RD Congo : les violences ethniques entravent l’accès aux soins à Masisi

Clinique mobile à Bukembo près de Masisi
Clinique mobile à Bukembo, près de Masisi © Peter Casaer

En République démocratique du Congo, alors que les populations de Goma et des camps environnants vivent toujours dans la peur de nouveaux affrontements entre le M23 et les forces loyalistes, MSF est témoin d’une violence grandissante à Masisi, un des territoires les plus reculé de la province du Nord Kivu, où l’organisation soutient le principal hôpital.Ces violences, les plus importantes depuis 2007, ont forcé des dizaines de milliers de personnes à fuir et restreignent fortement l’accès aux soins de santé dans la région. Amaury Grégoire, responsable des activités de MSF, fait le point sur la situation.

Quelle est la situation actuelle dans la région de Masisi ?

Nous sommes très inquiets de l’augmentation marquée de la violence. Le nombre de blessés pris en charge par notre équipe chirurgicale a plus que triplé en trois mois. Près d’une intervention sur cinq concerne aujourd’hui des cas de violence par arme à feu ou par arme blanche. Un niveau de violence jamais atteint depuis notre arrivée à Masisi en 2007.

Quelles sont, selon vous, les raisons de cette flambée de violence ?

La région abrite de nombreux groupes armés. Le moindre différend est réglé par la violence. Des gens se font quotidiennement menacer et attaquer, chez eux, dans les champs ou sur la route. Si ces attaques sont parfois motivées par l’argent, nous voyons de plus en plus d’attaques purement gratuites ou motivées par des raisons ethniques. Ces attaques sont le fait de groupes armés mais aussi parfois de civils appartenant à d’autres communautés.

Qui en sont les principales victimes ?

Parmi les blessés admis à l’hôpital, nous voyons des hommes en armes bien sûr car la région a été le théâtre de nombreux combats ces dernières semaines. Mais nous voyons aussi un nombre croissant de civils, y compris des femmes et des enfants. Dans certains cas, la violence a atteint des sommets dans l’horreur : le 4 novembre dernier, le village de Shoa, situé à quelques kilomètres de la ville de Masisi, a été attaqué. Sept personnes tuées à coups de machettes nous ont été amenées à l’hôpital. Parmi les victimes : deux femmes enceintes et un bébé. Plus tard, le 29 novembre, les équipes MSF ont pris en charge 32 personnes dont 8 pour traumas violents directs suite aux attaques successives dans le village de Kihuma. Ces agressions d’une violence inouïe ont fait sept morts ce jour-là.

MSF constate-t-elle aussi une recrudescence des viols ?

A Masisi, nos équipes médicales soignent, normalement, entre 40 et 70 victimes de viol par mois, dont 15 à 25 à l’hôpital. En novembre dernier, nous avons soigné 20 victimes de violences sexuelles, dont 5 seulement à l’hôpital. Nous craignons que cette apparente diminution ne soit pas un bon signe : la violence envers les femmes n’a malheureusement pas subitement diminué. L’insécurité et les tensions ethniques croissantes sont de véritables obstacles pour rejoindre l’hôpital ou les centres de santé. Les gens ont peur, se terrent chez eux. Bien souvent au péril de leur vie.

Quelles sont les conséquences directes de cette nouvelle situation pour les populations?

Rien qu’autour des villages de Rubaya et Kibabi, on dénombre près de 40 000 personnes déplacées. Ces familles vivent dans des conditions extrêmement précaires et une épidémie de choléra y fait des victimes. Par ailleurs, les populations redoutent de se rendre dans les centres de santé. A l’exception des consultations d’urgence, pour lesquelles nous constatons une nette augmentation des victimes de violence, nous voyons une forte diminution des admissions dans notre hôpital. Or, nous savons que les besoins existent mais que les gens ont peur de se déplacer. Un exemple : les grossesses à risque sont nombreuses dans la région. En temps normal, entre 5 et 15 femmes sur 100 ont besoin d’accoucher par césarienne. Ces dernières semaines, ces femmes arrivent en nombre beaucoup moins important. En novembre, la moitié des lits étaient vides alors qu’à l’habitude, nos lits sont presque tous occupés. C’est très préoccupant. Ces femmes n’auront pas d’autres alternatives et seront forcées d’accoucher seules, sans aide. Nous savons que certaines d’entre elles ne survivront pas...

Qu’en est-il des conséquences pour MSF ?

Alors que les gens osent moins sortir de chez eux, ce sont les équipes MSF elles-mêmes qui sont amenées à se déplacer. Nous devons souvent traverser les lignes de front pour apporter des soins médicaux aux populations. Nous assurons aussi un service d’ambulance et de référence vers l’hôpital. Dans le camp de déplacés de Rubaya, nous soutenons un centre de santé et avons établi un centre de prise en charge pour le choléra. En trois semaines à peine, l’équipe a réalisé plus de 3 000 consultations médicales et notre centre de traitement du choléra a reçu 199 patients, dont quatre sont malheureusement décédés. Les besoins sont immenses et les organisations d’aide trop peu présentes.

Que souhaite MSF ?

Nous aimerions attirer l’attention sur la situation humanitaire de ce territoire isolé et voir l’arrivée ou le retour d’autres organisations d’aide. Un retour au calme dans un avenir proche parait peu probable. Le territoire de Masisi à lui seul représente à peu près autant de personnes que la ville de Goma et les besoins humanitaires y sont au moins aussi importants. Pourtant, beaucoup moins d’organisations y travaillent. Suite aux combats de ces dernières semaines, les équipes MSF s’y sont retrouvées seules. Masisi est le théâtre d’une situation de violence moins médiatisée mais tout aussi critique.
 

MSF soutient l’hôpital général de Masisi depuis 2007 et y offre des soins de santé primaires et secondaires gratuits. Entre janvier et septembre 2012, MSF y a hospitalisé plus de 5.800 patients, effectué 1.320 interventions chirurgicales, admis 462 enfants malnutris ainsi que 653 femmes enceintes.

Amaury Grégoire

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