Procès de l'Etat hollandais contre MSF

Rowan Gillies président du bureau international de Médecins Sans Frontières
Rowan Gillies, président du bureau international de Médecins Sans Frontières © Claude Ho

Un an après la libération, le 12 avril 2004 d'Arjan Erkel, volontaire néerlandais enlevé 20 mois plus tôt au Daghestan, MSF se retrouve devant un tribunal civil, face à l'Etat hollandais. Celui-ci demande à MSF le remboursement de la rançon d'un million d'euros qu'il a versée, un soit disant emprunt que MSF n'a jamais effectué. Hier à Genève se tenait la première audience publique du procès. Interview de Rowan Gillies, président du bureau international de Médecins Sans Frontières.





En quoi consiste la plainte du gouvernement hollandais contre MSF ?

Fin juillet, quatre mois après la libération d'Arjan Erkel, citoyen néerlandais, le gouvernement hollandais a déposé une plainte contre la section suisse de MSF (dont dépendait Arjan au moment de son enlèvement), lui demandant le remboursement d'un supposé prêt consenti pour le paiement de la rançon qui a permis la libération de son ressortissant. Or, non seulement MSF n'a pas fait d'emprunt au gouvernement hollandais, mais celui-ci a décidé seul et en son nom propre les termes de la négociation pour la libération d'Arjan Erkel. D'ailleurs, depuis mars 2004, le gouvernement hollandais, échaudé par la campagne de communication menée par MSF pour obtenir la libération d'Arjan, avait coupé tous les ponts avec notre association. Le gouvernement hollandais est le seul responsable de ses actes.

Selon vous, par quoi la plainte du gouvernement hollandais est-elle motivée ?

Officiellement, les Etats ne payent pas de rançon aux preneurs d'otages. C'est en tout cas le principe qu'ils affichent publiquement et la position défendue par le gouvernement hollandais. Pour ne pas reconnaître, devant sa classe politique et son opinion publique, qu'il a effectivement versé une rançon, ce dernier attaque donc MSF. Il prétend qu'il n'a fait qu'avancer de l'argent à MSF. Les bases de ce procès sont complètement fausses et cette action en justice est un rideau de fumée destiné à sauver les apparences.

Quelle est la position de MSF vis-à-vis de ce procès ?

MSF se retrouve aujourd'hui en position d'accusé, devant un tribunal civil. Pourtant, on parle bien de l'enlèvement d'un personnel humanitaire -en d'autres termes d'un trafic d'être humain- sur le territoire de la Fédération de Russie, en marge de la guerre qui se déroule à huis-clos en Tchétchénie. Pendant plus de 20 mois, malgré ses campagnes appelant à la libération d'Arjan Erkel et à la mobilisation de la communauté internationale, MSF s'est heurtée à l'inertie des Etats, particulièrement russe et hollandais, qui ne voulaient pas que l'enlèvement d'un volontaire humanitaire vienne interférer dans leurs intérêts politiques et économiques.

Nous ne sommes pas dans le cadre d'une banale affaire criminelle, ni dans celui d'une simple transaction financière entre deux parties. L'enlèvement d'Arjan Erkel a de multiples ressorts politiques. Il place les Etats devant leurs responsabilités au regard de la loi internationale, et questionne l'impunité qui entoure les attaques contre des travailleurs humanitaires. Alors que MSF, victime de l'enlèvement d'un de ses volontaires, comparaît devant un tribunal civil, il n'y a eu aucune enquête sérieuse en Russie et les ravisseurs d'Arjan Erkel courent toujours... Pendant ce temps aussi, dans le Nord Caucase, les violences contre les civils continuent et les organisations qui tentent de leur porter secours s'exposent toujours à des risques immenses.

À lire aussi