« Nous aurons bientôt épuisé les armes thérapeutiques disponibles »

Jean-Hervé Bradol, président de Médecins Sans Frontières, alerte sur la
nécessité d'adapter la stratégie de lutte contre la tuberculose et de
prendre des mesures d'urgence pour éviter un très grand nombre de
décès.

Pourquoi MSF porte-t-elle une nouvelle fois un message d'alerte sur la tuberculose ?
Parce que la situation ne cesse de se dégrader ! Premièrement, loin d'être sous contrôle, la tuberculose progresse. C'est particulièrement vrai depuis la pandémie de sida, la tuberculose en étant la première maladie associée. Sur notre principal terrain d'action, l'Afrique, elle est la première cause de décès chez les malades du sida. Deuxièmement, les formes les plus graves de la maladie sont, elles aussi, en expansion. Après les formes pluri et multirésistantes, on assiste aujourd'hui à l'émergence d'une tuberculose ultrarésistante qui ne répond plus au traitement antibiotique. Pour les patients co-infectés par le virus du sida, elle conduit à un décès très rapide. Une récente épidémie en Afrique du Sud a montré ce phénomène de manière dramatique.

Face à cela, les outils disponibles pour soigner les malades sont obsolètes. La tuberculose a beau être, à l'échelle internationale, l'infection la plus meurtrière après le sida, elle figure de fait parmi les maladies négligées... L'efficacité du vaccin est contestée par la plupart des experts. Le test diagnostique ne dépiste qu'un malade sur deux. Les antibiotiques sont vieux, très peu commodes, toxiques et imposent des traitements très longs et pénibles aux malades. Des traitements qu'il devient presque impossible de mettre en oeuvre dans le cas de résistances aux antibiotiques les plus couramment utilisés. La réponse est donc inadaptée à la gravité, à l'urgence et à la détérioration de la situation.

Quel regard portes-tu sur la stratégie de lutte contre la maladie ?
La stratégie mise en place par l'Organisation mondiale de la Santé et les autorités sanitaires nationales et internationales depuis une vingtaine d'années a initialement constitué un progrès. Mais elle ne permet de diagnostiquer que la moitié des malades et n'enraye pas le développement de formes intraitables de la maladie. De plus, le développement de la pandémie de sida, à l'origine de très nombreux cas de tuberculose, rend illusoire le contrôle de la transmission de cette maladie.

C'est ce constat d'échec que nous faisons tous les jours dans notre pratique. Malgré cela, on assiste à la perpétuation par l'OMS d'un discours optimiste qui prétend que l'on va y arriver quand même en renforçant la stratégie existante. Nous avons la conviction inverse : il faut un ajustement de stratégie qui permette d'incorporer rapidement dans la lutte contre la tuberculose des outils diagnostiques et thérapeutiques bien plus puissants pour aller plus vite, simplifier la vie des malades et éviter davantage de décès. Il faut aussi procéder à une surveillance bien plus intensive de l'émergence de souches résistantes et ultra résistantes.

Même si la nécessité de renforcer les programmes de recherche pour les maladies négligées commence à figurer dans le discours de l'OMS, sous la pression de l'Assemblée mondiale de la santé (et non, d'ailleurs, de celle de la direction de l'OMS), nous nous étonnons du peu de mobilisation concrète que ces sujets suscitent au sein de l'organisation et de l'Union internationale de lutte contre la tuberculose et les maladies respiratoires*.

Qu'en est-il de la recherche de nouveaux médicaments ?
Un rapport que nous avons réalisé récemment montre que des médicaments sont en cours de développement chez certains fabricants. Même s'il ne s'agit pas toujours de molécules nouvelles, ils pourraient constituer un mieux pour les patients. Il y a donc un effort réel, principalement de la part d'acteurs privés (comme la Fondation Bill et Melinda Gates), mais insuffisant compte tenu de la gravité de la situation. Il faut l'approfondir, l'accélérer et l'étendre à des bibliothèques de molécules qui pourraient être efficaces mais qui n'ont pas été explorées.

En quoi consiste « les procédures d'urgence » demandées ?
MSF demande que les nouveaux médicaments qui se trouvent dans le « pipeline » des fabricants soient testés et mis à la disposition des patients selon des procédures accélérées (ce que nous appelons, dans notre jargon, le « fast-tracking »). Car le rythme normal de ces recherches est en décalage avec la progression de la maladie et l'urgence auquel nous devons faire face. Dans les années 90, sous la pression des associations de malades, de telles procédures avaient été adoptées par le gouvernement américain pour les antirétroviraux contre le sida. Ces procédures accélérées sont communes en cancérologie par exemple.

Si des mesures exceptionnelles de ce type ne sont pas prises, le risque est grand, dans quelques années, d'avoir à faire face à des foyers très sévères où nous ne serons plus capables d'éviter le décès des patients car nous aurons épuisé les armes thérapeutiques qui sont aujourd'hui disponibles.

* L'Union tient sa conférence mondiale à Paris du 31 octobre au 4 novembre au Palais des Congrès. Le 3 novembre, MSF interviendra sur l'état de la recherche et du développement de médicaments et outils de diagnostic pour la tuberculose.

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