Tuberculose : des traitements à bout de souffle

La tuberculose tue près de deux millions de personnes par an. Face à cette maladie, les traitements montrent chaque jour leurs limites : logique de la stratégie méprisante pour les patients, tests de diagnostic et médicaments trop vieux, inadaptés pour traiter les formes résistantes de la maladie et les patients co-infectés par le sida, recherche insuffisante.

C'est pour dénoncer cette situation, à la veille d'un colloque international sur la tuberculose, que MSF organise aujourd'hui une conférence de presse. Il est urgent de réviser la stratégie antituberculeuse mondiale et de relancer la recherche, tant pour de nouveaux outils diagnostiques que pour des traitements plus simples et financièrement abordables.

 

La tuberculose tue près de deux millions de personnes par an, presque exclusivement dans les pays pauvres: 95 % des patients atteints d'une tuberculose active vivent dans les pays en voie de développement. 99 % des décès liés à la maladie surviennent dans ces pays.

Les médecins de MSF sont fortement impliqués auprès des malades de la tuberculose : 20 000 patients sont pris en charge chaque année dans nos programmes à travers le monde. A travers notre pratique de terrain, nous expérimentons tous les jours la stratégie recommandée par l'OMS pour "lutter contre la tuberculose", le DOTS (pour directly observed treatment, short course, ou traitement de courte durée sous supervision directe). Nous en éprouvons chaque jour les limites dans les soins aux malades.
Malgré ce constat, partagé par de nombreux experts, le DOTS est toujours la seule stratégie disponible et portée par l'OMS.

 

Une stratégie globale de santé publique, non de prise en charge des malades...
Jusque dans les années 1990, la prise en charge de la tuberculose était anarchique. Les schémas thérapeutiques étaient différents d'un endroit à l'autre et les mécanismes de recueil de données quasi inexistants.

L'épidémie de tuberculose multi-résistante à New-York en 1991-1993 et le lien de plus en plus évident entre la tuberculose et le sida ont fait évoluer cette situation. L'OMS et l'UICTMR ont commencé à parler de la tuberculose comme d'une urgence à l'échelon mondial et à développer une approche globale de la maladie. C'est ainsi que le DOTS a été lancé en 1994. Cette stratégie repose sur la détection et le traitement des patients les plus contagieux uniquement, en détecte seulement 70% et ne vise la guérison que de 85 % des personnes diagnostiquées. Au total, parce qu'elle a pour objectif de limiter la contagion et non d'améliorer la prise en charge des patients, cette stratégie exclut d'emblée la moitié des malades.

De cette position "santé publique" de départ découle une suite logique d'insuffisances : les outils de diagnostic, le vaccin et les traitements sont devenus obsolètes et inadaptés à des contextes précaires. La recherche et le développement portant sur de nouveaux traitements ont longtemps été inexistants. Aujourd'hui, notre préoccupation majeure est que de nouveaux outils soient développés, rapidement disponibles, à des prix abordables pour les pays pauvres. L'OMS semble toujours négliger cette nécessité.

Pour l'OMS, le DOTS n'a pas seulement été conçu comme une approche médicale mais aussi comme une stratégie de marketing auprès des donateurs occidentaux et des décideurs des pays en voie de développement: seuls les cinq principes du DOTS peuvent permettre une lutte mondiale contre la tuberculose. Ces cinq principes sont : l'engagement des pouvoirs publics, la détection des cas par examen microscopique de crachat, un schéma thérapeutique normalisé, un approvisionnement régulier de médicaments, et un système normalisé d'enregistrement.

 

Principales défaillances de la stratégie DOTS
La décision de l'OMS de cautionner le DOTS a été remise en question par les communautés médicales, universitaires et scientifiques. Le fait que la stratégie antituberculeuse ait été élaborée à partir d'outils archaïques est très fortement contestée et nos médecins en éprouvent chaque jour les limites. Le DOTS conduit de fait à l'exclusion des patients dont l'examen microscopique des crachats (sur lequel repose le diagnostic) est négatif.

L'outil de diagnostic de la tuberculose active a été développé en 1882 et n'identifie que la moitié des personnes souffrant de tuberculose. Il ne détecte pas certaines formes pulmonaires de la TB, ni les formes extra-pulmonaires. Il détecte très difficilement les malades co-infectés VIH/tuberculose et exclut les enfants (qui ne savent pas produire de crachats)...
Un test de dépistage obsolète
Vieux de plus de 120 ans, le test est une analyse des crachats au microscope. Les bâtonnets rouges sont des bacilles de Koch, la bactérie responsable de la tuberculose. Mais ce test ne fonctionne que pour à peine la moitié des malades.

 

Le traitement, quant à lui, est d'une durée de six à huit mois et s'appuie sur des médicaments élaborés dans les années 1940 et 1960.

Si nos médecins reconnaissent que le DOTS peut fonctionner dans des conditions "normales", c'est-à-dire en l'absence de VIH ou de tuberculose multi-résistante (TB-MDR), ils doivent se rendre à l'évidence : ces conditions "normales" se font de plus en plus rares... Le DOTS est donc sérieusement décalé par rapport à la réalité.

 

Défis futurs et développement de nouveaux outils
Le plus grand défi de la prise en charge des malades de la tuberculose est celui constitué par la pandémie de sida : 12 millions de personnes (dont plus des deux-tiers en Afrique sub-saharienne) sont co-infectées par le VIH et la tuberculose. Or, le DOTS n'a pas été conçu en tenant compte du lien entre les deux maladies: le plus souvent, les patients sont référés aux programmes nationaux de prise en charge de la tuberculose, qui ne peuvent ni diagnostiquer, ni traiter efficacement ces patients co-infectés.

De même, moins de 2% des patients souffrant de tuberculose multi-résistante ont accès aux médicaments de seconde ligne (qui impliquent des traitements plus longs, plus chers et présentant des effets secondaires importants). Cette forme multi-résistante pourrait se propager très rapidement, provoquant 250 000 à 400 000 nouveaux cas chaque année.
Le développement de nouveaux outils diagnostiques et la relance de la Recherche et Développement pour de nouveaux médicaments sont impératifs pour une meilleure prise en charge des malades. La mise au point de nouveaux outils diagnostiques adaptés aux environnements précaires est capitale.

La plupart des nouveaux médicaments est en cours d'élaboration et à des mois, voire des années, de toute étude clinique. Leur développement est également une priorité absolue.
En attendant, il est essentiel d'encourager la recherche opérationnelle pour améliorer et adapter les outils existants, comme l'a fait MSF sur un certain nombre de ses programmes.

 

Photographie : Roger Job

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