Kirghizistan : quelle prise en charge pour la santé mentale après les combats ?

Le psychologue Begaim Borbieva donnant une consultation au centre de médecine familiale de Arka.
Le psychologue Begaim Borbieva donnant une consultation au centre de médecine familiale de Arka. © Maxime Fossat

De violents affrontements ont eu lieu entre les forces armées kirghizes et tadjikes en avril 2021. Au Kirghizistan, ces combats ont déplacé au moins 30 000 personnes dans les districts de Batken et de Leïlek. Les conflits ont profondément choqué la population, qui a vu son quotidien violemment affecté. MSF s’est rendue sur place pour traiter les blessures physiques mais également s’occuper d’une partie moins visible : la santé mentale des patients.

Après avoir passé quatre mois à répondre aux demandes de soins critiques au Kirghizistan, MSF met progressivement fin à ses activités. Les besoins de reconstruction demeurent, notamment ceux de réédification des écoles et hôpitaux. Au-delà des infrastructures, la population a également besoin de se reconstruire psychologiquement. Marcos Matias Moyano, conseiller en santé mentale MSF, était récemment sur place, il raconte comment les affrontements ont profondément affecté la vie des Kirghizes.

Quelle est la situation dans les districts de Batken et de Leïlek du Kirghizistan ?

Après les affrontements d'avril, qui ont causé des destructions très importantes dans les zones frontalières du Kirghizistan, les gens se remettent progressivement du choc initial. Même si cette partie du Kirghizistan a connu des tensions vis-à-vis des terres et de l'eau dans le passé, les récents affrontements ont surpris de nombreux habitants. Au moment de ma visite, les résidents des zones touchées par les affrontements montraient de nombreux signes de détresse prévisibles. Cela se traduit par une inquiétude permanente, de l’anxiété, de la peur, de l’irritabilité, des troubles du sommeil ou alimentaires.

Beaucoup ont entendu des bruits de coups de feu ou des explosions. Ils ont dû fuir ou être évacués à la hâte. Ces situations peuvent avoir un impact durable, particulièrement sur les enfants. Quelques-uns ont vu leurs proches être tués ou blessés au cours des affrontements. D’autres ont été témoins du pillage de leurs effets personnels, de la destruction de leur maison ou de leur commerce. 

Plusieurs établissements publics tels qu’un centre de santé et des écoles ont également été incendiés et détruits, ce qui rend le retour à une vie normale d’autant plus difficile tant que ces services ne seront pas entièrement rétablis.

À l'intérieur de l'école incendiée de Maksat. Des tonnes d'aide humanitaire ont été envoyées par des personnes solidaires de Bichkek à Batken. Parmi cette aide, beaucoup de vêtements ne pouvaient pas être portés par les locaux car jugés trop légers selon les coutumes conservatrices du sud. Ils ont été jetés dans une salle de classe incendiée.

 
 © Maxime Fossat
À l'intérieur de l'école incendiée de Maksat. Des tonnes d'aide humanitaire ont été envoyées par des personnes solidaires de Bichkek à Batken. Parmi cette aide, beaucoup de vêtements ne pouvaient pas être portés par les locaux car jugés trop légers selon les coutumes conservatrices du sud. Ils ont été jetés dans une salle de classe incendiée.   © Maxime Fossat

Comment MSF répond aux besoins des populations affectées par les affrontements ?

La réponse initiale de MSF a été de se concentrer sur la ville de Batken, où de nombreuses personnes déplacées ont trouvé refuge. Alors que les gens ont commencé à repartir, notre attention s’est dirigée vers les zones rurales et le district de Leïlek, où les services de santé publique ont été particulièrement affectés pendant les combats. Les équipes MSF ont fourni des soins de base et proposé des consultations psychologiques dans des villages à proximité des hôpitaux de Kolundu et Samarkandek, ainsi que dans deux camps de personnes déplacées. 

De nombreuses personnes ont présenté des problèmes de santé mentale et nos psychologues les aident à faire face et à se réadapter. Beaucoup avaient déjà des antécédents de troubles mentaux, qui ont été exacerbés par les affrontements. Ils bénéficient également des consultations psychologiques de MSF.

Depuis le début, MSF a fourni plus 4 100 consultations de soins de santé de base et a conduit près de 900 séances de conseil ou de psychothérapie.

En même temps, la structure communautaire est solide et les gens se soutiennent mutuellement. La réponse de l'administration locale et des organisations de la société civile a également été importante.

 

Un groupe de femmes réagit à une question posée sur le conflit.
 © Maxime Fossat
  Un groupe de femmes réagit à une question posée sur le conflit. © Maxime Fossat

Il y a souvent une stigmatisation associée à la santé mentale. Les gens s’abstiennent-ils de demander de l’aide, ce qui pourrait signifier que l’étendue du problème est plus importante qu’il n’y paraît ?

Nous avons constaté qu’au moins 60% des gens venant pour des consultations psychologiques le faisaient en raison de problèmes qui étaient déjà existants avant les affrontements. Les conflits ont augmenté leur détresse ce qui a détérioré leur état mental. Cela met en évidence deux aspects clés : les besoins en santé mentale n’avaient pas trouvé de réponse dans ces zones, et, contrairement aux aprioris concernant la santé mentale, les gens sont, en réalité, réceptifs aux soins psychologiques par des professionnels dans des établissements de santé.

La psychologue Asylbaeva Perizat en consultation au centre médical familial de Uch-Dobo.
 © Maxime Fossat
La psychologue Asylbaeva Perizat en consultation au centre médical familial de Uch-Dobo. © Maxime Fossat

Quels autres problèmes avez-vous observés lors de votre évaluation ?

La détresse que beaucoup de gens ont vécue est une réaction normale dans une situation comme celle-ci. Avec le temps, la plupart d’entre eux se rétabliront. Certains développeront un trouble de stress post-traumatique et nécessiteront des soins spécialisés.
Ce qui est nécessaire, au-delà du traitement des besoins immédiats, c’est la reconstruction rapide des infrastructures endommagées, notamment les écoles et les hôpitaux, en particulier les maisons avant l’arrivée de l’hiver. Tant que leur environnement restera marqué par l’impact du conflit, les gens auront du mal à reprendre une vie normale. Au cours de mes discussions, plusieurs personnes ont également évoqué la nécessité d’avoir une meilleure capacité d’intervention d'urgence, notamment plus d’ambulances ainsi que des évacuations médicales plus rapides, si de tels incidents se reproduisaient à l’avenir.

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