Ukraine : à Tcherkassy, une approche multidisciplinaire pour prendre en charge les blessés de guerre

Un patient de l'hôpital de Tcherkassy, soutenu par les équipes MSF, qui apprend notamment à marcher avec des béquilles suite à une amputation. Octobre 2024. Ukraine.
Un patient de l'hôpital de Tcherkassy, soutenu par les équipes MSF, qui apprend à marcher avec des béquilles suite à une amputation. Octobre 2024. Ukraine. © Yuliia Trofimova/MSF

Depuis l’offensive massive lancée par la Russie en 2022, quelque 300 000 nouvelles personnes souffrant de handicap ont été recensées par les autorités ukrainiennes. Une grande partie de ces blessures ont été causées par des mines, des explosions ou des éclats d’obus et ont donné lieu à de nombreuses amputations. Dans ce contexte, la demande de soins de réadaptation a fortement augmenté dans le pays. Alors que les structures de santé peinent à faire face à cette hausse, les équipes de Médecins Sans Frontières ont lancé un projet de prise en charge spécifique dans la ville de Tcherkassy, dans le centre de l’Ukraine, en mars 2023.

Ihor reçoit des soins médicaux depuis un mois à l’hôpital de Tcherkassy. Ce jeune homme âgé de 27 ans a été blessé lors de bombardements sur la ville de Soumy, dans l’est de l’Ukraine. Il a reçu des fragments d’obus dans les yeux et son poignet est fracturé. « La nuit, la douleur est insupportable, explique-t-il. J’ai souvent crié de douleur et j’ai même demandé qu’on m’ampute le bras. »  

Son état s’améliore toutefois grâce au travail d’Oleksii Taranenko, un physiothérapeute MSF, avec qui il réalise des exercices thérapeutiques. « Hier soir, j’ai réussi à dormir toute la nuit pour la première fois depuis une semaine. » Ihor retrouve progressivement l’usage de sa main, il peut désormais tenir une bouteille d’eau d’un litre pendant un court moment.  

« Ces quelques instants durant lesquels il a pu porter un objet sans ressentir de douleur aiguë ont été une véritable réussite, explique Oleksii Taranenko. Nous montrons aux patients qu’ils sont capables de se rétablir. C’est un puissant moteur de guérison. »  

Le physiothérapeute MSF Oleksii Taranenko examine les radios d'un patient avant une séance thérapeutique. Octobre 2024.
 © Anhelina Shchors/MSF
Le physiothérapeute MSF Oleksii Taranenko examine les radios d'un patient avant une séance thérapeutique. Octobre 2024. © Anhelina Shchors/MSF

La plupart des blessures traitées à l’hôpital de Tcherkassy sont liées à des explosions, et le nombre de patients amputés d’un membre est en hausse. « Ils arrivent souvent avec de graves blessures aux jambes causées par des mines ou des éclats d’obus », explique Blanche Daillet, responsable des activités de physiothérapie MSF. Le projet développé par MSF intègre de la physiothérapie, un soutien psychologique et des soins infirmiers, une approche pluridisciplinaire indispensable pour répondre aux besoins complexes des blessés de guerre dans leur parcours de soins.  

Lorsque les patients arrivent dans le service de réadaptation de Médecins Sans Frontières, ils sont généralement déjà passés dans deux ou trois structures de santé. Ils présentent alors souvent d'importantes complications telles que l’atrophie musculaire et la raideur articulaire, la priorité ayant été donnée, dans les premiers soins, à l’intégrité de leurs tissus et au processus de cicatrisation des plaies, en ne traitant pas ou peu la restauration de la fonctionnalité de leurs membres.  

Un patient soutenu effectue des exercices de coordination, suite à une amputation et à la pose d'une prothèse. Octobre 2024.

 
 © Yuliia Trofimova/MSF
Un patient soutenu effectue des exercices de coordination, suite à une amputation et à la pose d'une prothèse. Octobre 2024.   © Yuliia Trofimova/MSF

« On doit prendre en charge des patients qui ont subi 20, 30 ou parfois même 40 opérations chirurgicales dans un laps de temps assez court, explique Vitalii Pavlieiev, superviseur en santé mentale MSF. Ils ont besoin de soutien, notamment de la part du personnel infirmier et des psychologues. Dans le cas d’une amputation, nous essayons de travailler avec eux pour les aider à mieux accepter les conséquences de l’opération. Après l’amputation, nous concentrons nos efforts sur la gestion de la douleur fantôme. » 

 Volodymyr, 42 ans, est arrivé à l’hôpital de Tcherkassy avec des blessures à la jambe et au bras. Un de ses doigts a dû être amputé. Il souffrait également d’anxiété lourde, de troubles du sommeil et de cauchemars. Volodymyr était guitariste et ingénieur du son, et l’amputation de son doigt l’a profondément affecté. « J’exprimais tout ce que je ressentais à travers mes doigts, mais maintenant, je ne peux plus jouer de la musique, déplore-t-il. Les psychologues sont là pour moi, je peux me confier et ils m’aident à surmonter ma douleur. » 

Le moral des patients et le soutien qu’ils reçoivent de leur famille et amis jouent un rôle essentiel dans leur rétablissement. Les séances organisées en groupe et avec les familles sont indispensables. La mise en place de cette approche multidisciplinaire se heurte au manque de personnel qualifié sur chacun de ces domaines d’intervention. « Cela devrait changer dans les années à venir, explique Thomas Marchese, coordinateur d’urgence MSF. Davantage d’étudiants poursuivent désormais des études dans les domaines de la physiothérapie, de l’ergothérapie et de la psychologie clinique. Mais il leur faudra encore trois à quatre ans avant d’entrer sur le marché du travail. »  

MSF travaille en étroite collaboration avec le ministère ukrainien de la Santé et d’autres partenaires pour étendre l'approche déployée à Tcherkassy à d’autres régions. 

Notes

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