Territoires palestiniens - "A force, il n'y a plus d'espoir"

Gaza mai 2008. Consultation pédiatrique.
Gaza, mai 2008. Consultation pédiatrique. © MSF

Le Dr German CASAS est pédopsychiatre. Après avoir effectué sept
missions pour MSF, il rejoint le
siège où il est référent « psy » depuis mai dernier. A ce titre, il
s'est rendu cet été dans les Territoires occupés palestiniens où MSF
mène des programmes psycho-médico-sociaux à Naplouse (Cisjordanie) et
dans la bande de Gaza.
Bilan de sa visite.

Le Dr German CASAS est pédopsychiatre. Après avoir effectué sept missions pour MSF, il rejoint le siège où il est référent « psy » depuis mai dernier. A ce titre, il s'est rendu cet été dans les Territoires occupés palestiniens où MSF mène des programmes psycho-médico-sociaux à Naplouse (Cisjordanie) et dans la bande de Gaza. Bilan de sa visite.

Quel sont les contextes à Naplouse et Gaza ?
Naplouse était la capitale économique de la Cisjordanie. C'était une ville très riche, très ouverte et en contact permanent avec le monde arabe.

Depuis la 2ème Intifada, Naplouse est isolée, enfermée sur elle même. Il y a de nombreux check-points, les habitants de la ville ne peuvent pas en sortir, le commerce et les échanges économiques sont désormais impossibles.

Naplouse est considérée comme un foyer potentiel de terrorisme par Israël. Il y a des tirs d'intimidation, de nombreuses arrestations, des incursions fréquentes dans les camps de réfugiés des alentours...

Les colonies israéliennes sont de plus en plus nombreuses, de plus en plus proches. L'armée israélienne est très présente.
Il est interdit de circuler autour de ces colonies et certains Palestiniens ne peuvent plus sortir de chez eux passée une certaine heure. Ils se retrouvent alors prisonniers de leur propre maison.

Dans la bande de Gaza l'isolement, l'enfermement, économique et physique, sont absolus. Les Gazaouïtes sont matériellement encore plus démunis que les habitants de Naplouse. Les affrontements inter-palestiniens ont des conséquences sociales dramatiques. La menace ne vient plus que de l'extérieur, elle existe aussi au sein même de la communauté.

Cette persécution interne entraîne une désintégration du réseau et des liens sociaux. On ne peut plus avoir confiance en son voisin, compter sur l'entraide sociale et le rôle protecteur de la communauté (pour mener à bien un projet collectif, faire grandir au mieux les enfants...) et c'est très grave. L'ennemi est extérieur (conflit israélo-palestinien) et on ne compte plus non plus d'amis à l'intérieur. Les cas de paranoïa sont devenus fréquents.

De quoi souffrent nos patients justement ?
Dans les Territoires occupés palestiniens, les événements traumatiques sont récurrents : à un traumatisme pré-existant se rajoute un nouveau traumatisme. Les populations continuent malgré tout de vivre, de travailler, d'aller à l'école, aux champs etc, parce qu'elles doivent faire avec la situation dans laquelle elles vivent depuis des années.

Mais - à force - elles ont perdu toute possibilité/capacité d'adaptation et finissent par présenter des pathologies post-traumatiques complexes : dépression mêlée d'angoisse, symptômes psychotiques (perte de contrôle de soi, altération de la pensée...)
Nos patients ont des pensées suicidaires, perdent l'appétit, du poids... Il y a de nombreux cas d'insomnie aussi, notamment parce que les incursions militaires israéliennes ont lieu la nuit.


Le Dr German Casas : "les populations continuent de vivre malgré tout parce qu'elles doivent faire avec la situation dans laquelle elles vivent depuis des années."

A cela s'ajoutent le chômage, les problèmes d'approvisionnement, les pénuries matérielles qui rendent tout projet impossible. Les gens n'ont plus confiance en l'avenir, en leur vie future, il perdent espoir. Désespérés, ils se réfugient dans la consommation de drogues de synthèse, des médicaments, plus faciles à se procurer que le matériel scolaire par exemple... Les cas de violence familiale sont malheureusement très fréquents eux aussi.

Comment MSF leur vient elle en aide ?
Notre prise en charge est assez complète : soins de santé mentale et médicaux et aide sociale. Nos psys proposent des thérapies individuelles et familiales, parfois de groupe, notamment pour les enfants. Ce sont des thérapies de court terme : une dizaine de séances maximum. En étant pris en charge par une ONG internationale comme MSF, les patients se sentent protégés, leur souffrance est prise en considération.

Nous travaillons avec un psychiatre et un médecin référent palestiniens. Si besoin est, nous pouvons donc prescrire des médicaments et notamment des antidépresseurs type fluoxétine (prozac). Nous avons fait le choix de traitements qui ne présentent pas de risque d'addiction ; prescrits sur une durée limitée, ils ne nécessitent pas de suivi sur le long terme. Les patients mis sous traitement médicamenteux sont ceux dont MSF est sûre de pouvoir assurer le suivi.

Parce que ce type d'intervention est limité ?
Parce que les événements traumatiques sont récurrents et parce que les expatriés partent au bout de X mois de mission, il est impossible de mener des thérapies autrement que sur le court terme. Nous devons adapter nos soins de santé mentale à l'action humanitaire en contexte de crise.

Ainsi, nous ne pouvons pas prendre en charge des patients nécessitant des soins sur le long terme. En ce qui concerne les cas relevant de la psychiatrie, MSF peut les aider en leur prescrivant des médicaments adaptés à leur pathologie, car ce sont des urgences médicales et nous devons aussi assurer ce type de soins. Mais à terme nous devons les référer vers le ministère de la Santé qui n'a pas toujours les moyens humains et/ou matériels de les soigner

Qu'en est il des enfants ?
Les enfants présentent des troubles du comportement (régression, agressivité, beaucoup de cas d'énurésie - épisodes d'incontinence chez l'enfant - même chez des ados, troubles de la concentration, d'apprentissage, inquiétude...)

Jouer continuellement à la guerre ou à d'autres jeux violents peut être considéré comme « normal » dans un contexte de violence chronique : tous les enfants agissent comme cela. Pourtant ce sont des symptômes révélateurs à ne pas négliger, mais pour les dépister, un œil extérieur, « étranger », est indispensable.

Nous devons être réalistes, nous soignons la souffrance psychologique des enfants, mais nous ne pouvons en aucun cas intervenir sur leur devenir.

Nous avons déjà mené des séances mère-bébé : on soigne l'enfant en passant par sa mère avec qui il partage son mal être. Je me souviens d'une maman très déprimée, dont le mari était en prison au moment de la naissance de l'enfant. Elle ne parvenait pas à s'investir, elle n'avait même pas pu donner un prénom à son bébé. Ce dernier en souffrait et l'exprimait en ne supportant pas le lait maternel.

Dans le cadre du programme pédiatrique, infirmières et médecins savent repérer les troubles des enfants, d'éventuels problèmes avec les parents... Mais là aussi nous devons être réalistes, nous soignons la souffrance psychologique des enfants, nous pouvons prévenir des troubles plus graves, mais nous ne pouvons en aucun cas agir sur leur devenir.

La situation, le contexte, limitent là aussi la portée de notre action. Ainsi, un enfant traumatisé, suite à une incursion par exemple, sera pris dans une spirale infernale : il ne voudra plus aller à l'école ou dormir seul, souffrira d'énurésie, sera en échec scolaire... Notre objectif est alors de lui permettre de retourner à l'école sans peur, de lui permettre de s'exprimer - par la parole ou le dessin - de réduire son agressivité... Des objectifs réalistes et faisables au vu de ce contexte spécifique dans lequel nous intervenons.

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