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Psychiatrie en situation de guerre: quand l'horreur entraîne la souffrance

Pour faire face aux conséquences de la seconde Intifada, nous avons
lancé, en novembre 2000, des activités de soins médicaux et
psychologiques dans les Territoires palestiniens de Cisjordanie (à
Hébron) et de la bande de Gaza.Description
de la psychiatrie en situation de guerre, par Pierre Salignon, juriste
et responsable de programmes à MSF et Fouad Ismael, chef de mission MSF
basé à Jérusalem qui coordonne les programmes MSF dans les Territoires
palestiniens.

Dans les Territoires palestiniens, la quasi-totalité de la population, quotidiennement, souffre de l'enfermement, de l'occupation, de la peur et de l'absence d'avenir. Le stress est une réaction normale pour tout individu soumis à des violences et des humiliations quotidiennes, dans un environnement où la claustration est le seul moyen d'être à peu près en sécurité. Dans les zones les plus exposées, quitter sa maison peut représenter un danger de mort, comme le fait de marcher dehors la nuit.
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Rafah, Bande de Gaza, juillet 2001
© Philippe Conti

Mais rester "chez soi" n'est parfois guère plus sécurisant. Souvent criblées de balles, ces maisons sont la cible de tirs réguliers des soldats israéliens. Les chars de l'armée israélienne qui se déplacent toute la journée à proximité font un bruit terrifiant. Pour les enfants, il n'est plus possible de jouer dehors ou de sortir seuls; il n'y a plus de sécurité nulle part. Dans un tel environnement, les enfants, comme les adultes, développent des peurs et font des cauchemars à répétition. Les enfants ne veulent plus quitter leur mère ou la voir sortir de la maison sans eux.

Du stress "d'adaptation" aux troubles psychiques importants
Ce stress peut aussi agir comme un déclencheur d'une souffrance psychologique aiguë et plus profonde. À côté du stress dit "d'adaptation", que l'on retrouve chez tout le monde, certaines personnes développent des syndromes psychiques réactionnels plus importants, aigus et chroniques (états dépressifs de formes multiples, post traumatism stress disorder ou PTSD...)

Certains individus restent prostrés, ne peuvent plus parler, ne s'alimentent plus. D'autres font des bouffées délirantes suite à une peur intense, comme cette mère qui a couru chercher ses enfants quand des tirs ont commencé. Elle a pensé : "ou bien on meurt ensemble, ou on se sauve tous ensemble". Une semaine après, elle a débuté un délire de persécution, avec hallucinations auditives, anxiété massive et perte de sommeil. Une grande lassitude l'empêchait de faire quoi que ce soit et en particulier de s'occuper de ses enfants. Quotidiennement, l'équipe MSF rencontre des familles palestiniennes souffrant de "désorganisations" psychologiques de ce type, ravivées dès que des tirs se font entendre.

Une autre situation fréquente est celle de personnes qui ont été emprisonnées lors de la première Intifada et torturées et qui souffrent aujourd'hui de décompensations (les traumas et les douleurs de la première Intifada prennent sens dans l'après-coup). Elles voient les troubles réapparaître à l'occasion d'un nouvel événement traumatique. C'est aussi le cas de jeunes adolescents qui, enfants, ont vécu des situations effrayantes. Ils ont oublié une partie de ce qu'ils avaient vécu, puis des troubles psychiques apparaissent au cours de la seconde Intifada, la seconde, parfois plusieurs années après le premier événement traumatique.
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Quartier de Tujah, Khan Younis, Bande de Gaza, juillet 2001
© Philippe Conti

Intervenir au coeur des zones les plus exposées
D'après les méthodes mises en place par les militaires occidentaux pour soigner leurs troupes confrontées à des événements traumatiques sur les champs de bataille, ces patients réclameraient des soins immédiats, sur le lieu même du traumatisme, et pendant une première période limitée dans le temps. S'appuyant sur cette expérience d'intervention psychiatrique en temps de guerre, Médecins Sans Frontières a choisi une pratique au coeur des zones les plus exposées où continuent à vivre de nombreuses familles palestiniennes. Cette action est axée sur des visites à domicile, car les entraves posées à la circulation des personnes ainsi que la terreur ressentie par les patients les empêchent le plus souvent de se déplacer pour recevoir des soins.

Les visites à domicile réalisées par nos équipes sont donc souvent le seul moyen de rompre l'isolement dans lequel vivent certaines familles. Notre intervention associe des médecins et des psychologues dans une pratique clinique / curative conjointe. A Gaza et Hébron, les équipes MSF sont composées de façon identique, à savoir : un médecin, deux psychologues cliniciens et un responsable de terrain non médical. Elles sont soutenues dans leur travail par des interprètes et des chauffeurs palestiniens ainsi que du personnel administratif.

Le "couple" médecin-psychologue identifie et prend en charge les patients les plus vulnérables. Le médecin dispense des consultations classiques, délivre des médicaments pour des pathologies que le réseau de référence ne peut pas en principe prendre en charge. Mais, de manière générale, la plupart des pathologies chroniques sont aggravées ou réactivées (maladies cardio-vasculaires ; troubles digestifs, en particulier ulcères ; dermatoses...). Il y a une sous-médicalisation due à l'actuelle Intifada : les gens sortent peu ou pas du tout ; l'argent manque ; les médecins locaux sont débordés, démotivés, épuisés ; enfin les psychologues et les psychiatres palestiniens sont peu nombreux.

Le médecin MSF joue donc le rôle de médecin à domicile. Il réfère ensuite au psychologue (ou l'inverse) les patients souffrant de troubles psychologiques. Le modèle de référence qui préside au fonctionnement de la consultation est celui des consultations thérapeutiques et des thérapies brèves (individuelles, familiales ou de groupe suivant les cas). La prise en charge n'excède pas quelques semaines, au rythme de deux ou trois visites par semaine (suivi rapproché).

Eviter l'enkystement des douleurs psychiques
Intervenir alors même que la situation de conflit, "cause" des traumatismes, se poursuit, permet de donner du sens à l'événement ou à sa réaction, d'identifier le traumatisme avec le patient et donc d'éviter plus tard une réaction plus aiguë à une nouvelle agression. Le psychologue cherche à anticiper des états psychiques enkystés, des douleurs psychiques transformées en désespoirs difficilement réversibles. Pour apaiser la douleur du traumatisme, "l'équipe MSF favorise la construction de liens là où le trauma les rompt, favorise l'élaboration d'un récit, là où le trauma impliquait une sidération...". (in Psychiatrie humanitaire en ex-Yougoslavie et en Arménie, PUF, 1995, " Soutien psychologique aupès des ex-détenus bosniaques musulmans et de leurs familles : la mission de MSF " par Yves Gozlan et Pierre Salignon).

La première limite de ce travail réside toutefois dans le fait qu'il ne peut se substituer à des prises en charge psychothérapeutiques. Au sein de ce premier cadre certaines problématiques ne peuvent être abordées en raison des conditions et des techniques d'entretien. Néanmoins la présence du médecin MSF permet d'assurer si besoin la prescription de psychotropes pour les cas les plus graves dans l'attente d'une référence ultérieure.

Une autre limite (si cela en est vraiment une) réside dans le nombre de patients et familles palestiniennes demandant l'intervention de l'équipe MSF. Il est élevé, voir illimité. Et c'est pourquoi le suivi des patients les plus fragilisés, souffrant de stress aigu, d'états dépressifs multiples, de PTSD est privilégié. Chaque psychologue MSF (2 à Gaza et 2 à Hébron) suit mensuellement entre 50 et 70 patients ou familles (plus d'une centaine de personnes). L'accueil fait à l'action curative de MSF est très positif. Et bien souvent, ce sont les familles palestiniennes elles-mêmes qui favorisent l'identification des personnes en souffrance et les réfèrent à l'équipe MSF.

Cette intervention médicale se poursuit aujourd'hui dans la bande de Gaza et dans le district d'Hébron en Cisjordanie.

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