Territoires palestiniens - La situation peut rapidement devenir très critique
Pierre-Pascal Vandini s'est rendu à Gaza pour évaluer la situation de la population en termes d'accès aux soins, ainsi que l'éventuelle nécessité de repositionner notre programme après la décision de l'Union européenne et des Etats-Unis. Le point avec notre médecin.
Ces problèmes de gestion auront des conséquences à long terme. Depuis le début de l'année, le ministère de la Santé a cumulé entre 3 et 8 millions de dollars de dettes auprès de ses fournisseurs qui veulent désormais voir cette facture réglée avant toute nouvelle commande. La décision de l'Union européenne ayant provoqué une crise de confiance vis-à-vis des paiements palestiniens, ces mêmes fournisseurs doivent eux-aussi payer immédiatement toutes leurs commandes effectuées à l'étranger, en Inde ou en Egypte... Il y a donc un effet domino sur toute la chaîne d'approvisionnement qui fonctionne déjà en flux tendu. La fermeture pendant 56 jours, en début d'année, du point de transit de Karni a aggravé la situation : les médicaments restent bloqués, y compris les nôtres.
La situation peut rapidement devenir très critique. Si on atteint la rupture de stock pour certains produits, les soins s'arrêteront. Gérer un hôpital est beaucoup plus complexe que juste acheter des médicaments et payer des salaires. Il faut aussi éliminer les déchets, nettoyer et aseptiser, régler les factures d'électricité... La qualité des soins va s'en ressentir, les risques de contaminations vont être accrus... De même, à force de ne pas être payé, le personnel de santé pourrait se démotiver. Déjà avant, les médecins du service public cumulaient les emplois pour avoir un niveau de vie correct. Sans salaire et sans matériel pour travailler correctement, on peut imaginer qu'ils ne travailleront plus que dans les cabinets et cliniques privés ; or les gens ne peuvent pas et pourront de moins en moins payer pour être soignés. Enfin, les pathologies lourdes comme les cancers, les problèmes génétiques, les malformations congénitales qui, jusque là, étaient traitées dans les pays voisins (Jordanie, Israël, Egypte), ne pourront plus être prises en charge, faute de moyens. Les gens sont très inquiets quant à leur avenir. L'incertitude et la peur du lendemain leur pèsent. Une patiente m'a dit : "c'est comme marcher avec un bâton dans la chaussure"...
Il y a encore des légumes et des agrumes. Le surplus était revendu en Israël, il pourrit désormais à Karni. Les deux principaux moulins qui assurent l'approvisionnement en pain de la population sont eux aussi soumis aux aléas du point de transit. Lorsque la farine est bloquée, des crises ponctuelles et des émeutes peuvent avoir lieu, comme cela a été le cas fin avril. Les enfants se sont habitués à ne plus manger de viande, plus de protéines. On connaît les risques, à terme, d'une alimentation non-équilibrée : carences et propagation de certaines maladies comme le diabète...
Nous prévoyons de continuer nos donations de matériel et de médicaments, de venir en soutien aux services de chirurgie, de dialyses et de pédiatrie où la demande et les besoins sont importants, les spécialistes manquent. Nous allons également continuer à suivre la situation nutritionnelle et rester en alerte. Enfin, nos équipes vont être renforcées. Recruter des Palestiniens sera le meilleur moyen de poursuivre nos activités, surtout en cas d'évacuation des expatriés. Mais tout cela ne sera qu'une goutte d'eau ! Nous ne pouvons pas remplacer tout un système de soins et pallier tous les besoins.
Depuis 2000 et la dégradation des conditions de sécurité, il y a de moins en moins d'étrangers sur Gaza. Actuellement, avec les agences des Nations unies (qui sont passées de 80 expatriés en 2005 à 12 seulement cette année), nous sommes les derniers acteurs de l'aide présents sur le terrain. Beaucoup d'associations ont dû arrêter leurs programmes, suspendre leurs activités. La situation en Cisjordanie n'est pas meilleure. Le camp de réfugiés principal de Naplouse est régulièrement la cible d'incursions ; à Hébron, les routes principales longeant les colonies sont interdites aux Palestiniens, l'approvisionnement et l'accès aux soins sont entravés.