Mauvais diagnostics et mauvaises réponses

Alors que le système d'alerte précoce avait permis très tôt, dès
octobre 2004, de lancer un premier appel, des erreurs d'analyse et des
choix politiques ont contribué au retard et à l'inadéquation de la
réponse à cette situation d'urgence. Les discours mettant en avant les
causes culturelles (particulièrement le sevrage brutal),
conjoncturelles (la sécheresse et le climat), démographiques (la
natalité) mènent soit à des réponses ponctuelles d'une efficacité
limitée soit à des projets à long terme aveugles à l'urgence.

La pénurie alimentaire touchait de nombreuses familles dès le début de l'année mais elles n'ont eu un accès au mil que très limité. Jusqu'au mois de juin 2005, les acteurs du système de l'aide (bailleurs de fonds, agences des Nations unies) ont soutenu le gouvernement nigérien dans son choix de faire payer l'aide alimentaire, sous prétexte que l'aide gratuite déséquilibre les marchés, crée des populations assistées et ruine à terme les efforts de développement. Le choix politique de préserver des marchés - pourtant déjà fortement déséquilibrés par la spéculation - s'est fait au détriment des secours gratuits aux plus vulnérables.

Une fois l'urgence reconnue, elle a été analysée comme la conséquence de mauvaises récoltes dues à la sécheresse et aux criquets. Par conséquent, lorsqu'elles ont été enfin mises en oeuvre, les distributions de nourriture ont essentiellement ciblé les zones de déficit céréalier, sans tenir compte des indicateurs de malnutrition (représentés à cette époque par les admissions dans les centres nutritionnels). De plus, les rations du Programme alimentaire mondial (PAM) ne comprenaient pas d'aliments spécialisés (farine enrichie), adaptés aux besoins nutritionnels des jeunes enfants. Or il ne s'agit pas tant d'un problème de récolte que d'accès à la nourriture en quantité et en qualité suffisante pour les enfants en bas âge.

Si la production de mil a effectivement accusé un déficit en 2004 par rapport à 2003, elle n'en reste pas moins une des meilleures campagnes agricoles dans l'histoire du Niger. L'expérience MSF au Niger démontre également que la malnutrition n'a pas baissé après les années de bonne récolte (2001 et 2003) et que c'est au coeur de la zone de production agricole, dans la région de Maradi, surnommée le grenier du Niger, que la prévalence de la malnutrition aiguë est la plus forte.

Si on ne prend plus en compte la production de mil mais les échanges commerciaux, une cohérence apparaît entre les zones de prévalence de la malnutrition. A l'inverse de la zone agro-pastorale où l'essentiel de la production est auto-consommée, dans les zones plus méridionales, le mil est de plus en plus commercialisé. Vendu au moment des récoltes par les paysans endettés, le mil est racheté par les commerçants au prix le plus bas. La ressource monétaire reste faible, insuffisante pour faire face à une dépense imprévue ou pour se procurer du mil en quantité suffisante durant la période de soudure, quand les prix sont au plus haut.

Les ménages les plus pauvres, quelle que soit la qualité de la récolte, n'ont rapidement plus accès à une alimentation suffisante en quantité et qualité. Cette paupérisation des familles et son impact sur la malnutrition se remarquent à travers les chiffres d'admission dans les programmes de MSF : depuis trois ans, nous avons remarqué que les admissions augmentent à nouveau de plus en plus tôt après les récoltes.

En conclusion, sans prétendre livrer d'explication unique à cette situation complexe, Médecins Sans Frontières insiste sur le problème d'accessibilité à une nourriture en quantité et en qualité suffisante pour les ménages les plus pauvres. Il s'agit bien d'une crise nutritionnelle à laquelle une réponse peut être apportée aujourd'hui.

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