Témoignage de Kabo, République centrafricaine : “Nous avons vu des femmes et des enfants en exil et blessés par balle”

Dispensaire mobile MSF à Kabo mai 2014
Dispensaire mobile MSF à Kabo, mai 2014 © María Simón/MSF

Maria Simon a été témoin de la dégradation de la situation en République centrafricaine (RCA) et du conflit qui, depuis plus d’un an, touche ce pays. Au cours des sept derniers mois, Maria a coordoné les projets menés par MSF à Kabo (localité située dans le Nord de la RCA). Elle admet que cela n'a pas été facile et même plus difficile que sa précédente mission en République démocratique du Congo (RDC).

Peux tu nous raconter ces sept mois de mission en RCA ?

"En octobre, lorsque je suis arrivée, il avait déjà eu des attaques menées par des milices anti-Balakas contre les forces de l’ex-coalition rebelle de la Séléka (alors au pouvoir). La situation était tendue, l’avenir incertain. Tout ce qui se passe à Bangui se répercute sur l’ensemble du pays. En novembre, les tensions entre chrétiens et musulmans ont commencé à émerger pour finir par éclater ouvertement en décembre. Le changement de gouvernement, l'offensive des anti-Balakas et le retrait de l’ex-Séléka ont par la suite favorisé la formation de groupes d’hommes armés incontrôlés et très dangereux. Dans le même temps, nous avons commencé à voir des centaines et des centaines de camions transporter des musulmans sur la route de l’exil, vers le Tchad notamment, en quête d’un refuge pour sauver leurs vies. C’était terrible.  

Comment ont été organisés ces convois ? Qu’ont raconté ces personnes ?

Les conditions de leur voyage ont été très difficiles : assises à l’arrière des camions, par dessus leurs affaires, en plein soleil… Parmi elles, quelques blessés, beaucoup de femmes – parfois enceintes - et d’enfants aussi dont certains étaient blessés, par balle, aux bras, au dos. Les armes des anti-Balakas ne sont pas très sophistiquées et du coup, dans de nombreux cas, ces blessures étaient mineures et pouvaient être prises en charge en ambulatoire. Blessures par balle, civils fuyant à bord d’un camion. C’était accablant…

Qu’en est-il pour la population de Kabo ? Est elle dans la même situation que la population du reste du pays ?

Sur des périodes différentes, à chaque fois qu’il y a eu des troubles politiques, les habitants de Kabo ont souffert. Ils ont d’abord été victimes des ex-Sélékas, lorsque ces derniers ont pris le pouvoir. Ils ont alors dû fuir, se cacher en brousse, endurer leur violence et leurs exactions. Aujourd’hui, ils sont la cible de la violence et des représailles des anti-Balakas. A Kabo, zone toujours sous le contrôle de l’ex-Séléka, la population pâtit aussi de violences supplémentaires engendrées par les affrontements entre agriculteurs (chrétiens pour la plupart) et pasteurs nomades (en majorité musulmans). Cette année, un accord a été conclu selon lequel les éleveurs Peuhls tchadiens, les Mbararas, chercheront des pâturages situés loin des champs. Or cet accord, local, n’a pas été étendu à d’autres zones et peut générer des problèmes parce que les Mbararas sont armés. Nous avons pris en charge des personnes blessées par des flèches des Mbararas. L'an dernier, ce conflit a conduit à l’incendie de villages entiers et au déplacement des populations. Les troupeaux envahissent les champs, les agriculteurs attaquent le bétail des Mbararas et ces derniers se vengent par la suite. C’est inquiétant.

Pourquoi ?

Pendant un an, la population a été en fuite, se précipitant en brousse à la moindre menace. Au cours de l’année passée, cela s’est produit à plusieurs reprises, ce qui signifie que les gens n’ont pas pu cultiver de manière continue. A Kabo, contrairement à d'autres localités, les agriculteurs ont conclu un accord avec le Mbararas et sont désormais en mesure de planter. Or si les agriculteurs ne sèment pas, ils ne peuvent pas récolter. Le paludisme atteindra son pic dans quelques mois et son taux de mortalité peut augmenter si cette pathologie est associée avec de la malnutrition. L'année dernière, le paludisme était à son plus haut niveau. Nous craignons que cette année ce soit encore pire.

Qu'est-ce qui peut être fait ?

Nous allons essayer de prévenir plus agressivement le nombre de cas d’infections par le paludisme. Fournir des traitements aux populations avant que le paludisme ne prenne de l’ampleur. Nous allons essayer, via des dispensaires mobiles, même si les gens ne sont pas chez eux, même s’ils se cachent en brousse. C'est un défi.

Peux-tu nous décrire la situation au moment où tu es partie ?

Peu de temps avant mon retour - en signe de protestation suite au meutre de 18 civils, dont 3 membres du personnel MSF, à l’hôpital de Boguila, par une groupe d’ex-Sélékas incontrôlés – nous avons réduit nos activités. Ce week-end là, l’ex-Séléka organisait un congrès à Ndélé, également située dans le Nord, dans le but de désigner un nouveau commandant, de se reconstruire et de se regrouper. 

Je suis rentrée sur Bangui, ce que j’ai vu sur la route - des villages fantômes, abandonnés - était difficile à croire. Entre Dekoa et Sibut, deux localités situées à 100 km l’une de de l’autre, nous n'avons croisé que deux hommes. Ils étaient probablement revenus dans leur village pour y récupérer quelques affaires qu’ils avaient dû laisser derrière eux. Lorsqu’ils ont entendu le bruit de notre moteur, ils ont couru se cacher. Cela veut dire que beaucoup de personnes se cachent en brousse, où elles vivent sans rien, sans aide, ni protection.

Qu’est ce qui t’a le plus choquée ?

Du fait de la situation géographique de Kabo, proche de la frontière tchadienne, nous avons assisté à l'exode de la population musulmane. Je me souviens d'une jeune femme originaire de Bouca, à 150 km de là. Les anti-Balakas avaient mis feu à son quartier. Elle nous a expliqué que trois de ses enfants, tous âgés de moins de dix ans, avaient brûlé avec la maison. Elle était résignée, emplie de tristesse et de chagrin.... A Bouca, il n’y a plus de musulmans, plus rien de ce qui était une communauté dynamique. A Kabo et Batangafo, il reste encore quelques commerçants. La plupart ont quitté Batangafo entre décembre et janvier et ceux qui y sont encore ont envoyé leurs familles loin de là. De décembre à février, tout au long de la journée, des camions, pleins de musulmans, partaient, provoquant même des embouteillages à Kabo, ville de 15 000 personnes.

Selon toi, que peut-il se passer dans les mois à venir ?

Je ne pense pas qu’à court terme la situation va s'améliorer. La population n’est toujours pas assez protégée, la présence des troupes françaises et des forces internationales de la MISCA ne suffisent pas, et le gouvernement de transition ne dispose que de peu de moyens. À Bangui, la situation semble être revenue à la « normale » mais, dans certains quartiers, la violence reste omniprésente. La reconstruction de la Séléka et la condamnation des atrocités perpétrées par certains de leurs groupes incontrôlés peuvent apporter un calme incertain. Il faudra voir s’ils cherchent à reprendre le contrôle des territoires qu’ils ont perdu et s’ils se dirigeront vers le Sud. La situation est extrêmement compliquée et la population a été et est encore victime d'abus et d’atrocités commises par toutes les parties au conflit".


En RCA, plus de 300 personnels internationaux et 2 000 employés centrafricains travaillent pour MSF dans nos projets situés dans près de 15 villes centrafricaines. Une assistance est également apportée aux réfugiés centrafricains qui ont fui vers le Tchad, le Cameroun et la République démocratique du Congo (RDC).

 
Dossier spécial RCA

Retrouvez notre dossier consacré à la crise frappant la République centrafricaine.

 

Dossier de presse « RCA : un an d’escalade de la violence »

 

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