Niger - Journal de Julien, infirmier

Au Niger, la malnutrition sévère n'a jamais été véritablement prise en charge par les autorités sanitaires. Le seul centre de nutrition qui peut accueillir des enfants en soin intensifs et qui propose la gratuité des soins est celui de MSFà Maradi, au sud-est du pays. En 2003, 6 500 enfants y ont été pris en charge. Julien est infirmier au centre de nutrition de Maradi depuis janvier 2003. Voici quelques extraits de son journal.

Visite de routine. J'entre dans la tente des soins infirmiers, salue l'infirmier et l'assistante nutritionnelle, jette un coup d'oeil au tableau des présents : 12 enfants, 13 accompagnatrices. Pourquoi plus d'accompagnatrices que d'enfant ? Une de nos mamans est aveugle, elle est donc accompagnée d'un deuxième enfant d'environ 8 ans qui l'aide au quotidien.

La médecin qui est là m'appelle, elle veut me montrer un enfant qui est "kwashiorkor", c'est-à-dire qu'il présente des oedèmes liés à la dénutrition, oedèmes qui distendent la peau, la fragilisent, et laissent à cet enfant une crevasse à la cuisse, source de douleur et porte d'entrée pour tous les germes qui traînent...

Les soins intensifs. La salle des soins intensifs est celle où les sourires se font plus rares. Ici les enfants ont presque tous une sonde nasale pour être nourris, car ils n'ont plus la force d'avaler... La malnutrition sévère se fait le lit d'un tas d'autres pathologies qui trouvent un terrain idéal chez ces enfants affaiblis, sans réserve, et dont les défenses immunitaires sont au plus bas. C'est la raison pour laquelle tous les enfants qui arrivent dans le programme ont un traitement antibiotique et des vitamines. Lorsqu'une pathologie spécifique est décelée, elle est traitée en particulier. Tous les enfants sont aussi vaccinés contre la rougeole.

Le paludisme, une des maladies les plus fréquentes. Les cas de paludisme sont très nombreux. Cette maladie peut conduire à des complications multiples et entraîner la mort. En cas d'anémie, le sang ne permet plus de véhiculer assez d'oxygènes aux organes, et la machine s'emballe, le coeur bas plus vite, la respiration s'accélère, ... Si l'enfant a en plus une infection pulmonaire, il lutte pour respirer...

La vie, et puis les morts, aussi. Au sol, sur les nattes, les enfants finissent leur nuit ou jouent sur les jambes de leurs mères. Tous les tissus colorés servent de serviette, de baluchon, de pagne, de robe, de sac à dos, de voile, d'oreiller, ... ils servent à tout.

Un peu à l'écart, une mère s'affaire à regrouper ses objets. A côté d'elle un pagne recouvre son enfant, des pieds à la tête. Un regard au médecin, et tout est dit...

L'infirmière va enlever le cathéter du bras de l'enfant, découper le bracelet d'identification qui était accroché à sa cheville...

La maman plie ses tissus méticuleusement, gestes répétés des milliers de fois, et que rien ne semble pouvoir arrêter. L'infirmière l'aide à poser une dernière fois l'enfant dans son dos. La maman enroule son pagne autour d'elle, place ses effets en équilibre sur sa tête, et regagne doucement la sortie du centre, accompagnée de l'infirmière qui peut-être lui dira quelques mots. Les mamans regardent la scène sans un mot. Sans un geste. Impuissantes. Moi aussi.

Il y a des instants, comme ça, où on oublie tous les enfants qui sont repartis guéris...

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