Chine - Le témoignage de Françoise, pédopsychiatre à Baoji

"Je suis frappée par la capacité de résistance de ces enfants."
Françoise est pédopsychiatre à Baoji. C'est sa deuxième mission pour
Médecins Sans Frontières, après 9 mois passés sur le programme consacré
aux enfants en situation difficile de Erevan, en Arménie.

Aucun des enfants du centre n'a une famille "normale", un père et une mère encore vivants. Certains sont orphelins, ont été recueillis un moment par un membre de leur famille, puis se sont retrouvés seuls à la mort de ce dernier. D'autres finissent dans la rue suite à la séparation de leurs parents. Car ici, en cas de divorce, c'est souvent le père qui a la garde des enfants. Et s'il se remarie, il arrive que la nouvelle épouse les rejette. Beaucoup d'enfants du centre n'ont plus aucun lien avec leur mère biologique depuis leur plus jeune âge, certains ne s'en souviennent même pas ! Avant d'être définitivement abandonnés dans la rue, 80% des enfants que nous recueillons ont subi des maltraitances, souvent par la famille "adoptive" qui les a récupérés.

Comme lors de ma précédente expérience en Arménie, les enfants nous arrivent en piteux état. La différence, c'est qu'ici leurs histoires sont beaucoup plus dures et qu'on ne connaît parfois pas leur origine. Il faut donc faire tout un travail long et fastidieux pour rechercher leur famille, reconstituer leur identité. Quand un nouvel enfant arrive, je le reçois à plusieurs reprises. Cela me permet de détecter les plus vulnérables, ceux qui ont besoin d'un soutien plus qu'éducatif. Tous ont de grandes carences affectives, sont très agités, très demandeurs d'attention. Ils ont un retard manifeste, tant sur le contrôle de leurs émotions que scolairement. Il faut dire que beaucoup n'ont jamais été scolarisés et ont du mal à se concentrer, à rester attentifs.
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Je suis frappée par la capacité de résistance des enfants. Leurs dessins - paradis perdus, paysages enchanteurs - révèlent une bonne structure psychique. Cela dit, la tristesse qui en ressort montre que ces enfants restent vulnérables.
© MSF

Néanmoins, hormis deux ou trois enfants qui relèvent de la psychiatrie, avec des pathologies assimilables à un retard mental ou à des troubles psychotiques, je suis dans l'ensemble frappée par leur capacité de résistance. Malgré les abus physiques et moraux qu'ils ont subi, malgré leur passage par 7 ou 8 maisons différentes, malgré les histoires terribles qu'ils racontent, certains enfants ont réussi à trouver un équilibre ! Leurs dessins - paradis perdus, paysages enchanteurs - sont très gais, révélateurs d'une bonne structure psychique. Cela dit, le sentiment de cassure et de tristesse qui en ressort montre que ces enfants restent vulnérables, que leur équilibre reste fragile.

Pour que mon départ en fin de mission ne soit pas vécu comme un drame, une séparation de plus, je m'efforce de ne pas trop approfondir ma relation avec les enfants, de ne pas créer trop d'attachement. En organisant des réunions avec d'autres interlocuteurs, comme les éducateurs, j'essaie donc de disperser l'attachement des enfants.

Un de mes objectifs ici c'est aussi de former le personnel chinois. MSF ne sera pas éternellement là et il faut que les éducateurs prennent davantage en compte la dimension psychologique de leur travail. Nous aimerions également sensibiliser les autorités concernées, pour que le relais puisse être assuré après notre départ.

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