« Le traitement en France est bien souvent le dernier espoir » des quelques patients venus de pays étrangers, rappellent Marie-Pierre Allié, présidente de Médecins Sans Frontières, et Francis Varaine, médecin référent tuberculose à MSF, qui appellent « à un effort politique majeur en faveur de la recherche, afin de développer et de rendre disponibles des traitements réellement efficaces ».
Différents médias exposent depuis le 24 janvier dernier les problèmes financiers et de santé publique que poserait un « afflux » récent de malades atteints de tuberculose ultra-résistante dans les hôpitaux français.
Un article du Figaro est à l’origine de cet emballement médiatique – un malade géorgien a même eu l’honneur de figurer dans le 20 heures de France 2. Le Figaro évoque « un déferlement » en provenance de Géorgie, de Russie, de Tchétchénie ; Le Point se demande si « les Français auraient à pâtir » de cette situation. Tous s’appuient sur l’expérience rapportée par le professeur François Bricaire, chef du service des maladies infectieuses de la Pitié-Salpêtrière, qui accueille actuellement selon les sources cinq (France 2), six (Le Point) ou une dizaine (Le Figaro) de patients atteints par ces formes de tuberculose résistante. Le traitement de cette situation dans la presse nous amène à réagir sur les enjeux réels de santé publique liés à cette maladie.
En 2010, l’Organisation mondiale de la santé estimait à près de neuf millions le nombre de personnes atteintes de tuberculose, soulignant que cette pathologie avait causé cette même année environ un million et demi de morts. A partir des années 1990, les cas de tuberculoses résistantes – c'est-à-dire résistantes aux deux médicaments anti-tuberculeux les plus puissants – se sont multipliés. On estime à un demi-million le nombre de nouveaux cas de tuberculose multi-résistante chaque année. Puis, au tout début du XXIe siècle, la description de niveaux jusqu’alors inconnus de tuberculose multi-résistante rapportés en ex-Union soviétique et en Asie centrale a confirmé l’aggravation de la situation. Ces formes dites ultra-résistantes sont des formes résistantes présentant en plus une résistance à certains autres anti-tuberculeux.
Si certaines initiatives sont indiscutablement prometteuses, l’effort en matière de recherche dans le traitement de la tuberculose a été bien trop tardif. Aujourd’hui, certains patients n’ont plus d’espoir de guérison. Le programme national géorgien de lutte contre la tuberculose est un exemple dans la région. Si les patients qu’il prend en charge ne guérissent pas, c’est avant tout parce que les médicaments disponibles ne peuvent venir à bout de la forme de tuberculose dont ils sont atteints. C’est donc avec l’espoir de se soigner – et de survivre – que des malades tentent de rejoindre la France.
A l’instar des patients pris en charge dans les programmes de Médecins Sans Frontières, leur chance de guérison reste faible. La proportion de malades qui guérissent de formes multi-résistantes de la tuberculose est d’environ 50%, et de 30% pour les patients atteints par les formes ultra-résistantes. Le traitement de la tuberculose multi ou ultra-résistante est long (20 mois minimum), complexe (une combinaison d’un minimum de 5 médicaments est requise, la chirurgie est parfois nécessaire), toxique (il entraîne des effets secondaires difficilement tolérables par le patient) et cher. La plupart de ces médicaments sont anciens, ou ont été développés pour d’autres maladies. Aucun nouveau traitement pour la tuberculose n’a été introduit ces cinquante dernières années.
Certains traitements de la « dernière chance » sont disponibles en France, pas en Géorgie. Un nouveau médicament, la Bedaquiline, vient enfin d’être enregistré (décembre 2012) aux Etats-Unis, ouvrant de nouvelles perspectives. Il reste encore réservé à des patients pour lesquels il n’y a pas d’autres options thérapeutiques.
Ce médicament est accessible en France depuis quelques années, ainsi qu’en Géorgie depuis peu de temps où seul un nombre très réduit de patients en bénéficie.
Contrairement à ce que laisse entendre l’article du Figaro, les formes multi-résistantes ne sont pas uniquement le résultat de « thérapeutiques antérieures, mal conduites, inadaptées ou arrêtées trop tôt » : en Biélorussie par exemple, un tiers des cas de tuberculose résistante survient chez des patients nouvellement infectés, n’ayant jamais reçu de traitement auparavant. Pour autant, la menace de « bombe sanitaire » est à relativiser : les études montrent, en particulier chez les personnes voyageant dans le même avion qu’un malade contagieux, que le risque de contamination est très faible et nécessite un contact proche et prolongé. L’argument que tous ces malades ont « contamin[é] peut-être des dizaines de personnes sur leur chemin » risque d’attiser une crainte irrationnelle, non basée sur des faits.
Les cinquante-quatre patients répertoriés par le ministère de la Santé, selon Le Figaro, ne constituent qu’une infime fraction des malades atteints de tuberculose ultra-résistante dans le monde. Leur nombre est surtout révélateur du très long désintérêt des Etats riches vis-à-vis de pathologies identifiées comme étant l’apanage des pauvres. Pour ces patients à l’avenir incertain, le traitement en France est bien souvent le dernier espoir. Plutôt que de jouer sur les peurs liées à des malades étrangers, sachons reconnaître le désespoir de ces patients.
Tout en saluant l’effort des médecins qui les prennent en charge, nous appelons à un effort politique majeur en faveur de la recherche, afin de développer et de rendre disponibles des traitements réellement efficaces.
Cette tribune est parue sur le site de Mediapart le 31 janvier 2013.