[Podcast] Mali, les combattantes du cancer

[Podcast] Mali, les combattantes du cancer

Mali, Bamako, bureau de Médecins Sans Frontières. Derrière son écran, Faye Kadiatou Kanté nous raconte son histoire : un cancer qui a bouleversé sa vie ; une association qui vient en aide à des dizaines de femmes vivant avec un cancer du sein ou du col de l’utérus au Mali, en collaboration avec MSF.

Mon association, c’est « Les Combattantes du cancer », « bòn kelè brao » en Bamanankan.

Je l’ai créée parce que moi-même, j’ai été victime de cette maladie. C’est pour cela que j’ai créé cette association, parce qu'à l'époque, quand je l’ai eue, je n'avais aucune information sur le cancer. Quand on m'a dit que j'avais le cancer, je me suis dit qu’après mon traitement, s’il plaît à Dieu, j’allais former une association pour pouvoir informer les femmes sur ce fléau-là.

L’association « Les Combattantes du cancer » a pour but d’informer les femmes sur le cancer et de les sensibiliser pour qu’elles aillent se faire dépister. 

Parce qu'une femme dépistée tôt est égale à une vie sauvée.

Nos besoins sont nombreux parce que le traitement… On a besoin de médicaments, beaucoup même. On est au mois de mars, nos produits sont terminés dans nos hôpitaux. Il y a beaucoup de nos produits qui sont terminés dans les hôpitaux. Donc vraiment, on a besoin de ça. Une femme malade est détruite sur le plan financier parce que le traitement coûte excessivement cher. C’est vrai que Médecins Sans Frontières est là pour la gratuité mais il y en a beaucoup qui paient les traitements. À six mois de traitement, tu es dépouillée parce que ce n’est pas facile. 

Les femmes malades ont besoin de leurs maris. Il y en a beaucoup qui sont abandonnées à cause de cette maladie. Hier soir, une femme me parlait de ça. Elle m’a dit qu'elle a beaucoup de problèmes avec son mari à cause de sa maladie. Vous savez ce que ça fait sur la femme. Ça nous rend insensible. On n’a pas envie d’approcher de notre mari. Tu es malade, ensuite tu as des problèmes de famille, ce n’est pas du tout facile.

Nous, on a besoin de moyens logistiques parce que le Mali, ce n’est pas seulement Bamako. Il y a des villages. Nous voulons nous rendre là-bas pour sensibiliser les femmes encore. Vous savez, partout, on manque de moyens et d'argent. 

Si le dépistage et la prise en charge des cancers du col de l’utérus et du sein se sont améliorés ces dernières années, les enjeux de sensibilisation et d’accès aux traitements restent importants. 

Les traitements disponibles aujourd'hui chez nous, c'est l'opération. Il y a la chimiothérapie et il y a la radiothérapie. Il y a aussi l'immunothérapie. Après le traitement, on te fait prendre les médicaments pendant cinq ans. On appelle ça l'immunothérapie. 

Le cancer n’est soigné qu'à Bamako seulement. Les autres régions n’y ont pas accès. Pour se faire soigner, la petite période, c’est six mois, ça peut dépasser six mois. Quitter Kayes, la première région, pour venir à Bamako, faire six mois ici, sans ta famille, dans une autre famille, avec les problèmes qu’on a aujourd'hui, ce n'est pas du tout facile. Donc ça, c'est un gros problème. Ça, c’est dans les régions. Pour les cercles et les villages, n’en parlons pas. 

La radiothérapie, on n'a qu'une seule radiothérapie pour tout le Mali, une seule radiothérapie alors qu'il faut une radiothérapie pour un million de personnes. Nous sommes 20 [millions] sinon plus et nous n'avons qu'une seule radiothérapie. Et cette radiothérapie tombe en panne à chaque fois. Si ça tombe en panne, pour être réparée, ce n'est pas moins de six mois alors que le traitement du cancer, après la chimiothérapie et la radiothérapie, tu ne dois pas dépasser trois mois sinon la maladie peut revenir encore. Une de nos combattantes a été victime de ça. Elle a fini avec la chimio et l'opération. Elle attendait la radiothérapie. Elle a attendu, attendu, attendu. Un de ses parents lui est venu en aide. Il lui a donné l'argent pour qu'elle aille faire ça à Dakar. Le moment qu'elle s'apprêtait pour partir à Dakar, elle est partie.

En 2016, quand j'ai fini mon traitement, j’ai fait la chirurgie d’abord, après la chimiothérapie et après la radiothérapie. Après ça, on m'avait dit que je n’avais plus aucun signe du cancer. Quand tu finis le traitement, il y a des contrôles à faire. Lors de mon contrôle, une fois, on m’a détecté une petite tache au poumon droit. Mon sein, c’est le sein gauche, mais on a constaté une petite tache au poumon droit. Après les analyses, on m'a confirmé que c'était le cancer. J'ai fait cette opération aussi et puis ce traitement. Mais malheureusement, il y en a d'autres qui n'ont pas survécu à ça. 

Je connais une dame, elle n’a pas pu surmonter ça, donc elle est partie facilement. Elle avait fait sa chirurgie, ensuite sa chimio et puis la radiothérapie mais quelques années après, elle a fait une récidive, c’était trop fort. C'était trop fort, elle n'a pas pu supporter ça. C’était un membre de notre association. 

Et ce mois de janvier, on a perdu trois combattantes successivement. En trois semaines, on a eu trois décès. Elles étaient aussi abandonnées par leurs maris donc elles n’avaient pas les moyens de se faire traiter. Elles avaient des problèmes dans leurs foyers, ensuite la maladie. L’une était soutenue par son mari mais elle n'a pas accepté l'opération. Elle a attendu avant d'accepter cette opération. Donc on a coupé son premier sein. Quelque temps après, le deuxième sein aussi et ensuite, c'était généralisé. Celle-là aussi est partie.

Quand moi j’ai su, le mot cancer fait peur surtout que je n'avais pas entendu parler de ça. Pour nous, le cancer, c'était réservé aux personnes riches. Il y a le cancer, le diabète… c’est maintenant que c'est généralisé sinon autrefois, c'était considéré ici comme la maladie des riches. Donc quand on m'a dit ça, vraiment j'étais folle, j’étais devenue folle. Je me cachais pour pleurer. Je ne savais pas quoi faire, parce que moi, j'ai perdu mon premier mari en 1996, donc j'étais avec les enfants. Je me suis dit que moi aussi, j’allais partir et laisser les enfants. Vraiment, ça n'a pas été facile. Mon entourage m'a beaucoup assistée. Mes parents, mes enfants, tout le monde était autour de moi pour me soutenir. Et heureusement pour moi aussi en 2017, j’ai rencontré quelqu'un qui m’a beaucoup soutenue et qui m'a même mariée. Quand on m’a diagnostiqué mon deuxième cancer - à ce moment, ils étaient au début des démarches - quand on m’a diagnostiquée, je lui ai parlé de ça. Lui, il venait tout juste de perdre sa femme. Donc, j'ai dit qu'il fallait arrêter pour moi, car moi aussi, j’allais partir bientôt. Il m'a dit de ne plus jamais lui parler de ça et qu’il sait que je vais vaincre ce mal-là. Donc, on a fait le mariage et jusqu'à présent… même tout de suite, il est à côté de moi pour m’assister [rires]. Je remercie le bon Dieu pour ça [rires]. 

Quand on demande à Faye de nous parler de la maladie, elle nous raconte comment son corps a changé avec les traitements : sa peau noircie, l’absence de cheveux, la fatigue permanente et l’ablation d’un sein. 

Quand le docteur m’a dit que c'était la seule solution, j'ai tout de suite accepté. C'était ça ou bien la mort. C'était ça ou bien la mort. C’est pour cela que j’ai tout de suite accepté l'ablation du sein.

Moi, je peux dire que le cancer m'a rendue encore plus forte. Je suis souvent fatiguée mais je suis devenue maintenant une combattante. L'association que j'ai créée, on est tout le temps en mouvement. Ça m’a rendue forte le cancer parce que c'est un plaisir pour moi d’informer d'autres femmes pour qu'elles n'aient pas le sein coupé, parce que c'est ce qu’on veut éviter. 

Dans le cadre de son association, la combattante fabrique des serviettes hygiéniques et des seins artificiels pour les femmes qui ont subi une mastectomie. 

Je fais ça à la machine avec le tissu et le coton synthétique. Pour le sein, ça prend la forme du sein. Et les serviettes hygiéniques, ce sont des tissus en coton aussi que j'utilise.

Elle partage un groupe whatsapp avec les autres combattantes pour se soutenir en dépit de la maladie. Ensemble, elles luttent contre les tabous, la stigmatisation et l’exclusion des malades. 

Des fois lors de nos mariages, baptêmes ou décès même, on prend la parole, on parle aux gens. Et entre nous aussi, on se soulage, on se parle pour donner des astuces, beaucoup de choses. On a un groupe whatsapp, les combattantes du cancer, on a un groupe whatsapp. Donc, une fois que tu prends notre carte - la carte, ça fait 1 000 francs - on t’inscrit au groupe et puis chaque fois, on cause. On fait des blagues. Il y en a beaucoup qui oublient leur maladie grâce à ça.

Après le traitement, ce n'est pas facile d'avoir une vie normale. C'est petit à petit. C’est petit à petit parce qu'il y en a beaucoup qui n’acceptent pas d'avoir un seul sein. Elles ont honte. Elles se sentent stigmatisées, surtout ici, en Afrique, on est dans une famille polygamique. On est avec notre coépouse qui, à tout bout de champ, se moque de nous. Une femme qui n'a qu'un seul sein, on lui dit des trucs, dont il faut être fort de caractère pour pouvoir s’en sortir. On parle de tout ça dans notre groupe whatsapp, parce qu'il y en a beaucoup qui nous disent leurs problèmes, donc on parle beaucoup de ça.

Même si tu as mal au bras, tu vas croire que c’est le cancer. Si tu as mal à la tête, tu vas croire que c’est le cancer. On a toutes cette peur-là de faire une récidive. Le cancer est une maladie, c’est comme un voleur. C’est comme un voleur. Là où tu ne t’attends pas à lui, c’est là qu’il va venir. Donc on a tous peur de la récidive.

Le fait qu’on discute de ça entre nous, ça nous permet de vivre avec ça. Et puis, après le traitement, nous sommes en train de mettre quelque chose en place pour les femmes. Nous voulons faire une formation à ces femmes-là dans la couture, le perlage, la coiffure. Donc nous voulons former des femmes. C'est pour qu'elles puissent se prendre en charge après le traitement parce qu’il y a beaucoup d’entre nous qui sont abandonnées. Donc si tu restes comme ça, tu n’as pas de revenus, ce n’est pas facile. 

Si j'ai un conseil à donner aux femmes, je leur dirais d’aller se faire dépister. Il y a le dépistage précoce et le dépistage tardif. Ces deux dépistages sont capitaux pour la guérison du cancer, parce qu’une femme dépistée tôt, ça veut dire que cette femme est guérie. 

Au Mali, 1 545 nouveaux cas de cancers ont été diagnostiqués dans le district de Bamako en 2019, selon le registre national des données des cancers. Les projections épidémiologiques de l’agence internationale de recherche contre le cancer estime le nombre de nouveaux cas dans le pays à un peu plus de 14 000 pour l’année 2020.

C’était « Mali, les combattantes du cancer », un podcast produit par Médecins Sans Frontières. Avec la participation de Faye Kadiatou Kanté, présidente de l’association « Les Combattantes du cancer ». 

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