Sud-Soudan - Urgence au nord Bahr-el-Ghazal

Akueam au Sud Soudan avril 2006. Après des années de déplacements des familles retournent dans le Sud.
Akueam, au Sud Soudan, avril 2006. Après des années de déplacements, des familles retournent dans le Sud. © Kevin P.Q. Phelan/MSF

Au Sud-Soudan, après de récents combats dans la région pétrolifère d’Abyei, des milliers de familles, déplacées par les affrontements, ont besoin d’une aide urgente, dans une région où les ressources sont déjà extrêmement réduites.Gabriel Trujillo, responsable des programmes MSF au Soudan, s’inquiète du manque de mobilisation des acteurs de l’aide au nord Bahr-el-Ghazal.

Des déplacés sont arrivés il y a plusieurs semaines dans le nord Bahr-el-Ghazal, dans quelle situation se trouvent-ils?

Environ 12 000 déplacés se sont regroupés sur trois sites au nord d’Aweil et des milliers d’autres sont dispersés dans la brousse, probablement 10 000 personnes, peut-être le double. Personne ne sait exactement, les conditions de sécurité et l’éparpillement des groupes de déplacés rendent l’accès très difficile. Sur les trois sites, les familles n’ont pratiquement reçu aucune aide depuis leur arrivée, entre un et deux mois.

J’ai été impressionné par leur désespoir, à la limite de l’agressivité quand je les ai rencontrés il y a quelques jours. Dans le site de Mending Dot Akok (environ 10 000 déplacés), nous étions entourés par des hommes, des femmes et des enfants qui se frappaient l’estomac et portaient leurs doigts à leur bouche pour crier leur faim dans une langue universelle. Ils m’ont montré leurs seules ressources : des feuilles et des petites noix glanées dans la brousse. Les hommes partent chasser mais, au mieux, ils rapportent de petits animaux.

La faim n’a pas encore marqué les corps des adultes mais déjà quelques adolescents présentent des signes de malnutrition. Pour les plus petits, une évaluation nutritionnelle rapide dans les trois sites a montré des signes très inquiétants : une malnutrition globale de 20% chez les moins de cinq ans, au stade sévère pour 8% d’entre eux, ce qui représente plusieurs centaines d’enfants qui ont besoin en urgence d’aliments thérapeutiques.

Ces déplacés ont fui sans rien emporter, les abris de paille d’environ quatre mètres carrés ne contiennent généralement rien, parfois une marmite ou un vêtement. Pour trouver de l’eau, ils ont creusé des trous de quelques mètres au fond desquels stagne vingt centimètres d’eau boueuse. En somme, ces déplacés ont besoin en urgence d’eau, de nourriture, de matériel de base ainsi que de soins médicaux, particulièrement nutritionnels.Une rapide évaluation a montré que plusieurs centaines d'enfants souffrent de malnutrition.

Que fuient ces déplacés et quelles sont les capacités locales pour répondre à cette urgence?

Cette urgence survient dans un contexte de tensions politiques, d’insécurité alimentaire élevée et de structures médicales insuffisantes et dotées de faibles moyens. Ces déplacements de population sont liés à des combats entre des nomades de la tribu des Misseriya et des forces armées du Sud, le long de la frontière entre le Nord et le Sud Soudan, depuis la fin du mois de décembre. Ces nomades se déplacent suivant leur route traditionnelle de transhumance mais cette tribu qui avait soutenu le Nord durant les années de guerre est suspecte aux yeux des anciens rebelles sudistes et les affrontements surviennent sporadiquement.

Les tensions politiques sont actuellement très fortes dans cette zone, à proximité d’Abyei. C’est une région riche en pétrole dont le statut n’a pas été tranché lors de l’accord de paix entre le Nord et le Sud en 2005. Une partie de la population s’est donc déplacée vers le sud-ouest, au nord d’Aweil, alors que la pression sur les ressources locales est déjà accrue par le retour de quelque 20 000 anciens réfugiés. Car ceux qui avaient fui pendant la guerre dans un pays voisin ou vers le nord du pays reviennent progressivement. Près de deux millions de personnes sont déjà revenues dans tout le Sud-Soudan, et ce n’est pas fini.

La perspective d'élections l’année prochaine peut inciter les quelques centaines de milliers de réfugiés, qui vivent encore hors des frontières, à rentrer. Une minorité des anciens réfugiés sont rapatriés par le Haut Commissariat des Nations unies aux Réfugiés (HCR). Mais, même pour ceux-là, les conditions de retour sont extrêmement dures : ils sont abandonnés à eux-mêmes très rapidement. Or tout manque, à commencer par les services médicaux et la nourriture.

Nous connaissons cette région pour y avoir travaillé pendant des années et nous savons que le système de santé reste à construire et que la malnutrition sévit parmi les moins de cinq ans et ce, même les bonnes années.

Aujourd’hui, alors que les besoins augmentent, la situation est encore pire : les inondations l’année dernière et la fermeture de la frontière pendant deux mois ont fortement diminué les quantités de nourriture disponibles. Les prix des aliments augmentent, à certains moments jusqu’à trois fois le prix habituel sur les marchés.

Dans le même temps, l’aide diminue, le Programme Alimentaire Mondial a cessé les distributions générales de nourriture parce que le Sud Soudan n’est plus en conflit. Nous assistons donc à une accumulation de facteurs aggravants.

Nous demandons aux autres acteurs de l'aide humanitaire de se mobiliser et d'agir rapidement, demande Gabriel Trujillo, responsable des programmes MSF au Soudan.

Quelle est la réponse des organisations internationales ?

Nous avons alerté les acteurs de l’aide présents dans le Bahr et Ghazal sur la gravité de la situation. Et, de notre côté, nous mettons en place une opération d’urgence. Nous avons ouvert des centres nutritionnels ambulatoires, un sur chaque site de déplacés, 800 enfants malnutris y reçoivent déjà un traitement nutritionnel.

Pour ceux qui ont besoin d’être hospitalisés, nous avons ouvert un service de nutrition à l’hôpital d’Aweil, d’une capacité de 100 à 150 lits. Plus de 80 enfants y sont soignés. 3000 kits de biens de première nécessité, contenant des couvertures, des jerrycans, des ustensiles de cuisine et du savon, seront distribués en fonction des besoins.

Nous prévoyons aussi une distribution générale de nourriture sur le site de Mending Dot Akok et l’approvisionnement en eau. En plus de la nutrition, nous sommes particulièrement attentifs aux risques de rougeole et de paludisme. Nous avons déjà vacciné contre la rougeole tous les enfants suivis dans notre programme nutritionnel. La saison du paludisme n’a pas encore débuté mais le nombre de cas est déjà élevé et nous nous attendons à plus de 20 000 malades durant le pic, dont des centaines de cas sévères. Nous allons donc monter, dans l’hôpital, une unité de traitement pour les cas compliqués.

Nous étions déjà présents, à l’hôpital, depuis le début de l’année pour améliorer les soins gynéco-obstétriques, nous avons donc élargi cette activité pour répondre à l'urgence. Mais il faudrait aussi que d’autres acteurs se mobilisent, nous continuons à demander aux autres ONG et au Programme Alimentaire Mondial d’agir rapidement, avant que la saison des pluies ne limite les capacités d’accéder aux populations.

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