliennes tirer à l’entrée de l’hôpital, les balles touchant le mur juste au-dessus de la porte. Elles ont aussi soigné un secouriste qui avait pris une balle alors qu'il était à l'intérieur d'une ambulance. Et la nuit d'avant, un soldat, sous les yeux de nos collègues qui se tenaient à l'extérieur, avait tiré sur l'unité d'urgence de l'hôpital, touchant là-aussi le mur. 

La présence militaire, en dehors même des attaques, perturbe les activités médicales. Les ambulanciers qui travaillent dans la zone du camp de réfugiés de Jénine utilisent un tuk-tuk pour se faufiler dans les ruelles étroites afin de récupérer les blessés. Or, les forces israéliennes bloquent souvent l’entrée de ce quartier, ce qui rend quasi impossible la circulation des ambulances, qui viennent pourtant prendre en charge des blessés dont la vie est menacée.

À l’extérieur de l’hôpital, des d’ambulanciers regardent fixement au loin. Juste à côté, une ambulance percée d’impacts de balles. L'un d'eux raconte qu'on leur a tiré dessus alors qu'ils tentaient d'atteindre des blessés dans ce camp. Ils ont été alors contraints d'évacuer l'ambulance et de se cacher au sol pendant 20 minutes, jusqu'au retrait des forces israéliennes. 

Vue d'un immeuble détruit à Jénine lors d'une incursion israélienne le 1er novembre 2023. 
 © Faris Al-Jawad/MSF
Vue d'un immeuble détruit à Jénine lors d'une incursion israélienne le 1er novembre 2023.  © Faris Al-Jawad/MSF

Désormais, en Cisjordanie, il y a aussi 6 000 Gazaouis qui se retrouvent dans des centres d’accueil.  Alors qu'ils travaillaient en Israël avant la guerre, leurs permis de travail ont depuis été annulés. Les équipes MSF font des visites dans ces centres pour y faire des dons de fournitures médicales, notamment de médicaments contre les maladies non transmissibles, et proposer un soutien en santé mentale.

Certains travailleurs gazaouis ont déclaré au personnel MSF qu'ils avaient été battus, humiliés et maltraités alors qu'ils étaient détenus par les forces israéliennes, dans les semaines qui ont suivi le 7 octobre. « Certains présentaient des blessures et des traces de coups, explique Yanis Anagnostou, responsable des activités en santé mentale de MSF à Jénine. Ils nous disent avoir été molestés pendant plusieurs heures avant d’avoir été déposés à la frontière de la Cisjordanie. »

Des habitants de Gaza, dont le permis de travail en Israël a été annulé, lors d'une session de soutien avec les équipes MSF. 
 © Faris Al-Jawad/MSF
Des habitants de Gaza, dont le permis de travail en Israël a été annulé, lors d'une session de soutien avec les équipes MSF.  © Faris Al-Jawad/MSF

Les incursions et les violences ne sont pas propres à Jénine. Dans le gouvernorat d’Hébron, dans le sud de la Cisjordanie, les violences impliquant les forces israéliennes et les colons, les déplacements forcés et les restrictions de circulation ont un impact sur tous les aspects de la vie quotidienne des Palestiniens. Certains membres de la population locale ont expliqué aux équipes MSF qu'ils ne se sentaient pas en sécurité même en marchant dans la rue et que l’accès aux services de base, notamment aux marchés alimentaires et aux soins de santé, était fortement restreint.

Depuis le 7 octobre, au moins 111 familles palestiniennes, soit environ 905 personnes, ont été obligées de quitter leurs maisons en Cisjordanie en raison des violences et des intimidations des forces israéliennes et des colons, selon l'ONU. Dans les collines du sud d’Hébron, deux familles, parmi les dizaine de déplacées, ont été contraintes de partir après que les colons ont incendié leurs maisons, volé des panneaux solaires, des barils d’eau et coupé les canalisations d’eau. Les équipes MSF leur ont apporté un soutien médical et matériel.

« Une femme, dont la maison a été entièrement incendiée, m'a raconté à quel point elle se sentait toujours en danger et effrayée, explique Mariam Qabas, responsable de la promotion de la santé pour MSF à Hébron. Elle m’a dit  “Je n’ai jamais pensé à quitter ma terre ou ma maison comme ça, mais je ne peux pas risquer la vie de mes fils et de ma famille. Je ne me vois pas d’avenir et je me sens impuissante.” Ce sont des réactions tout à fait normales face à des circonstances aussi anormales, où les gens sont confrontés à une violence et à une insécurité intenses. »

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