Au Niger, la lutte contre la faim n’est pas seulement une question d’agriculture

Guidan Roumji Niger. Septembre 2012.
Guidan Roumji, Niger. Septembre 2012. © Tanya Bindra

Les enfants en bas âge sont les premières victimes du drame de la sous-nutrition dans le monde. Le Niger fournit l’exemple d’une réussite: réduire de 45% la mortalité des jeunes enfants en associant la lutte contre la malnutrition à des actions simples dans le domaine de la santé.

Emmener son enfant chez le pédiatre pour un contrôle et une vaccination peut paraître une corvée. Beaucoup de parents se demandent si ces pesées et ces piqûres sont vraiment nécessaires. Mais les mères et les infirmiers du Niger nous rappellent à quel point ces simples gestes sont à la fois importants et efficaces.

Madarounfa est un district du Niger où Médecins Sans Frontières travaille depuis plus de dix ans. Nous continuons d’y soigner un nombre particulièrement élevé d’enfants malnutris, souffrant de paludisme ou d’autres maladies courantes. Mais il y a du nouveau. Des milliers de mères et d'enfants souriants affluent au centre de santé tous les mois pour y être pesés, vaccinés  et recevoir, dès l’âge de 6 mois, de la nourriture adaptée en complément de l’allaitement maternel. Pendant la distribution de moustiquaires aux nouveau-nés, les infirmiers engagent de vives discussions avec les mères sur la meilleure façon de s’occuper d’un enfant malade ou sur ce que l’enfant doit manger pour rester en bonne santé.

Pour la plupart des Nigériens, la vie quotidienne est une série de défis. Le pays a connu trois crises alimentaires au cours des six dernières années. En 2010, presque la moitié de la population a bénéficié d’une aide à court terme sous forme de distributions de nourriture ou de transferts d’argent ; cette année, un quart des Nigériens en bénéficient.

Malgré ces épreuves, des progrès conséquents ont été enregistrés dans le domaine de la santé des enfants. Le pays est l’un des moins développés au monde, mais les taux de mortalité infantile y sont en chute libre et diminuent deux fois plus vite qu’au Nigeria voisin, pourtant plus grand et plus riche. Alors que le Niger est confronté à une situation sociale et économique difficile, les taux de malnutrition infantile s’améliorent.

Que s’est-il donc passé? En 1990, le pays affichait le plus haut taux de mortalité d'enfants de moins de 5 ans au monde. A la fin des années 90, le gouvernement a lancé des campagnes de vaccination associées à des distributions de vitamine A. Entre 1998 et 2005, le pourcentage d'enfants de moins de 5 ans qui avaient reçu une dose de vitamine est passé de 7 à 75%, et celui des enfants vaccinés contre la rougeole a doublé. C’était là un pas dans la bonne direction.

Puis il y a eu 2005. En mars, les cliniques MSF au Niger ont commencé à recevoir un nombre sans précédent d’enfants malnutris et malades. Une réponse en urgence s’est organisée. Le ministère de la Santé a approuvé rapidement un protocole national de prise en charge de la malnutrition, tandis que l’UNICEF se mobilisait. Des dizaines d’ONG sont arrivées dans le pays, embauchant de nombreux médecins et infirmiers nigériens. Les enfants malnutris ont commencé à être traités par dizaines de milliers. Fin 2005, un peu moins de 100 000 enfants avaient été soignés. Il s’agissait, à l’époque, de l’opération d’urgence la plus importante jamais réalisée pour traiter la malnutrition infantile.

Comme cela arrive souvent, la crise a ouvert la voie à de nombreux progrès. Entre 2005 et aujourd’hui, plus d’un million d’enfants malnutris ont été soignés au Niger, un chiffre qu’aucun autre pays au monde n’a atteint. Depuis 2005 également, le ministère de la Santé conduit chaque année au moins une enquête nutritionnelle. Ainsi, en juin 2010, une enquête a donné l’alerte, ce qui a permis de démarrer une réponse en urgence, mais aussi d’introduire des changements importants dans les programmes nutritionnels, et de créer un précédent. Ces trois dernières années, une grande partie des enfants de 6 mois à 2 ans a reçu de nouveaux aliments enrichis, pendant la période de soudure. Des études menées dans le cadre d’un projet MSF en collaboration avec les autorités du Niger ont montré que les taux de mortalité étaient divisés par deux lorsque les enfants recevaient ces suppléments nutritionnels adaptés à leurs besoins.

La nutrition et la santé sont étroitement liées : les enfants atteints de malnutrition sont plus exposés à d’autres maladies courantes, créant ainsi un cercle vicieux potentiellement mortel.

Le paludisme, par exemple, est une cause majeure de décès au Niger. Il serait inconcevable de prendre en charge la malnutrition sans soigner le paludisme et distribuer des moustiquaires. Depuis 2005, le nombre de cas de cette maladie soignés dans le pays a triplé, et atteint plus de 1,5 million en 2009. La gratuité des soins pour les moins de 5 ans décidée par les autorités nationales et la mise à disposition des traitements nécessaires expliquent notamment cette progression. De plus, le pourcentage de familles dormant sous une moustiquaire est passé de 0 à 75% en l’espace de sept ans.

Enfin, il y a la vaccination. Depuis 2005, le pourcentage d’enfants vaccinés contre l’ensemble des maladies infantiles a doublé. Même si beaucoup de chemin reste à faire, car les enfants nigériens ne reçoivent toujours pas tous les vaccins dont ils ont besoin, le progrès est indéniable.

Ces avancées sont d’abord le fruit de décisions prises par les autorités nigériennes. Parfois, les acteurs humanitaires y ont aussi contribué. Ensemble, les acteurs gouvernementaux et ceux de l’aide d’urgence ont jeté les bases pour relancer une activité fondamentale : les consultations médicales du nourrisson.

L’allaitement maternel, une alimentation riche et le traitement de la malnutrition aiguë, l’administration de l’ensemble des vaccins nécessaires, la prévention et le traitement du paludisme, ainsi qu’une bonne collecte de données constituent les piliers de la réussite nigérienne, à savoir la baisse de 45% de la mortalité infantile au cours des dix dernières années. Ils créent les conditions pour atteindre l' « objectif audacieux » que le Dr. Mickey Chopra, responsable de la Santé d’UNICEF, a évoqué lors d’un récent entretien.

Il ne s’agit pas de réinventer la roue, mais de tirer les leçons d’une expérience. La difficulté est de trouver le moyen de continuer sur cette lancée, car ces progrès sont fragiles. Même s’ils sont le fruit de décisions politiques éclairées, ils sont en grande partie dus à l’investissement des organisations d’aide d’urgence, qui est par définition transitoire. Il est essentiel de coupler les deux volets « nutrition et santé » dans la politique de santé publique, de manière à pouvoir protéger les enfants par des mesures réellement efficaces, pendant la phase d’urgence, mais aussi et surtout en dehors de celle-ci.

C’est là que réside le défi pour l’initiative Scaling Up Nutrition (SUN), qui a pour objectif d’endiguer la malnutrition dans le monde. Les mères et les soignants du Niger ont beaucoup travaillé pour montrer à cette nouvelle plateforme ce qu’il est possible de faire dans ce domaine. La question maintenant est de savoir comment faire pour consolider et accélérer ces progrès dans des contextes comme celui du Niger. Il s’agit premièrement de reconnaître que le recours aux aliments enrichis pour traiter et prévenir la malnutrition, couplé à la mise en œuvre de mesures de santé de base, font partie des stratégies les plus efficaces dont nous disposons pour sauver ceux qui meurent de faim.
 

Cet article est l’adaptation d’un post publié par le Dr. Susan Shepherd, pédiatre MSF, sur le site du Huffington Post le 4 octobre dernier.

Le Dr. Susan Shepherd travaille depuis six ans avec Médecins Sans Frontières, où elle coordonne les activités nutritionnelles. Elle a effectué des missions en Ouganda, au Tchad, au Niger, au Kenya, au Soudan du Sud, au Burkina Faso et au Ghana.

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