Santé mentale : soigner les blessures de l’âme

Gaza 2014  enfant dans les ruines de Beit Hanoun
Gaza 2014 - enfant dans les ruines de Beit Hanoun © Yann Libessart/MSF

A l’occasion de la journée mondiale de la santé mentale, le Dr. Frédérique Drogoul, psychiatre, fait le point sur le rôle des programmes de santé mentale sur les terrains d’interventions de Médecins Sans Frontières, des premiers secours psychologiques aux soins psychiatriques.

« Le champ de la santé mentale est extrêmement vaste. Au-delà du soutien psychologique apporté aux patients blessés admis dans nos hôpitaux, comme récemment à Bangui en République centrafricaine ou comme ça a pu être le cas en Haïti ou en Côte d’Ivoire, MSF met aussi en place des programmes spécifiquement dédiés à la santé mentale. Concrètement sur les terrains humanitaires, il faut différencier les interventions psychosociales, le soutien psychologique et les soins psychiatriques.

Tout d’abord, il faut préciser qu’après un événement très déstructurant qui a tout bouleversé dans leur vie, la plupart des gens vont réussir à le surmonter après quelques semaines. Ça ne veut pas dire qu'ils vont oublier ou qu'ils ne sont pas en difficulté. Il y a évidemment de la souffrance psychique mais ça n'a rien de pathologique, et petit à petit, en particulier grâce au soutien des familles et de la communauté, les gens vont aller de l'avant et faire preuve d'une énergie vitale souvent très sidérante.

Donc le rôle des interventions psychosociales est en fait de soutenir cette résilience, c’est-à-dire cette capacité à surmonter les épreuves. Elles se déclinent en deux volets : les premiers secours psychologiques et le développement d’activités psychosociales. Les premiers secours psychologiques sont mis en place pour soutenir en urgence les victimes de catastrophes, de conflits, les réfugiés, etc. en s'assurant que les conditions de survie minimale sont garanties, en faisant en sorte que les gens puissent se reconnecter entre eux et avoir des informations sur ce qui se passe, en favorisant la remise en lien avec les familles, en identifiant ceux qui sont les plus sévèrement affectés. En dehors de ce premier secours psychologique, les activités psychosociales visent surtout à aider une communauté sinistrée qui a perdu ses repères de fonctionnement sociaux habituels. Par exemple en remettant en place les écoles, en organisant des sessions récréationnelles pour les enfants, en constituant des groupes de soutien, ou en redonnant à des groupes de femmes la capacité de reprendre en main leur existence.

Le soutien psychologique quant à lui va s'adresser à celles et ceux qui présentent des détresses plus importantes, voir des détresses invalidantes. Par exemple une maman complètement effondrée avec une symptomatologie dépressive va avoir des difficultés à s'occuper de ses enfants. L'OMS chiffre environ à 10% les personnes qui auront besoin d'un peu plus que du soutien psychosocial et qui malgré l'amélioration des conditions de vie ne réussiront pas à faire face aussi vite que la plupart des autres.

Enfin, selon l’OMS entre 3 et 5% des victimes relèvent de soins plus spécialisés, parce que leurs difficultés sont très invalidantes et représentent un poids énorme pour la famille. Parmi elles, on retrouve aussi toutes les personnes déjà malades avant les évènements et qui sont devenues encore plus vulnérables.C'est à celles-là qu’MSF va essayer de s'adresser en tant qu'ONG médicale. Quand un père de famille est devenu délirant, qu’il ne peut plus faire face à ses obligations, qu’il ne peut plus travailler, qu’il déambule - j’ai vu des exemples comme ça sur certains terrains - non seulement toute la famille est en détresse du fait d’être réfugiée, déplacée, etc. mais les enfants sont en plus mobilisés pour courir après leur père…

Il faut pouvoir prendre en compte ce que représente culturellement la souffrance psychique. Quand on ne peut pas trouver de ressources humaines qualifiées sur place, on a recours à des traducteurs qui sont à la fois interprètes de la langue mais aussi des passeurs pour nous permettre de mieux comprendre la culture des patients. Et puis on adapte en général le type de soins que l’on peut proposer à chaque contexte, en fonction des faisabilités opérationnelles, des faisabilités culturelles, des ressources humaines disponibles.

Par exemple, à Irbid en Jordanie, comme à Gaza dans les Territoires palestiniens occupés, les populations sont aujourd’hui dans une situation de grande fragilité : déplacées pour les Syriens et soumis au blocus pour les Gazaouis. Dans les deux cas, on a affaire à des populations qui ont une certaine habitude des soins psychologiques et psychiatriques. De nombreux acteurs humanitaires interviennent, mais ce que l’on a identifié, c’est un besoin spécifique de prise en charge des enfants de moins de douze ans. Quand on parle d’enfants, on parle aussi de leurs parents. Très souvent plus les enfants sont petits, plus leurs difficultés psychologiques traduisent aussi les difficultés psychologiques de leurs parents, et si on ne s’en occupe pas, si on ne propose pas aux parents un accompagnement, il sera difficile pour l’enfant de surmonter sa détresse. »                                                                     

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