Yémen : MSF poursuit ses opérations d’urgence

Yémen – MSF poursuit ses opérations d’urgence
Yémen – MSF poursuit ses opérations d’urgence © Paul Cabrera / MSF

Aspirations au changement, revendications sécessionnistes, conflits tribaux alimentent les tensions au Yémen. Si la situation s’est quelque peu apaisée depuis juin, elle reste marquée par l’instabilité et les difficultés d’accès aux soins dans certaines zones. Caroline Séguin, coordinatrice médicale MSF à Sanaa et Teresa Sancristoval, responsable de programmes, nous livrent leur impression.

La situation serait-elle plus calme au Yémen ?
Caroline
: Dans la capitale Sanaa, il y a eu sous l’impulsion du « printemps arabe » de grandes manifestations anti-gouvernementales, de mars à mai, qui ont fait beaucoup de blessés et aussi des morts. Mais après le départ du Président Saleh début juin pour se faire soigner en Arabie Saoudite, la tension a globalement baissé dans la capitale même si différentes forces armées sont toujours nombreuses dans les rues et tiennent des barrages.

Comment la crise actuelle affecte-t-elle la population ?
Teresa
: En dépit de la baisse des tensions, la situation à Sanaa est encore très instable et affecte quotidiennement la vie des Yéménites. Selon un récent rapport du PAM, les prix des matières premières alimentaires ont augmenté de 43% en moyenne depuis janvier 2011. Il y a des coupures de courant ininterrompues en ville. La pénurie de carburant a conduit à la création d'un important marché noir avec des prix en hausse de 500 %. Il y a eu des protestations en raison de la difficulté d’obtenir de l’eau ou de l’essence, du manque d’électricité, etc.
Plusieurs hôpitaux se sont démenés pour que leurs activités continuent à fonctionner suite au manque d'électricité et de carburant. Ils disposent d’un à deux jours de réserves. De plus, la présence d'armes dans la ville a sévèrement augmenté. Les tensions dans la communauté, autrefois résolues pacifiquement, risquent grandement aujourd’hui de se régler par la force. Certains quartiers sont très affectés : dans des lieux tels que Al Hasaba, une partie de la population a été déplacée à la suite de violents combats. Différents groupes armés contrôlent diverses parties de la ville. En général, la vie quotidienne de la population civile se détériore rapidement tandis que les gens s’inquiètent de leur avenir.

Comment les autorités de santé ont-elles réagi face à la situation ?
Teresa
: Pour le moment, il est important de souligner que la réponse du système de santé yéménite face à la situation d’urgence liée aux manifestations a été plutôt bonne. Les secteurs public et privé de la santé ont surtout pu faire face à l'afflux de personnes blessées et assurer la qualité des services fournis.

Quels est le dispositif d’urgence mis en place par MSF ?
Teresa
: MSF soutient les acteurs de santé yéménites et comble certains manques. Dès le début des manifestations, nous avons travaillé étroitement avec le département des urgences du ministère de la Santé, les comités de santé des étudiants et les structures médicales publiques et privées. Nous avons évalué les principaux hôpitaux pour voir s'ils sont prêts à faire face aux urgences massives et leur offrir notre soutien; dans certains d'entre eux nous avons effectué des formations et leur avons fournis des médicaments. Nous avons aussi des équipes d’urgence prêtes à intervenir si nécessaire.
Le pays traverse aussi une période d'instabilité qui affecte chaque région et sa population à des différents degrés. La hausse des prix et le manque de carburant, d'électricité et d'eau sont d’autant plus manifestes dans les zones rurales. Nous essayons donc de concentrer nos interventions sur les régions les plus touchées. Nous avons renforcé nos équipes d’urgence à Aden et Taiz dans le sud, tandis que nous n’observons pas pour l’instant de crise ou d’urgence dans ces localités.
Caroline : Pendant un mois, une équipe de MSF a travaillé dans un hôpital à Sanaa dans lequel 200 blessés ont été traités en salle d’urgences – la plupart d’entre eux ne sont pas directement liés aux violences politiques – et a effectué plus d’une centaine d’interventions chirurgicales, notamment en traumatologie. Mais maintenant nous quittons l’hôpital car les besoins médicaux ont changé.
A Taez, où les tensions restent fortes et où des hommes en arme perturbent la prise en charge des victimes de violence et des cas urgents, une ligne de front traverse la ville avec d’un côté l’armée régulière et de l’autre, desgroupes armés. Nous avons organisé, il y a deux mois, un système d’ambulance pour transférer les blessés dans un hôpital privé de la ville et mis en place un plan à appliquer en cas d’afflux de blessés dans cette structure de soins située non loin de la ligne de front.
Mais la zone de conflit la plus dure se situe actuellement dans le gouvernorat d’Abyan, à l’est d’Aden. De violents combats s’y déroulent entre islamistes, milices tribales et forces armées régulières, provoquant d’importants mouvements de populations. Quelque 80 000 personnes ont fui la zone de Zandjibar. Nous aidons un dispensaire pour ceux qui se sont réfugiés à Aden. Quant à la région d’Abyan, il est très difficile d’y évaluer la situation et les besoins au regard de l’insécurité.

Quels sont les principaux obstacles à l’accès au soin ?
Caroline
: Dans le gouvernorat d’Abyan, les combats sont le principal obstacle. En revanche dans les grandes villes du pays, le problème se pose différemment. Sanaa, Aden et Taez possèdent des hôpitaux publics bien équipés. Mais au moment des grandes manifestations, les blessés civils ne voulaient pas se faire soigner dans ces hôpitaux, de peur d’être dénoncés ou de se retrouver face à des éléments des forces de sécurité. A Taez, deux hôpitaux publics ont été mis à sac. Devant un autre hôpital, un blindé est en faction. Pour toutes ces raisons, les blessés cherchent à se faire soigner dans des cliniques privées.
Comme la situation reste instable aux niveaux politique et économique (pénurie de carburant, forte augmentation du coût de la vie)et que la vacance du pouvoir se prolonge, nous veillons à pouvoir intervenir en cas de besoin.

Comment nos programmes réguliers ont-ils évolué ?
Teresa : Nous avons renforcé nos équipes régulières basées à Lahj, Haradh, Saada et Amran. MSF travaillait déjà au Yémen avant cette dernière crise. Le pays a été ébranlé par un conflit armé au Nord pendant des années tandis que l’an dernier de fortes tensions séparatistes sont apparues au Sud. Nous avions des projets dans les deux secteurs. Ils ont fonctionné normalement depuis le début de l'agitation, mais lors de cette dernière période nous nous sommes démenés pour faire face au manque de carburant et nous avons dû annuler beaucoup de nos trajets, et enfin faire face à une importante inflation. Nous avons aussi constaté une augmentation du nombre de patients dans les programmes nutritionnels.

Quels sont les principaux défis de MSF au Yémen aujourd’hui ?
Teresa : Notre principal objectif est de fournir des soins de qualité à la population en détresse. Même si nous avons d’importantes activités dans le pays, il est très difficile pour nous d’atteindre certaines zones en raison de l’insécurité. Le travail au Yémen requiert des exigences en matière de sécurité et un véritable travail permettant de se faire accepté.

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