Niger/ Tsunami - Un système d'aide à deux vitesses ?

Alors que des centaines d'organisations d'aide sont toujours présentes au Sri Lanka et en Indonésie dans les régions affectées par le tsunami, le Niger et ses dizaines de milliers de personnes confrontées à une grave crise alimentaire n'intéressent personne.

Alors que le souci d'un grand nombre de responsables d'organisations est de dépenser "jusqu'au dernier centime" les milliards collectés après la vague meurtrière et d'éviter au mieux le gâchis, la seule aide proposée aux victimes nigériennes de la pénurie alimentaire par les autorités locales, les organisations internationales et les bailleurs étatiques, est toujours tout à fait insuffisante ; elle est payante et inabordable pour la grande majorité des familles.

Dans le cas du tsunami, la conséquence majeure de la catastrophe a résidé dans la disparition subite et brutale de près de 300 000 personnes et la destruction d'importantes portions de bandes côtières. Les survivants des zones sinistrées ont tout perdu et se sont retrouvés face à la douleur provoquée par la mort de leurs proches. Leur vie s'est écroulée.

Mais leur survie n'a pas été menacée. Les tsunamis ont frappé des pays relativement développés qui, à l'échelle nationale, n'ont été que peu déstabilisés par la catastrophe : les administrations, les systèmes de santé, les réseaux commerciaux et ceux de l'entraide sociale continuent de fonctionner. Ils l'ont démontré dans les jours suivant la tragédie et plus encore ensuite.


Les quelques semaines d'urgence passées, les besoins des populations sinistrées ont relevé et relève toujours essentiellement d'une logique politico-foncière de reconstruction : l'urgence pour elles est de pouvoir se réinstaller sur une terre, avoir une maison, retrouver un travail...

Ce sont les Etats et les opérateurs dont c'est le métier (urbanistes, constructeurs, entreprises de BTP, etc.) qui sont maintenant au coeur du processus. Celui-ci sera essentiellement financé par le budget des Etats concernés et l'aide bilatérale (indirectement, nos impôts). Les organisations humanitaires privées ne joueront qu'un rôle à la marge à travers des micro projets, par exemple dans certaines zones reculées ou auprès de communautés exclues, négligées par les pouvoirs publics.

La présence des ONG et de leurs mannes financières n'est pas déterminante : seules le seront la réalité des engagements inter étatiques et la volonté politique des autorités sri lankaises et indonésiennes de prendre en charge leurs administrés, de redéfinir des plans d'occupation des sols et d'urbanisme, de permettre le retour des familles sur leurs parcelles (ou ailleurs), d'établir des cahiers des charges pour la construction des habitations, de confier les marchés à des entreprises privées, etc. Comme au Honduras, en Iran ou même en France, à Toulouse, ce processus prendra des années et la générosité du public n'y changera pas grand chose. Tout simplement parce que les ONG n'ont pas de capacité de décision dans ces domaines. Contrairement à une idée assez répandue, l'humanitaire ne peut pas tout...

Au Niger, une aide toujours payante pour les victimes
Dans le deuxième cas - celui du Niger -, nous nous trouvons face à une urgence vitale. En d'autres termes, la présence de secours fait la différence entre la vie et la mort : si les dizaines de milliers de familles qui ont épuisé leurs réserves alimentaires quatre mois avant les prochaines récoltes ne reçoivent pas d'urgence de la nourriture gratuitement, les enfants basculeront dans la malnutrition aiguë et seront menacés de mort.

Si les enfants déjà malades ne bénéficient pas d'une prise en charge médicale immédiate, ils seront condamnés à très court terme. Ce sont 1000 enfants malnutris sévères aigus qui intègrent nos centres chaque semaine.

Malgré ce constat, les organisations humanitaires et les agences des Nations unies investies sur cette urgence se comptent sur les doigts d'une seule main et la seule proposition qui est faite aux personnes confrontées à cette grave crise consiste à leur faire payer l'aide : pour préserver l'équilibre du marché local du mil, les autorités nigériennes et les bailleurs de fonds institutionnels refusent de mettre en place des distributions de nourriture gratuite dans les localités les plus touchées et proposent du mil moins cher mais toujours payant, c'est-à-dire inaccessible aux plus démunis, ceux-là même qui souffrent le plus du manque de nourriture...

Dans les régions d'Asie du sud-est, il ne semble pas que, dans l'esprit des mêmes acteurs humanitaires, la question de la déstabilisation des marchés locaux par l'arrivée massive de "riches" organisations étrangères (inflation des marchés de l'immobilier, hausse des prix des biens de première nécessité, fuite des ressources humaines qualifiées du marché local vers les organisations internationales, plus rémunératrices, etc.) ait été un frein au déploiement de l'aide...

Le donateur, "un client" à satisfaire?
Tsunami, Niger : deux poids, deux mesures ? La question est choquante et à la limite de la démagogie. Elle a pourtant le mérite de montrer l'inversion de la logique du système de l'aide, une logique largement entretenue par les organisations d'aide elles-mêmes.

Première anomalie, qui va déclencher en chaîne toutes les autres : après le tsunami, les secours sont déployés non pas en réponse à des besoins réels évalués sur le terrain et qui relèvent du secours humanitaire, mais pour répondre à un élan émotionnel sans précédent et dépenser les sommes colossales collectées.

Même si le phénomène n'est pas nouveau et ne peut être critiqué en soi, c'est sans doute la première fois dans l'histoire de l'action humanitaire que le déploiement des secours est à ce point dicté par la pression de l'argent et de l'émotion, encouragée par des médias fortement investis dans des opérations de collecte, instaurant une logique où le donateur devient de fait " le client " à satisfaire.

A cela s'ajoutent une erreur de diagnostic sur la nature des besoins et la propagation de fausses informations par des acteurs qui font référence aux yeux du public : quelques jours après la catastrophe, l'OMS promettait par exemple que les épidémies allaient faire plus de victimes que le tsunami lui-même. La réalité a évidemment démenti la sinistre prédiction. Evidemment, car les personnes, dont les spécialistes de l'OMS, qui ont l'habitude d'intervenir à la suite des catastrophes naturelles, savent très bien que ces dernières ne provoquent pas en elles-mêmes de flambées épidémiques...

Cette surenchère qui en a rajouté sur les raisons de donner, a creusé le fossé entre l'élan de solidarité provoqué par la catastrophe dans le public et les besoins des survivants qui, pour leur grande part, ne relèvent plus aujourd'hui de la générosité du grand public mais de la politique des Etats.

L'archétype du secouriste occidental " accourant au chevet des victimes de l'apocalypse " et pouvant tout n'est pas nouveau. Mais il a été poussé à l'extrême - au moins involontairement - par un grand nombre de médias et par les organismes de secours qui doivent justifier auprès de leurs donateurs les sommes colossales collectées.

Les organismes humanitaires agissent notamment grâce à la compassion et à l'esprit de solidarité du public. C'est ainsi que MSF agit au Niger, après avoir affecté à cette crise - avec l'accord des donateurs - une partie des fonds collectés au moment du tsunami. Car si l'élan de solidarité participe de nos raisons d'agir, celle-ci sont au Niger d'autant plus vives qu'elles n'ont pas provoqué le même élan.

Thierry Allafort, responsable des urgences, et Bénédicte Jeannerod, directrice adjointe de la communication
Tribune publiée dans Messages N°137, juillet-août 2005

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