RD Congo : Histoires de patients ayant reçu des soins psychologiques

Janvier 2009  Hôpital MSF de Rutshuru
Janvier 2009 - Hôpital MSF de Rutshuru © Kate Geraghty

MSF intervient dans deux hôpitaux du Nord Kivu, une province de la République démocratique du Congo déchirée par un conflit armé. Nathalie, psychologue, a travaillé un an auprès de patients soignés dans ces hôpitaux. Ils et surtout elles, car ce sont des femmes à 80%, sont soignés pour diverses pathologies et avaient besoin de recevoir aussi des soins psychologiques. Voici quelques histoires de patients et de prise en charge.

MSF intervient dans deux hôpitaux du Nord Kivu, une province de la République démocratique du Congo déchirée par un conflit armé. Nathalie, psychologue, a travaillé un an auprès de patients soignés dans ces hôpitaux. Ils et surtout elles, car ce sont des femmes à 80%, sont soignés pour diverses pathologies et avaient besoin de recevoir aussi des soins psychologiques. Voici quelques histoires de patients et de prise en charge.

 

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Rupture utérine
Asthénique, sans appétit, Z., 25 ans, est au dixième jour d'hospitalisation après rupture utérine. Les soins médicaux sont terminés, mais elle n'est manifestement pas en état de sortir.

Elle évoque son transfert, qui a duré deux jours, depuis son domicile jusqu'à l'hôpital en passant par un centre de santé, et au cours duquel, alternant les états de conscience et d'inconscience, elle s'est vue mourir, puis s'est crue morte. C'est à l'élaboration psychique de cette rencontre traumatique avec sa propre mort que nous travaillerons ensemble, pour sortir de la sidération, et lui permettre de revenir dans le monde des vivants.


Malnutrition
Cette petite fille de deux mois est hospitalisée pour la deuxième fois pour malnutrition. Elle prend bien du poids pendant l'hospitalisation, mais c'est de retour à la maison que le problème réapparait.

Sa tante l'accompagne. Elle explique que l'enfant est issue d'un viol et que la mère est partie en errance après avoir accouchée seule en brousse. La tante a décidé de s'occuper de l'enfant. Mais elle est aussi mère d'un garçon de 12 mois, qu'elle allaite toujours, et qui « prend tout son lait », refusant de laisser sa mère à cette petite fille, qui, en retour, tête mal.

Pour cette femme, sevrer son fils - ce que les soignants lui demandent depuis la première hospitalisation - paraît impossible. C'est en effet devoir faire face aux cris, aux larmes de ce dernier. C'est affronter la culpabilité de nourrir un autre enfant au détriment du sien (difficulté à trouver un aliment de substitution). C'est aussi prendre le risque d'une nouvelle grossesse et le risque d'intoxiquer le bébé si elle le fait téter pendant qu'elle est enceinte.

Trois entretiens (individuels puis familial) permettront de faire émerger ces difficultés, de travailler ces représentations, de dégager les enjeux pour chacun des membres du groupe familial concernés. Le sevrage pourra alors se faire sereinement. Et la tante reviendra, deux mois plus tard, nous présenter une petite fille en pleine forme.


Viol
W. est une femme d'une trentaine d'années. Elle a été contrainte de suivre un groupe d'hommes armés alors qu'elle se déplaçait avec sa famille. Elle a été retenue comme esclave sexuelle pendant plusieurs semaines avant de parvenir à s'échapper. Elle a ensuite rencontré une consultante MSF, pour les trois rendez-vous prévus par le protocole de prise en charge médicale.

A l'issue du dernier rendez-vous, elle explique que les troubles de l'humeur et de l'appétit ont bien diminué mais que persistent des troubles massifs du sommeil. Nous travaillerons ensemble sur les réminiscences de scènes vécues lors de sa détention. Elle pourra, en particulier, enfin déposer et partager cette honte massive associée à ce qu'elle a été contrainte de faire. Mais la prise en charge permettra aussi de penser ce qui jusqu'alors était resté de l'ordre du non-sens, des desseins de ses agresseurs ou de celui de Dieu à son endroit à sa rencontre avec la mort. A l'issue de notre travail, elle semble prête à s'autoriser à continuer de vivre.


Fracture ouverte
Ce père de six enfants présente une fracture ouverte du fémur, conséquence d'une blessure par balle. Il oscille entre anxiété massive et dépression. Dans les premières semaines de prise en charge, ce sont surtout les rêves traumatiques qui sont au premier plan (il s'agit pour lui de la seconde agression), ainsi que la peur du handicap. Mais avec le temps, la consolidation, l'absence de plus en plus probable de séquelles, la problématique dépressive persiste, s'exprimant essentiellement sous forme de plaintes somatiques diverses.

Même si dans la réalité on ne peut plus parler de perte d'intégrité physique, c'est à un sentiment massif de perte d'intégrité psychique, lié à la dégradation du sentiment interne de sécurité, que cet homme est confronté. Alors que la guerre lui était étrangère, parce que son village avait été jusque récemment globalement épargné, alors que la première agression, attribuée à un bandit, n'avait pas entamé sa confiance en lui-même et en la vie, cette seconde agression a pris valeur traumatique en venant rouvrir des failles antérieures qu'il ne nous sera pas possible d'élaborer ensemble. Cet homme est en effet rentré chez lui en brousse et les contraintes matérielles ne permettent pas de poursuivre un travail avec lui.


Brûlures
Hospitalisée pour brûlure (sur 40% du corps) suite à l'incendie criminel de sa maison, K. est une femme d'une trentaine d'années. Lors de nos premières rencontres, elle présente un état de conscience altéré par l'anesthésie qui permet de refaire ses pansements au bloc et par les doses massives d'antalgiques qu'elle reçoit. C'est donc avant tout un travail de soutien auprès de son accompagnante, sa mère, que je propose. Le questionnement quant à la survie de sa fille est au premier plan, l'inquiétude, la fatigue ayant largement entamé ses ressources.

Ce n'est que quelques semaines plus tard que le travail pourra commencer avec K.. Ce travail nous mènera de la difficulté à se représenter, à penser, à parler de ses enfants vivants, tant la présence de ceux qui sont morts dans l'incendie est prégnante, à la possibilité de se concevoir, avec ses propres séquelles motrices, avec ses deux filles aînées, un avenir, certes difficile mais pensable.

 

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