RCA – « A Carnot, un hôpital et une ville délaissés »

Centre nutritionnel MSF de Boda août 2009.
Centre nutritionnel MSF de Boda, août 2009. © MSF

Depuis le 23 juillet, des équipes MSF prennent en charge la malnutrition dans la région de Carnot, une ville du sud-ouest de la République Centrafricaine (RCA). Annie Gadan a fait partie de la première équipe, chargée de mettre en place le projet. Elle nous raconte ici les premières étapes de cette mission.
 
 

Comment avons-nous su que la situation nutritionnelle était inquiétante dans la région ?

Vers la mi-juin, le médecin chef de l'hôpital de la ville de Carnot lance deux appels à la radio locale pour passer un message d'alerte. Lorsqu'il prend son poste en mai, il découvre une situation nutritionnelle très alarmante dans la région, qui se traduit à l'hôpital par des cas de malnutrition sévère.

Suite à ses messages radio, beaucoup de gens se présentent à l'hôpital. Les équipes médicales s'organisent et prennent en charge gratuitement plusieurs dizaines d'enfants malnutris sévère.

En RCA, les soins de santé sont normalement payants. Il faut payer pour les médicaments, pour l'infirmier qui consulte ou éventuellement le médecin, et pour les hospitalisations aussi.

Au niveau de Bangui, le ministère de la Santé réunit plusieurs acteurs de l'aide présents dans le pays. Action Contre la Faim (ACF) et Médecins Sans Frontières (MSF) décident de mener une rapide évaluation nutritionnelle début juillet. Celle-ci rapporte un taux de malnutrition sévère très alarmant, au-dessus de 20%.

Même si ce chiffre ne peut pas être généralisé à l'ensemble de la population de la sous-préfecture de Carnot, il s'agit d'un taux de malnutrition sévère extrêmement inquiétant. La crise aurait affectée toute la préfecture de Mambéré-Kadéï et d'autres interventions sont en cours dans les sous-préfectures voisines.

Que se passe-t-il à votre arrivéet à Carnot ?

Nous sommes arrivés à Carnot le soir du 22 juillet, avec le matériel nécessaire pour la prise en charge environ 72 enfants, en hospitalisation et en ambulatoire. On a apporté avec nous des aliments thérapeutiques, du lait, des médicaments, du matériel logistique comme des tentes, parce qu'on ne savait pas ce que l'on allait trouver sur place.

A notre arrivée, l'équipe de l'hôpital nous a accueillis chaleureusement, les gens semblaient soulagés de nous voir arriver. Nous sommes mis au travail dès le lendemain. Les logisticiens ont mis en place le nécessaire pour l'hospitalisation des enfants, les médecins ont consulté leurs premiers patients, et moi j'ai fait le tour des autorités.

J'ai alors découvert une ville "far-west ", presque déserte, où la majorité des commerces sont fermés... Avant d'arriver, on s'était renseignés sur la région, et on avait entendu dire que Carnot, ville diamantifère, connaissait une situation économique difficile, que l'exploitation et le commerce du diamant étaient en crise.

En traversant la ville, on s'en est vite rendu compte. Si la ville avait connu une période faste, ce n'était visiblement plus le cas aujourd'hui. L'ambiance était celle d'une ville et d'un hôpital complètement délaissés...

A l'hôpital, comment se passe l'installation ?

A l'hôpital, nous avons déjà 42 enfants sévèrement malnutris accompagnés de leur famille. Les médecins font un premier tour de consultation. Près de la moitié de ces enfants peuvent être soignés à domicile et ne nécessitent pas d'être hospitalisés.

Mais pour ceux qui en ont besoin, l'équipe met en place un centre de nutrition thérapeutique. Dès les premiers jours, les consultations et les admissions augmentent. A partir du 1er août, on décide d'évaluer à nouveau la situation nutritionnelle, à la fois dans la ville de Carnot et dans les zones rurales.

On obtient un taux d'environ 10% de malnutrition sévère aiguë dans la ville de Carnot, mais dans les villages alentours, les chiffres collectés paraissent beaucoup plus bas. Actuellement, une enquête nutritionnelle avec une étude de mortalité rétrospective, ainsi qu'une évaluation de sécurité alimentaire sont en cours.

Comment les gens décrivent-ils leur situation ?

Partout où nous sommes allés, les gens mentionnent en premier leurs difficultés économiques, évoquent la crise mondiale et l'effondrement du prix du diamant.

De nombreux habitants de Carnot tiraient leurs revenus des activités minières. Or la la fermeture de nombreux bureaux d'achat du diamant à la fin de l'année dernière a poussé la population à réorienter ses activités sur l'agriculture. Dans cette région, la culture principale étant le manioc, beaucoup n'ont pas eu les moyens de diversifier leur semis avec des haricots, des courges, des arachides, etc.

Dans les périodes de forte activité minière, les produits alimentaires sont importés massivement d'autres régions (manioc, légumes etc..). Mais en ce moment, le marché est inondé de la production locale de manioc et le prix de vente s'est effondré.

Aujourd'hui, le régime alimentaire de ces populations est peu diversifié, essentiellement composé de manioc et de feuilles cuites à l'eau. La viande est hors de prix sur le marché et d'autres aliments indispensables comme l'huile sont très chers. Il y a donc certainement un problème d'accessibilité à la nourriture pour les foyers affectés par la crise économique.


Y a-t-il d'autres facteurs pouvant expliquer cette dégradation nutritionnelle ?

La saison des pluies a débuté en juin, avec un mois de retard. Les femmes racontent que le mois de mai a été particulièrement sec, et l'impact sur les cultures très négatif. Mis à part le manioc, il n'y a quasiment pas de réserve alimentaire dans les foyers actuellement. Au mois d'août, la récolte des arachides et du mais a eu lieu, pour ceux qui en ont planté en début d'année.

L'autre problème, c'est l'élevage. On voit peu d'animaux dans ce coin-là. Trouver des œufs par exemple, n'est pas toujours facile et quand on en trouve, ils sont chers. Pourtant, la viande ferait partie des habitudes alimentaires des gens.

En saison sèche, les Peuls amenaient habituellement leurs troupeaux en pâture dans la région. Ils ont cessé de le faire depuis 2007, lorsque des coupeurs de route, commettant des actes de banditisme, ont sévi aux alentours de Carnot. Il semble que les gens aient beaucoup souffert de cette insécurité. De nombreux habitants des zones rurales ont migré vers la ville de Carnot suite à ces événements, et ne sont pas repartis depuis lors.



A la fin du mois d'août, près de 530 enfants malnutris sévère avaient été admis dans le projet, dont plus de 190 avaient dû être hospitalisés. Autour du 20 août, trois centres de traitement en ambulatoire avaient été ajoutés aux structures de prise en charge initiales.

 

Notes

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